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Un apport mutuel

Dans le document UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES (Page 61-66)

1.7. Vers une articulation des théories des représentations sociales et de l’identité sociale

1.7.1. Un apport mutuel

Les arguments développés par Breakwell (1993) et Vala (1998a ; 1998b) recoupent ceux que nous avons proposés dans le cadre spécifique de l’étude des appartenances géopolitiques. Ainsi, selon Breakwell (Breakwell, 1993b), chacun des deux « paradigmes » bénéficierait des apports de l’autre. D’une part, la théorie de l’identité sociale se serait concentrée trop exclusivement sur l’explication des conflits intergroupes et de la différenciation sociale. Son articulation avec la théorie des représentations sociales pourrait aboutir à un modèle du rôle plus large des processus identitaires à travers leur influence sur la construction sociale de ce qui passe pour la réalité. Vala (Vala, 1998a) souligne également l’intérêt de la théorie des représentations sociales en tant que moyen de compréhension de la genèse des catégories

sociales ainsi que sa capacité à générer des hypothèses quant à l’organisation du contenu des identités sociales.

D’autre part, la théorie des représentations sociales a, selon Breakwell, jusqu’à présent été abordée d’une manière trop descriptive (Breakwell, 1993b). Ainsi, elle considère que cette théorie ne peut pas expliquer pourquoi une représentation prend une certaine forme plutôt qu’une autre. La théorie de l’identité sociale pourrait mener à identifier certains des facteurs qui déterminent le contenu et la structure que peut prendre une représentation. De plus, la théorie des représentations sociales ne fournit pas d’hypothèses précises concernant la probabilité qu’un individu accepte une certaine représentation et la reproduise (en la communiquant à son tour) ou pas. La théorie de l’identité sociale permettrait d’entrevoir la fonction des représentations sociales autrement qu’en termes de familiarisation avec la nouveauté en y ajoutant les fonctions identitaires qu’elles peuvent servir. Bien que nous n’adoptions pas entièrement ces arguments43, ils nous semblent liés à l’idée selon laquelle la théorie de l’identité sociale est susceptible de contribuer à la compréhension des processus représentationnels en ajoutant à leur fonction épistémique une fonction narcissique (Klein, 1999). Vala (Vala, 1998a) ajoute quant à lui que la théorie de l’identité sociale peut apporter à l’étude des représentations sociales la possibilité de prendre en compte l’organisation des champs sociaux dans lesquels les représentations sont construites et transformées.

Cependant, Elejabarrieta (Elejabarrieta, 1994) met en garde contre le risque de concevoir une relation trop univoque entre identités et représentations sociales. D’après lui, on s'est trop focalisé sur le rôle de protection de l'identité sociale positive que joueraient les représentations sociales. Cette manière de concevoir cette relation reposerait sur deux hypothèses implicites. La première postule l’existence d’une relation linéaire et hiérarchique des identités vers les représentations. Les représentations seraient subordonnées à l’existence préalable des identités. Elles agiraient comme remparts ou comme filtres lorsque ces identités sont menacées. En conséquence, la seconde hypothèse assume qu’il existe une cohérence et une homologie entre identités et représentations. Elejabarrieta propose de dépasser cette

43 La conception que Doise (1990) propose de l’étude du processus d’ancrage est précisément une manière de se démarquer des recherches purement descriptives. L’ancrage social de la représentation est ainsi susceptible d’amener des variations systématiques dans les prises de position individuelles. De plus, les positions relatives

conception univoque de la relation entre identités et représentations sociales en ayant recours à la notion de ‘positionnement social’. Bien qu’elle s’inspire des travaux de Harré, Smith et leurs collaborateurs (Davies & Harré, 1990; Harré & Van Langenhove, 1991; Smith, 1988) sur les pratiques discursives interpersonnelles, la proposition théorique d’Elejabarrieta a un lien de parenté évident avec l’approche positionnelle des représentations sociales développée par Doise et ses collaborateurs (voir 1.2.2). L’idée de base en est que les individus et les groupes sociaux prennent position les uns par rapport aux autres à travers l’expression de représentations qui constituent elles-mêmes l’environnement symbolique dans lequel a lieu cette expression. Ainsi, les représentations sociales contribuent à la définition des identités sociales autant que les identités sociales – qui s’expriment à travers les positionnement sociaux – déterminent la forme et le contenu des représentations sociales.

