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Les caractéristiques cognitives de la catégorie

Dans le document UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES (Page 137-144)

Effets différentiels du contexte de comparaison sur les auto- auto-stéréotypes des Belges francophones et néerlandophones

7. Discussion des résultats néerlandophones

7.1.1. Les caractéristiques cognitives de la catégorie

Rutland et Cinnirella (Rutland & Cinnirella, sous presse) ont obtenu des résultats comparables aux nôtres, si ce n’est qu’ils mesuraient quant à eux les variations contextuelles des identifications sociales plutôt que des auto-stéréotypes, comme c’est le cas ici. Ils ont demandé, dans le cadre d’une première étude, à leurs sujets écossais d’exprimer leur identification à l’Ecosse, à la Grande-Bretagne et à l’Europe après avoir complété une tâche d’évaluation d’adéquation de traits stéréotypiques concernant soit uniquement les Ecossais (condition intragroupe), soit les Anglais et les Ecossais ; les Allemands et les Ecossais ; ou les Australiens et les Ecossais (conditions intergroupes). Ces auteurs prédisaient que, suivant la TAC, ces quatre contextes de comparaison induiraient des catégorisations différentes qui se traduiraient par des identifications correspondantes aux trois niveaux d’inclusion concernés (l’Ecosse, la Grande-Bretagne et l’Europe, respectivement). Ils ont en effet trouvé des effets significatifs du contexte de comparaison sur leur mesure d’identification à l’Europe – celle-ci tend à être moins forte dans les conditions intergroupes que dans la condition intragroupe –, mais aucun effet sur les identifications à l’Ecosse et à la Grande-Bretagne. Certaines catégorisations se montrent donc plus stables que d’autres.

Rutland et Cinnirella (Rutland & Cinnirella, sous presse) incriminent plusieurs facteurs potentiellement responsables de ces effets différentiels du contexte de comparaison sur l’auto-catégorisation dans différents groupes, parmi lesquels ils citent l’accessibilité de la catégorie, et sa fragilité.

L’accessibilité cognitive de la catégorie correspond au degré auquel l’individu percevant est prêt à faire usage d’une catégorie qui est pertinente, utile et qui fait sens dans la réalité sociale dans laquelle il vit. L’accessibilité de la catégorie est déterminée

d’une part par les expériences passées de l’individu, ses attentes, objectifs et activités présentes ainsi que par les valeurs et les normes de son groupe de référence (Oakes, 1987 ; Oakes et al., 1994). L’accessibilité d’une catégorie peut être déterminée par des facteurs de traitement de l’information, comme la récence, le degré d’activation ou encore par ses relations à d’autres cognitions accessibles (Oakes, 1987). Cependant, le caractère social des catégories a également des implications en ce qui concerne leur accessibilité. Ainsi, l’importance que peut revêtir un groupe particulier dans la définition de soi d’un individu sera déterminante quant à son accessibilité. La signification émotionnelle et les valeurs attachées à une catégorisation particulière peuvent également intervenir (Tajfel, 1972). Par exemple, les expériences de Stangor et al. (Stangor, Lynch, Duan, & Glass, 1992) suggèrent que certaines catégories sociales sont chroniquement accessibles et sont utilisées dans toutes les situations. Certaines catégories, moins accessibles, seraient plus sensibles aux effets de contexte que les catégories très accessibles. Dans l’expérience de Rutland et Cinnirella, ce serait le cas de l’Europe alors que les catégories « Ecossais » et « Britannique » seraient plus accessibles – car plus souvent mobilisées - et donc moins variables.

