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Représentations sociales et appartenances géopolitiques 1. Perspectives d’étude

Dans le document UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES (Page 34-39)

La théorie des représentations sociales permet d’aborder les appartenances géopolitiques sous plusieurs angles. Elle nous procure tout d’abord des repères dans l’étude de la manière dont les individus perçoivent les différentes catégories d’objets qui constituent cette réalité. Ainsi, les entités géopolitiques elles-mêmes – nations, régions ou entités supra-ordonnées – font l’objet de représentations. Ayant trait aux catégories d’appartenance, et définissant ainsi partiellement l’identité des personnes, ces représentations sont riches en contenus symboliques et sont chargées de valeurs. On peut alors supposer qu’elles ont leur importance dans l’instauration et le maintien des liens « verticaux » qui uniront ces entités à leurs membres. Un courant de recherche récent a par exemple mis en évidence les liens qui existent entre la tendance qu’ont les individus à percevoir des groupes sociaux comme des entités (Campbell, 1958) – plutôt que comme de simples « agrégats » - et leur propension à s’y identifier (Castano, 1999) ou à faire appel à des attributions internes pour expliquer le comportement de leurs membres (Yzerbyt, Rogier, & Fiske, 1998). Percevoir un groupe comme une entité, c’est lui accorder la même réalité qu’une chose ou qu’un être animé. Dans

20 Doise (1976) établit une correspondance entre sa conception des représentations sociales et la théorie des champs sociaux telle qu’elle a été développée par Bourdieu (1979) et qui suppose que les acteurs sociaux, pour pouvoir « reproduire » la société, reconnaissent tout en méconnaissant les lois qui la régissent.

la mesure où les groupes sociaux – du moins les groupes de grande taille dont il est question ici – ne peuvent faire l’objet de perception directe (Anderson, 1983), nous interpréterons ce caractère ‘entitatif’ comme une conséquence du processus d’objectivation d’une représentation.

La perception des personnes qui sont membres des entités géopolitiques est également en jeu : leur personnalité, leurs comportements, leur apparence physique parfois, voire leurs intentions font souvent l’objet de représentations partagées. Ces représentations des membres des groupes sociaux vont jouer un rôle important dans l’établissement du lien « horizontal » qui forme les communautés géopolitiques21. Elles le feront de manière positive en établissant les traits communs qui caractérisent le groupe d’appartenance, mais aussi de manière négative, en mettant en exergue les traits qui différencient le groupe d’appartenance d’autres groupes sociaux. L’’étude de ces représentations relatives aux membres de groupes sociaux - ou stéréotypes - s’est principalement développée à l’extérieur du champ d’étude des représentations sociales, que ce soit dans le courant de la cognition sociale (Fiske & Taylor, 1991; Hamilton & Sherman, 1994) ou dans celui de la tradition de l’Identité sociale (Oakes et al., 1994; Spears et al., 1997). Toutefois, cette théorie peut sans doute y apporter une contribution significative en mettant l’accent sur les processus qui président à la genèse des stéréotypes et qui mènent à leur objectivation - qui peut se traduire ici par la tendance à attribuer une « essence » (Rothbart & Taylor, 1992; Yzerbyt, Rocher, & Schadron, 1997) aux groupes sociaux - ainsi qu’à leur intégration dans les systèmes de croyances, de normes et de valeurs préexistants. La prise en compte des perspectives ouvertes par la théorie des représentations sociales est ainsi certainement une voie de développement d’une approche culturelle des stéréotypes, qui transcende la perspective intraindividuelle souvent privilégiée dans le courant dominant de la cognition sociale (Stangor & Schaller, 1996). Le contexte dans lequel les entités géopolitiques interagissent ou dans lequel les individus interagissent sur base de leur appartenance à ces entités a également une fonction déterminante. Les représentations qu’ont les individus des entités géopolitiques ainsi que de leurs membres dépendront des positionnements relatifs de ces entités dans le champ symbolique constitué par leurs relations. Les travaux de Sherif (Sherif & Harvey, 1961) ont montré comment la nature des relations de

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Les stéréotypes sont alors considérés comme des cas particuliers de représentations sociales (Abrams & Hogg, 1988; Abrams, 1990).

dépendance entre groupes – conflit ou coopération - pouvait déterminer la nature des interactions entre leurs membres. Plus généralement, la nature des relations d’interdépendance et de communication entre groupes – symétrie / asymétrie, coopération / compétition, relations formelles / informelles (Deutsch, 1985) – se répercute sur les interactions entre individus ou entre groupes. Dans le cas des relations entre groupes géopolitiques comme dans d’autres domaines, la prise de position individuelle ou collective implique une connaissance de la manière dont le champ symbolique est structuré (Doise, 1990), en l’occurrence de la position respective des différents groupes et de la nature de leurs relations. C’est à travers ces représentations du champ symbolique que les différences de pouvoir et de statut, de soumission et de domination peuvent influencer les pensées et les comportements.

La seconde manière d’aborder les appartenances géopolitiques à travers la théorie des représentations sociales se base sur la notion d’ancrage. On peut ainsi étudier les régularités que l’appartenance à des catégories sociales peut induire sur les positions prises par les individus à l’égard d’objets revêtant une importance pour leurs appartenances géopolitiques – entités, membres de ces entités, contexte des relations intergroupes. Cet aspect sera traité de manière plus détaillée lorsque nous aborderons les voies d’articulation des deux théories (Breakwell, 1993b; Vala, 1998a).