De fait, les auteurs qui ont jusqu’ici exploré l’articulation entre ces théories ont insisté sur le caractère dialectique de la relation entre identité sociale et représentation sociale. Bien qu’il n’y ait pas toujours forcément de relation causale entre l’un et l’autre construit théorique (Breakwell, 1993b), lorsque c’est le cas, il s’agit toujours d’une influence réciproque. Cependant, s’il est en conséquence inopportun de séparer conceptuellement les deux directions d’influence – des identités vers les représentations ou des représentations vers les identités – il est au contraire important de clarifier la direction de la relation causale envisagée lorsque cette relation fait l’objet de recherches empiriques.

1.7.2. Les représentations sociales : en amont ou en aval des identités sociales Vala (Vala, 1998a) propose de distinguer deux niveaux d’analyse de cette relation. Ces deux niveaux s’articulent autour de l’analyse du processus d’ancrage des représentations sociales (Doise, 1990; Moscovici, 1976). Ainsi, on peut d’une part étudier les représentations sociales en tant qu’ancres dans le processus de construction des catégories identitaires, des clivages sociaux et des positions sociales. Pour reprendre l’expression de Vala (Ibidem), les représentations se trouvent alors en amont des identités sociales et des rapports entre groupes.

D’autre part, à un second niveau d’analyse du processus d’ancrage, on se réfère au contraire aux ancres qui sont nécessaires à la construction d’une représentation sociale, au

des acteurs dans le champ social symbolique conditionnent les représentations auxquelles ils sont exposés et la probabilité qu’ils les acceptent et les reproduisent.

rang desquelles figurent les identités sociales. Dans ce cas, les représentations se trouvent en

aval des identités sociales et des relations entre groupes.

Vala (Vala, 1998a), à l’instar de Breakwell (Breakwell, 1993b), fait référence à la typologie des représentations sociales proposée par Moscovici (représentations hégémoniques, émancipées ou polémiques, voir 1.2.1). Par définition, les représentations polémiques sont générées lors de conflits intergroupes. Elles sont déterminées par ces relations et sont donc affectées par les identités sociales. Elles constituent par conséquent l’objet d’étude par excellence des relations entre représentations et identités sociales.

Breakwell (Breakwell, 1993b) aborde cette même problématique en évoquant la relation entre groupe et représentation sociale en termes de propriété. Ainsi, un groupe peut être le producteur et le ‘propriétaire’ d’une représentation sociale (représentation polémique). Mais il se peut également qu’une représentation soit co-produite par plusieurs groupes (représentation émancipée) ou qu’elle ne soit pas produite par les groupes concernés (représentation hégémonique). En outre, certaines représentations peuvent être produites au cours de longues périodes de temps grâce aux contributions de nombreuses sources différentes motivées par des objectifs divers. Toutefois, dans les situations où des groupes sociaux sont les producteurs spécifiques d’une représentation, on peut s’attendre à ce que la forme qu’elle prendra dépende des objectifs collectifs qu’elle doit servir.

Selon Vala (Vala, 1998b), les relations entre auto-catégorisations, identités sociales et l’ancrage des représentations sociales – et plus particulièrement des représentations polémiques – peuvent être étudiées à partir d’un point de vue topographique ou à partir des

processus qui les caractérisent.

La perspective topographique – ou taxonomique – consiste à partir de l’hypothèse selon laquelle la représentation d’un objet est structurée par une dimension identitaire. Par exemple, Vala (Vala, 1990) a mis en évidence la relation existant entre différentes représentations du pouvoir – individualisme méritocratique, égalitarisme, fatalisme, ou conflit et collectivisme - et différents types d’identité sociale – identité religieuse, ouvrière, d’engagement social, socialement défavorisée, etc. Par exemple, la représentation ‘fataliste’ du pouvoir était positivement associée avec l’identité de ‘socialement défavorisé’ alors qu’elle était négativement associée avec l’identité en termes ‘d’engagement social’.

Etudier la relation entre identités sociales et représentations sociales sous l’angle des processus se base principalement sur l’hypothèse selon laquelle les représentations sont contextuelles et changent en fonction des dynamiques intra et intergroupes44. Selon Vala (Vala, 1998b), cette perspective repose sur le principe théorique proposé par Moscovici selon lequel la relation entre un ego - individu ou groupe - et un objet de représentation est contextuelle et est toujours déterminée par la médiation de la relation entre cet ego et un alter – individu ou groupe. Ainsi, différents contextes intergroupes peuvent susciter l’expression de représentations sociales différentes.