La plus ou moins grande fragilité de la catégorie peut également intervenir. Ainsi, certains groupes ont une identité mal définie ou en voie de formation, qui ne fait pas l’objet d’une définition consensuelle bien établie au sein du groupe – selon Cinnirella (Cinnirella, 1996), c’est le cas de l’Europe. Ces identités, dont la signification et le contenu exacts sont incertains et contestables seraient plus susceptibles d’être affectées par les variations du contexte alors que les identités groupales clairement établies le seraient moins. Les travaux récents de Haslam et ses collègues (Haslam et al., 1999; Haslam et al., 1998), ainsi que nos résultats concernant la diversité des traits (voir 4.2.5), indiquent que le consensus concernant la définition des catégories sociales peut être sensible aux variations du contexte immédiat. Cependant, le degré de consensus préexistant93 concernant les caractéristiques du groupe social pourrait également conditionner les effets du contexte sur la catégorisation et la stéréotypisation

correspondante. Rutland et Cinnirella (Rutland & Cinnirella, sous presse) ont de fait montré lors d’une seconde étude que la catégorie « Europe » était moins accessible et plus fragile94 que les catégories « Ecosse » et « Grande-Bretagne ».

Dans le cadre de notre étude, l’accessibilité et la fragilité relatives des catégories « Flamands » et « Francophones de Belgique » pourraient donc contribuer à expliquer les effets différentiels des variations de contexte observées chez leurs membres. Nos résultats concernant la variabilité des traits stéréotypiques montrent que les auto-stéréotypes exprimés par les participant(e)s flamand(e)s sont sensiblement plus consensuels que les auto-stéréotypes francophones. Cette diversité reste en outre stable à travers les conditions alors qu’elle a tendance à diminuer chez les Francophones lorsqu’une comparaison intergroupes est rendue saillante.

Nous ne possédons pas de mesure d’accessibilité cognitive des deux catégories. Nous savons cependant que les Flamands expriment en moyenne une identification plus forte à leur groupe linguistique que les Francophones, suggérant que cette catégorie est pour eux plus importante.

Une des raisons de ces différences cognitives entre les deux catégories étudiées réside sans doute dans la nature même des termes inducteurs utilisés : « Flamands » et « Francophones de Belgique ». Comme nous l’avons déjà fait remarquer (voir note 60), la communauté linguistique et la région sont comprises dans une seule entité institutionnelle (la Région Flamande) en Flandre. Le terme « Flamands » évoque donc simultanément la communauté linguistique et la Région d’appartenance. Le terme « Francophones de Belgique » ne fait référence qu’à la communauté linguistique (représentée institutionnellement par la Communauté Française de Belgique ou ‘Communauté Wallonie-Bruxelles’) qui inclut deux sous groupes régionaux : la Région Wallonne et la Région de Bruxelles Capitale. Ces deux termes ont donc sans doute des portées

93 Ce qui est une caractéristique du contexte global. 94

Ils ont mesuré la « fragilité » des catégories à travers un ensemble de questions relatives au sentiment de certitude concernant la signification et la définition des catégories géopolitiques.

différentes qui peuvent déterminer aussi bien l’accessibilité que la fragilité des catégories auxquelles ils se réfèrent.

D’autre part, ces deux groupes diffèrent en ce qui concerne le contexte politique relatif à la définition de leur identité. Comme nous l’avons exposé dans l’introduction de ce travail, les identités géopolitiques ne naissent pas spontanément ; elles sont le fruit d’une construction souvent délibérée de la part d’acteurs sociaux mus par des projets politiques spécifiques. Cette construction se fait souvent à travers la diffusion d’un discours politique identitaire (Reicher et al., 1997) qui a pour effet de délimiter les contours du groupe (différenciation) ainsi que d’y associer des représentations culturelles qui donnent un contenu commun à ces identités collectives (homogénéisation).

Dans le contexte sociopolitique belge, il existe des différences importantes tant en ce qui concerne la nature des discours politiques auxquels les gens sont exposés de part et d’autre de la frontière linguistique qu’en ce qui concerne l’importance de leur diffusion.

Traditionnellement, on distingue deux façons de concevoir la « nation » : la conception allemande – romantique ou ethnique – et la conception française – élective, républicaine ou révolutionnaire (Ferry, 1992; Van Dam, 1997). Au risque de simplifier, on peut proposer que la conception allemande repose sur l’identité culturelle alors que la conception française repose sur l’identité politique95. La primauté du langage, du « caractère national », de l’Histoire prévaut dans l’école allemande alors que la volonté commune, le contrat social prévaut dans l’école française. Bien que ces modèles ne soient que des « idéaux types »96, ils constituent un outil heuristique pertinent pour caractériser les discours régionalistes et nationalistes qui sont présents dans la sphère publique de la Belgique contemporaine.

