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Chapitre 5 : Résultats des deux premières phases de la recherche portant sur le slam

5.2 Représentations et pratiques déclarées des participantes

5.2.1 Gisèle de Genève : représentations et pratiques déclarées

Lors de l’entretien de pré-expérimentation, notre canevas, outre les questions liées à la formation initiale des participantes, comprenait deux autres catégories de questions respectivement liées aux représentations et aux pratiques déclarées en lien avec l’enseignement du français au secondaire. Ces questions avaient une importance particulière, car les réponses nous permettraient de prendre en compte certains éléments pour la conception des dispositifs. Aussi, à travers les pratiques déclarées, nous voulions anticiper les activités et les formes sociales de travail que nous pourrions mettre en place dans le cadre de cette séquence.

Comme notre objet consistait à voir la manière dont il est possible d’articuler les différentes composantes de la discipline, nous avons cherché à savoir l’importance relative que cette enseignante accorde à l’écriture, à la lecture et la grammaire.

La première question visait à savoir la manière dont cette enseignante se représente la discipline et la place qu’elle accorde à chacune des composantes de celle-ci dans sa pratique. Sa réponse à cette interrogation est la suivante :

J’ai essayé de séparer ma semaine pour équilibrer le travail sur la lecture, le travail sur l’écriture et le travail sur la maitrise technique de la langue. Moi je mets beaucoup poids sur l’écriture, car ça me semble assez important. Donc j’essaie de faire beaucoup écrire mes élèves. À vrai dire, j’essaie de trouver un équilibre entre les 3. Je n’arrive pas à faire une hiérarchie entre les trois. Simplement, moi j’utilise l’écriture pour essayer de condenser ce qu’on fait dans les deux autres composantes (lecture et grammaire).

À travers ce propos, on note déjà que l’enseignante, dans ses représentations et dans ses pratiques déclarées, (1) reconnait les composantes de la discipline français et (2) dit les lier par le biais des activités d’écriture qui, pour elle, constituent le socle des apprentissages de la discipline. Elle considère en effet que l’écriture est un moyen de travailler la langue et la lecture. Le texte, produit de l’activité langagière, est donc au centre de l’enseignement du français dans la classe de Gisèle.

Lorsque nous lui avons demandé de classer par ordre d’importance les composantes de la discipline, elle a répondu ceci :

« Cela est trop compliqué pour moi. Je n’ai pas envie de faire de hiérarchie, parce que chacune d’elles correspond à différentes compétences dont on a besoin. Ce sont les trois à la fois qui forment le français. »

Nous avons voulu, par la suite, savoir la manière dont elle procédait au quotidien pour trouver cet équilibre entre lecture, écriture et pratique de la langue. L’enseignante affirme être animée par la volonté de mettre en œuvre ce qui est vu en grammaire en écriture et en lecture :

« J’organise les activités d’écriture à partir des textes travaillés en lecture. Je privilégie beaucoup des activités d’écriture collaborative pour ensuite amener les élèves à faire le travail sur la langue dans les textes produits. »

Le constat qui se dégage des propos de Gisèle, c’est d’abord une volonté de lier le travail sur la langue et celui sur les textes.

Quant à la question de savoir si le programme et les manuels l’aident à faire les liens qu’elle souhaite, Gisèle soutient que non. Elle affirme donc recourir peu aux manuels,

surtout parce que ceux-ci véhiculent quelques fois des contresens qui ne sont pas profitables aux élèves. Quant au Plan d’études roman, même s’il invite explicitement à faire des liens lecture-grammaire-écriture, elle soutient qu’il n’y aide pas, car elle voit dans sa

structure une forme de cloisonnement80. Elle soutient en effet que le programme est divisé

selon les compétences à travailler et qu’il ne présente pas d’éléments qui permettent d’établir des liens. C’est donc à l’enseignant qu’il revient, dans sa pratique, de déterminer des objectifs et de trouver le moyen de faire des liens pertinents entre les différents apprentissages de la classe de français.

Finalement, pour Gisèle, il est important de lier l’étude texte-langue, car cela permet de développer chez l’élève une capacité à construire et à organiser son discours (compétence en écriture), une capacité d’abstraction pour analyser et comprendre la langue (compétence en grammaire). Elle dit donc accorder beaucoup de place, lors des activités d’écriture, à la discussion.

5.2.2 Estelle de Genève : représentations et pratiques déclarées

Nous avons soumis Estelle aux mêmes questions que Gisèle. S’agissant de ses représentations et pratiques déclarées, si la production textuelle, comme avec Gisèle, semble être le pilier de son enseignement, il existe toutefois des différences notables, notamment en ce qui a trait à la place de la langue et aux liens possibles entre les différentes composantes de la discipline.