Cette distinction entre études topographiques et études en termes de processus va nous permettre de caractériser deux des recherches que nous présenterons ici.

Ainsi, notre étude concernant les liens entre représentations sociales de l’Europe et identification européenne (Chapitre II) peut être qualifiée de ‘topographique’. Il s’agit d’une enquête par questionnaires comportant des questions relatives aux identités géopolitiques – régionale, nationale et européenne – ainsi que des questions concernant les représentations de l’Europe et du processus d’intégration européenne. Ces données sont analysées de façon à mettre en évidence les relations entre ces identifications géopolitiques et les représentations sociales. Les représentations sociales se situent alors en aval des identités sociales. Cependant, cette étude comporte également une réflexion et des résultats empiriques qui relèvent de la relation inverse. Ainsi, les déterminants de l’identification européenne seront recherchés aussi bien dans les représentations de l’Europe – en tant qu’objet, identité ou pratiques – et de l’évolution de l’Union Européenne que dans les autres identifications géopolitiques – en particulier la nation. L’identification européenne se trouve alors en aval des représentations sociales. Enfin, sera exploré le rôle de la représentation sociale de la nation, en tant que modèle idéal-typique de toute entité géopolitique moderne, dans la construction des représentations sociales de l’Europe et le développement de l’identité européenne. Nous nous référerons entre autres à l’approche théorique, ainsi qu’aux propositions méthodologiques

44 « (…) les points de vue des individus et des groupes sont envisagés autant par leur caractère de communication que par leur caractère d’expression. En effet, les images, les opinions sont ordinairement précisées, étudiées, pensées, uniquement pour autant qu’elles traduisent la position, l’échelle de valeur d’un individu ou d’une collectivité. Dans la réalité, il ne s’agit que d’une tranche prélevée sur la substance symbolique élaborée par des individus ou des collectivités qui, en échangeant leurs façons de voir, tendent à s’influencer ou à se modeler réciproquement. » (Moscovici, 1976, p. 47)

d’analyse de données proposées par Doise et ses collaborateurs (Doise, 1990; Doise et al., 1992) dans le cadre de cette étude.

Nos études concernant les effets différentiels du contexte de comparaison sur les auto-stéréotypes des Belges francophones et néerlandophones (Chapitre I) correspondent par contre à la perspective d’étude en termes de processus proposée par Vala (Vala, 1998b). Dans ces études expérimentales, le contexte de comparaison intergroupes est manipulé et l’effet de ces variations sur les descriptions des membres de l’endogroupe – ou auto-stéréotypes – est analysé. Le contexte comparatif immédiat constitue donc une source de variation potentielle dans le contenu des représentations exprimées. Mais ces études ne se limitent pas à ce niveau d’analyse puisque les mêmes variations du contexte de comparaison ont été présentées à des sujets appartenant à des groupes occupant des positions différentes – et asymétriques en termes de taille et de statut - dans le contexte sociopolitique belge. L’influence des interactions entre ces deux sources de variation contextuelle - contexte comparatif immédiat et contexte géopolitique – sur les auto-stéréotypes constitue l’objet de ces études. L’identité sociale y est abordée selon des critères objectifs – langue maternelle et lieu de résidence – ainsi que selon un critère subjectif – le degré d’identification avec le groupe linguistique, qui constitue la troisième source de variation envisagée. Par leur objet, ces études se situent dans une lignée de recherches développées dans le cadre des théories de l’identité sociale (Haslam & Turner, 1992; Haslam & Turner, 1995; Haslam, Turner, Oakes, McGarty, & et al., 1992; Spears & Manstead, 1989). La méthodologie adoptée s’inspire de ces travaux antérieurs : dispositif expérimental, analyses de la variance. Elle comporte cependant une dimension qualitative - abordée entre autres grâce à la méthode Alceste - ainsi qu’une mise en perspective historique et sociopolitique qui la situent également dans la tradition de recherches sur les représentations sociales telle qu’elle a été définie par Doise et ses collaborateurs (Doise, 1990; Doise et al., 1992).

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