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Comme l’a exprimé Dumont (Dumont, 1991), le Français pense : « Je suis un homme par nature et français par accident » alors que l’Allemand pense : « Je suis essentiellement un Allemand, et je suis un homme grâce à ma qualité d’ Allemand » (p. 15).

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Il convient en outre de prendre une certaine distance critique envers des interprétations purement culturalistes des réalités sociales (voir Bayart, 1996).

Comme l’ont fait remarquer Maddens et al. (1998), le discours nationaliste flamand est formulé dans des termes « ethniques » ; l’identité régionale est présentée comme un héritage culturel qui doit être préservé pour les générations futures. Il ressemble d’avantage au nationalisme allemand qu’au nationalisme français. Depuis la fédéralisation de l’Etat belge, ce discours nationaliste – qui était auparavant tenu par des acteurs socioculturels appartenant au Mouvement Flamand – est devenu, selon Maddens et al. (Ibidem) le discours officiel du gouvernement de la Région Flamande. Ce discours a été largement diffusé à travers des campagnes d’information à grande échelle (Slembrouck & Blommaert, 1995). Bien que la plupart des responsables politiques flamands – appartenant à des partis démocratiques – ne se déclarent pas ouvertement séparatistes, il faut reconnaître qu’en Belgique, l’évolution d’un Etat unitaire à un Etat fédéral est largement dû à leur action (De Winter et al., 1998). Il est d’ailleurs probable que cette tendance aboutira à d’autres distinctions institutionnelles entre communautés linguistiques. Si l’on considère la Belgique comme un groupe supra-ordonné composé (principalement) de deux groupes – linguistiques/régionaux – subordonnés, il faut admettre que le discours politique flamand dominant promeut une identification avec le niveau d’inclusion subordonné (régional).

D’autre part, le discours régionaliste wallon est plutôt orienté vers une conception « républicaine » des identités régionale et nationale (Maddens et al., 1998). L’autonomie régionale – et pas l’indépendance – est recherchée, davantage en tant que moyen de défense des intérêts socio-économiques des Wallons au sein de l’Etat belge qu’afin de préserver un héritage culturel wallon. De plus, comme l’a observé Destatte (Destatte, 1998), la Wallonie est restée dépourvue de la capacité institutionnelle, non seulement de développer une identité culturelle et politique, mais aussi de mobiliser ses citoyens pour le projet wallon. Les institutions wallonnes n’ont, selon cet auteur, jamais exercé de véritable contrôle sur les médias et n’ont jamais pu élaborer de systèmes éducatifs à même de favoriser une telle mobilisation97.

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Il faut cependant noter que le gouvernement régional wallon a récemment initié une série de projets destinés à (re)créer un sentiment d’appartenance à la Wallonie : adoption d’un hymne et d’un

En fait, suivant Maddens et al. (1998), le discours régionaliste wallon est relativement marginal ; ce serait plutôt le discours tenu par l’establishment belge qui prédomine dans la partie francophone du pays. Ce discours serait également plus « républicain ». Il viserait à harmoniser les relations entre les deux communautés linguistiques. Il est généralement dépourvu de toute référence au contenu de l’identité belge et encore moins à celui des identités régionales (Maddens et al., 1998).

Bien qu’une part significative des classes politiques wallonnes désire accroître l’autonomie régionale, elles tendent généralement à réagir contre le séparatisme flamand, et c’est également le cas des classes politiques bruxelloises francophones. En d’autres termes, les discours politiques francophones – qui sont moins homogènes et moins largement diffusés que le discours politique flamand – tendraient à promouvoir une identification au niveau d’inclusion supra-ordonné, ou tout au moins à concilier identité régionale et identité nationale. Ainsi, on peut parler d’un nationalisme flamand, qui correspond à un désir d’indépendance98 alors que la plupart des mouvements identitaires wallons restent régionalistes99, ce qui correspond à un désir d’autonomie accrue au sein de l’Etat belge.