1.3.2. Limitations

Les perspectives d’étude des phénomènes liés aux appartenances géopolitiques qu’ouvrent la théorie des représentations sociales sont riches et multiples. Cependant, bien que cette théorie se soit parfois présentée comme une alternative générale aux autres champs théoriques de la psychologie sociale (Farr, 1987), elle ne nous paraît pas pouvoir rendre compte à elle seule de certains des phénomènes les plus fortement associés aux appartenances géopolitiques. Les attitudes et les comportements favorables aux membres du groupe d’appartenance et les attitudes et comportements défavorables aux membres des autres groupes s’y manifestent de manière remarquable. Ethnocentrisme, patriotisme, solidarité nationale ou racisme, xénophobie, discrimination, conflits internationaux ou interethniques n’en sont que les exemples les plus flagrants. Ces phénomènes semblent obéir à une logique qu’une connaissance des principes de construction d’une réalité sociale partagée éclaire partiellement, mais ne suffit pas à élucider de façon totalement satisfaisante.

Pourtant, comme nous l’avons vu22, Moscovici (Moscovici, 1976) a décrit, dans le processus d’ancrage, une logique bipolaire de classification des choses et des personnes en catégories ainsi qu’un principe de compensation aboutissant à l’identification des choses et des objets placés dans la même catégorie. L’intervention d’un métasystème normatif entraînerait enfin le jugement positif des objets classés dans les mêmes catégories que le groupe d’appartenance alors que les objets ne correspondant pas aux normes – donc jugés négativement – sont attribués aux catégories sociales dont on désire se distinguer. Cet aspect de la théorie explique donc bien les phénomènes représentationnels qui sont mis en place par les membres de groupes sociaux afin de se distinguer positivement d’autres groupes. En outre, le processus de catégorisation, qui constitue une des bases de la théorie de l’identité sociale, est présent dans la TRS où il est mis en relation avec les relations intergroupes. Cependant, la TRS ne rend pas compte de la raison pour laquelle ce désir de distinction positive existe.

De fait, le point de l’articulation qu’effectue la théorie des représentations sociales entre le niveau individuel et les autres niveaux d’analyse (Doise, 1982) repose principalement sur la motivation des individus à disposer d’une vision cohérente, simple et stable de la réalité. Il s’agit avant tout de réduire l’incertitude à propos du monde, d’écarter la menace de l’inconnu en le mettant à distance (objectivation) tout en l’intégrant dans des cadres de pensée familiers afin de pouvoir orienter ses comportements. Pour reprendre la taxonomie proposée par Klein (Klein, 1999), il s’agit d’une motivation essentiellement épistémique. La théorie de l’identité sociale (Tajfel & Turner, 1986) va au contraire mettre l’accent sur une motivation que Klein qualifie de narcissique.

Il se réfère aux travaux de Festinger sur la communication sociale informelle (Festinger, 1950) puis sur la comparaison sociale (Festinger, 1954). Dans ces travaux, la question qui préoccupe Festinger consiste à déterminer ce qui mène un individu à considérer une proposition comme vraie, à lui accorder le statut de croyance23. Festinger distingue les sources de validation des croyances, opinions et attitudes individuelles selon leur caractère physique (à

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Voir 1.1.5

23 Fishbein & Ajzen (Fishbein & Ajzen, 1975) définissent une croyance comme le jugement subjectif de probabilité concernant une relation entre l’objet de la croyance et quelque autre objet, valeur, concept ou attribut. Bar-Tal considère plus simplement qu’une croyance est « une proposition à laquelle une personne attribue au moins un degré de confiance minimal » (Bar-Tal, 1990, p. 14 ).

une extrémité d’un continuum) ou social (à l’autre extrémité). Ainsi, certaines croyances peuvent être validées physiquement, à travers la perception individuelle, alors que d’autres ne le peuvent pas24. Dans ces derniers cas - par exemple, dans le cas de la validation d’une opinion -, l’individu doit faire appel à autrui et avoir recours à la validation sociale. Dans sa théorie de la comparaison sociale (1954), cette motivation épistémique se complète d’une motivation narcissique lorsque la validation sociale a pour objet les capacités individuelles. Selon Festinger, à la différence des croyances et des opinions, ces capacités sont ordonnées sur une échelle de valeurs. Dans ce cas, l’individu est non seulement motivé à acquérir une perception claire de ses capacités, mais également à se positionner de manière avantageuse par rapport à autrui.

Les travaux de Festinger se cantonnaient à un niveau d’analyse inter-individuel. C’est cependant sur sa théorie de la comparaison sociale que Tajfel, en l’adaptant aux relations entre groupes, établira la base motivationnelle de la théorie de l’identité sociale. Cette théorie propose ainsi une explication des causes du désir de différenciation sociale positive et constitue donc un complément indispensable à la théorie des représentations sociales dans le cadre de l’étude des significations psychologiques des appartenances géopolitiques.

Dans les paragraphes qui suivent, les fondements principaux de la théorie de l’identité sociale et de la théorie de l’auto-catégorisation seront brièvement énoncés25. Ensuite les voies d’articulation de cette tradition théorique avec celle des représentations sociales seront examinées.

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Cette distinction entre validation physique et validation sociale a depuis été critiquée, notamment par Turner (Turner, 1991) qui considère que le test, même physique, de la réalité, est toujours déterminé par la validation sociale (Klein, 1999).

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Certains aspects plus spécifiques de ces théories seront abordés dans le cadre des études empiriques, en particulier de l’étude relative aux effets du contexte de comparaison sur les auto-stéréotypes (Chapitre I).

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