• Aucun résultat trouvé

Représentations et identités sociales en périodes de crise

Dans le document UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES (Page 66-70)

1.7. Vers une articulation des théories des représentations sociales et de l’identité sociale

1.7.3. Représentations et identités sociales en périodes de crise

Le rôle des émotions a été souligné aussi bien par Tajfel que par Moscovici. Cependant, relativement peu d’attention a été accordée à cette dimension dans les recherches inspirées par les deux théories.

Pourtant, en examinant les rapports entre la catégorisation sociale, les stéréotypes et l’action collective, Tajfel et Forgas (Tajfel & Forgas, 1981/2000) interprètent l’usage des stéréotypes comme une réaction à des situations sociétales particulières, plutôt qu’à un état chronique du fonctionnement social. D’après ces auteurs, les psychologues sociaux ont largement négligé l’étude des conditions dans lesquelles les stéréotypes sociaux deviennent plus actifs, intenses ou extrêmes. Ils proposent de remédier à cette lacune en examinant les fonctions que remplissent les stéréotypes pour les groupes sociaux. Ils distinguent trois types de fonctions : la causalité, la justification et la différenciation positive. Ainsi, les stéréotypes sociaux à l’égard des exogroupes sont créés et largement diffusés dans des conditions qui demandent :

1. Une recherche de compréhension d’événements macro-sociaux complexes et souvent angoissants ;

2. La justification d’actions, commises ou planifiées, contre des exogroupes ;

3. Une différenciation positive de l’endogroupe par rapport à certains exogroupes à un moment où une telle différenciation est perçue comme devenant incertaine (Tajfel & Forgas, 1981/2000, p. 59).

Pour illustrer de telles situations, Tajfel et Forgas citent les chasses aux sorcières des XVIième et XVIIième siècles ; l’accusation des Ecossais par les Anglais d’avoir causé une épidémie de peste en empoisonnant des puits en 1639 (Thomas, 1971) ; l’antisémitisme et la diffusion des Protocoles des sages de Sion (Cohn, 1967; Taguieff, 1995; Taguieff, 1992), etc.

Les première et troisième fonctions sociales des stéréotypes identifiées par Tajfel et Forgas, ainsi que tous les exemples qu’ils citent font référence à des situations menaçantes, génératrices d’angoisse. Ces situations impliquent aussi bien un sentiment de menace individuelle qu’une atteinte à l’identité du groupe. Ce serait donc lors de périodes de crises sociétales induisant de fortes émotions négatives que les phénomènes de catégorisation sociale et de stéréotypisation se manifesteraient de la manière la plus nette.

Il est vrai que, dans le cadre de la théorie des représentations sociales, l’activité représentationnelle est inscrite dans le fonctionnement quotidien, normal de toute société. Il faut cependant garder à l’esprit que l’une des fonctions principales des représentations sociales consiste à rendre familier ce qui est étranger, à intégrer la nouveauté dans les

systèmes préexistants de croyances, de valeurs et de normes (voir 1.1.5). Cet aspect du processus d’ancrage est donc lié à une réaction face à des éléments angoissants. Ces éléments peuvent être rencontrés dans la vie de tous les jours : toute nouveauté est potentiellement menaçante dans la mesure où elle remet en cause le sentiment de maîtrise de l’environnement connu. Ainsi, Moscovici (1976) a suggéré que les représentations sociales émergent précisément en réponse à un danger menaçant l’identité collective du groupe. La formation de représentations sociales est une activité collective qui est stimulée lors de situations anxiogènes. L’un des objectifs principaux de la représentation est de défendre le groupe contre la menace. On peut alors supposer que l’activité représentationnelle sera d’autant plus stimulée lors de périodes de crises - génératrices d’angoisses plus intenses - telles qu’elles sont envisagées par Tajfel et Forgas (1981).

Les réactions sociales en périodes de crise constituent donc un point supplémentaire de convergence entre les deux théories. C’est dans ce cadre que nous situons notre recherche concernant les explications ‘profanes’ de l’affaire Dutroux. Nous tenterons, en référence entre autres aux réflexions de Moscovici concernant la ‘mentalité de la conspiration’ (Moscovici, 1987) et la théorie de Joffe concernant les réactions collectives face au risque (Joffe, 1996; Joffe, 1999), d’élucider les rapports entre perception de menace, émotions collectives, dynamiques identitaires et représentations sociales tels qu’ils se sont manifestés en Belgique suite à l’affaire Dutroux. Il s’agit, selon nous, d’une situation dans le cadre de laquelle l’activité socio-cognitive – catégorisation, ancrage et objectivation – a été mobilisée dans le but de faire face à une menace de l’identité collective nationale. Les représentations sociales sont ici situées en aval (Vala, 1998a) des identités sociales. Nous verrons cependant que le choix de la catégorisation sociale et de l’identité sociale correspondante dépend également des systèmes de représentations préexistant à la crise.

Cette étude se démarque en outre des deux autres d’une part parce que la dimension émotionnelle y est davantage prise en compte. D’autre part, la dimension comportementale y est également plus présente puisque les représentations sociales sont mises en rapport avec l’implication ou non des sujets dans le mouvement des Comités Blancs, un mouvement citoyen né à la suite de l’affaire Dutroux. L’analyse de cette correspondance permettra une réflexion sur la notion de citoyenneté. Enfin, cette dernière étude se distingue des deux autres

par la méthodologie adoptée qui, bien que reposant partiellement sur des techniques quantitatives (Alceste), laisse une place importante aux analyses qualitatives.

Notre exposé est structuré en trois chapitres qui correspondent chacun à un ensemble différent d'études. Il s'agit, en effet, d'aborder chaque fois un aspect bien spécifique de la relation entre identités sociales et représentations sociales liées aux appartenances géopolitiques. C'est pourquoi les résultats des études et enquêtes font l'objet de discussions approfondies en fin de chapitre. Enfin, une brève conclusion générale s'appuie sur une analyse transversale de ces discussions. Elle explicite l'articulation entre les concepts liés aux théories de l'identité sociale et ceux propres à la théorie des représentations sociales.

Chapitre I

Effets différentiels du contexte de comparaison sur les

Dans le document UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES (Page 66-70)