Il existe donc en Flandre un discours nationaliste à caractère identitaire – « ethnique » - qui a bénéficié d’une large diffusion et, dans les parties francophones du pays, plusieurs discours politiques au caractère identitaire moins marqué qui ont bénéficié d’une diffusion moindre.

La différence entre les degrés d’exposition à des discours politiques identitaires ainsi que la différence de la nature même du contenu de ces discours contribuent potentiellement à expliquer la configuration de nos résultats. Nous avons en effet

symbole officiels, publication d’un nouveau « manifeste wallon » - Oser être wallon (Andrien, 1998) -, etc. 98

Notons toutefois que des enquêtes représentatives (Maddens et al., 1998) ont montré que seule une minorité (10.8 %) parmi les Flamands se dit favorable à la partition de la Belgique. Il n’y aurait donc pas une totale convergence de points de vue entre l’opinion publique et les classes politiques flamandes.

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La proposition de rattacher la Wallonie à la France, très minoritaire, constitue une exception notable à cette tendance générale.

remarqué que les tailles relatives des groupes linguistiques font l’objet de représentations plus fidèles à la réalité et plus consensuelles de la part des participant(e)s flamand(e)s (étude 1). Ils/elles expriment des identifications plus fortes avec leur groupe linguistique qu’avec le groupe national. Ils/elles tendent en outre à donner – à travers leurs associations libres – une image positive des membres de leur groupe. Ces auto-stéréotypes font l’objet d’un plus grand consensus chez eux que chez les Francophones. De plus, ces auto-stéréotypes se révèlent relativement invariables à travers les deux contextes de comparaison étudiés (étude 3).

Selon Azzi (Azzi, 1998; Azzi & Klein, 1998), le discours nationaliste exerce une pression afin d’imposer aux individus une représentation précise de leur groupe culturel. Ce faisant, il contribue à rendre cette représentation explicite et consensuelle. Cette cristallisation du contenu de l’identité culturelle est souvent atteinte, entre autres, à travers des comparaisons avec d’autres groupes. C’est clairement le cas du discours nationaliste flamand, dont un des thèmes majeurs est la distinction d’avec les Francophones, dont le manque de dynamisme économique, notamment, ferait obstacle à l’essor de la Flandre (Van Dam, 1997). Paradoxalement, cette comparaison avec les Francophones, qui structure en partie le discours nationaliste flamand, aurait pour effet de fixer une représentation particulière du groupe, à rendre cette catégorie plus « accessible » et plus « solide », rendant son contenu moins flexible et moins dépendant du contexte « immédiat ». La situation au niveau du « contexte global » des relations intergroupes conditionnerait ici les réactions des sujets face aux variations du « contexte de comparaison immédiat ».

Cette interprétation – qui demanderait certes confirmation à travers d’autres études – nous mène à mettre en exergue les limites de la théorie de l’auto-catégorisation dans l’explication de ces phénomènes. Il semble en effet que les prédictions de cette théorie ne s’appliquent pas également à toutes les catégories sociales. Le concept d’adéquation normative, qui fait intervenir les croyances individuelles et collectives dans les processus de catégorisation et de stéréotypisation, ne permet pas de rendre compte de cet aspect de nos résultats. Ces connaissances préalables de la situation intergroupes contribuent, selon

Turner (Turner, 1994), à déterminer le type de catégorisation sociale qui aura lieu dans une situation particulière ainsi que les dimensions de comparaison qui seront choisies pour y donner sens. Dans une situation de comparaison intergroupes, le principe d’adéquation normative contribue à expliquer les changements qui, selon la TAC devraient intervenir lorsque le contexte intergroupes immédiat change mais il ne permet pas de déterminer dans quelles circonstances ces changements auront lieu ou pas.

Selon notre interprétation, le degré de variabilité d’une catégorie et des stéréotypes qui y sont associés dépend du degré d’accessibilité et de fragilité de cette catégorie. Dans le cas de grands groupes réels, ces facteurs cognitifs sont déterminés par le contexte idéologique et politique qui contribue à donner une forme et un contenu aux catégories sociales.

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