Dans un premier temps, nous avons demandé à Estelle l’importance relative qu’elle accorde aux composantes de la discipline. « Difficile de répondre à cette question », a répondu Estelle avant de poursuivre :

Si je devais les classer par ordre d’importance, je mettrais en premier l’écriture, dans ce sens que la compétence écrire est ce qui va être directement utile aux

80 Il s’agit ici d’une réponse de Gisèle que nous tenons à nuancer. Dans le cadre de notre recherche, nous

n’avons trouvé au Québec aucun document officiel qui fixe des orientations sur la manière dont l’articulation langue-texte pourrait se faire dans la classe. Cependant, en Suisse romande, nous avons eu accès à un document de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin qui donne des balises claires sur la manière dont les enseignants pourraient articuler les composantes de la discipline. Ce document, intitulé Enseignement et apprentissage du français en Suisse romande : orientations (CIIP, 2006), s’adresse aux enseignants de l’école obligatoire. Il précise les finalités de l’enseignement du français, en nomme les composantes, explique pourquoi il est nécessaire d’articuler celles-ci et propose que le texte soit le socle de cette articulation, ce que Gisèle déclare d’ailleurs faire dans sa pratique.

élèves, surtout dans un contexte où les élèves demandent aujourd’hui à quoi ça sert de voir telle ou telle chose.

Cette représentation d’Estelle semble montrer qu’elle a une visée utilitariste de l’enseignement du français, et plus précisément de l’écriture. La maitrise de l’écriture devient alors le cœur des différentes activités. C’est d’ailleurs ce que justifie un autre propos d’Estelle qui, à la question relative aux liens qu’elle fait entre lecture-grammaire et écriture, répond :

Alors, mes élèves écrivent régulièrement des textes. Ils ont une rédaction à rendre chaque semaine. Nous faisons la correction en classe et la production me permet de faire des liens avec les notions préalablement travaillées en grammaire en classe. Donc, oui je fais des liens écriture-grammaire, mais moins de liens entre la lecture et la grammaire. Je travaille davantage les aspects de narratologie pour travailler la compréhension. Quelques fois,

notamment avec les 11e, j’ai recours à la stylistique pour analyser avec les

élèves les choix des auteurs des textes que nous lisons. Mais je ne fais pas de grammaire.

Plusieurs constats se dégagent des propos d’Estelle : (1) la production textuelle est au cœur de son enseignement du français, (2) la pratique de la lecture s’affranchit des considérations

grammaticales81 classiques et (3) l’enseignement de la langue occupe peu de place par

rapport à celui de l’écriture et de la lecture. Si le texte est le pilier des apprentissages dans la classe d’Estelle, il nous est impossible de dire si celui-ci est prétexte ou objet d’apprentissage, car nous ne savons pas si les notions de langue travaillées permettent d’enrichir le texte et si, en retour, celui-ci favorise une meilleure appropriation de ces notions grammaticales par les élèves. Ce que nous retenons, c’est qu’Estelle fait plus de liens entre les pratiques d’écriture et la grammaire et beaucoup moins avec la lecture. D’ailleurs elle reconnait être beaucoup plus centrée sur le contenu et la structure des textes à lire que sur la langue.

Finalement, à la question de savoir la nature des textes qu’elle étudie avec ses élèves, Estelle répond adopter l’approche générique. Nous n’avions pas de questions de relance à ce sujet, et sur l’instant, nous n’en avons pas eu non plus. À postériori, nous avons réalisé

81 Elle ne fait peut-être pas de grammaire à proprement parler en lecture, mais elle inclut visiblement des faits

de langue dans son analyse stylistique même si elle n’enseigne pas la grammaire au sens traditionnel du terme.

qu’il aurait été enrichissant de lui demander les raisons pour lesquelles elle adopte une telle approche et les avantages qu’elle y voit. Comme c’est l’approche que nous avons choisi d’adopter avant même cette rencontre, nous aurions pu enrichir notre analyse du regard des enseignantes sur les avantages et inconvénients de l’étude des textes par le genre. Nous avons en effet fait le choix d’inscrire nos travaux dans l’approche générique parce que le genre est un outil facilitateur de l’enseignement des textes (Dolz et al., 2011). Les élèves saisissent ainsi mieux les régularités qui lient des textes, se les approprient et sont ensuite capables de les intégrer dans leurs propres productions.

5.2.3 Représentations et pratiques déclarées des enseignantes ayant procédé à la double expérimentation de la séquence sur le slam : Nadine, Karelle, Lucie et Blanche de Lévis S’agissant de leurs représentations de la discipline et de ce qui doit être au cœur des apprentissages, Karelle, Lucie et Blanche considèrent que le développement des

compétences en lecture (1re position) et en écriture (2e position) constitue le cœur de

l’enseignement du français. Nadine, quant à elle, considère le développement de la compétence à écrire comme le pilier des apprentissages en français.

Si toutes les quatre considèrent que l’enseignement de la grammaire devrait permettre aux élèves d’acquérir de solides bases pour la structuration de la pensée et pour le développement des compétences en lecture et en écriture, elles reconnaissent globalement que cet enseignement peine à atteindre ses finalités. Pour Nadine et Lucie, cela s’explique par les difficultés qu’ont les élèves à transférer les connaissances acquises dans des situations concrètes. Quant à Karelle et Blanche, elles pointent respectivement le manque de temps pour travailler plus en profondeur les éléments et la nature spiralaire de la progression qui n’aiderait pas les élèves. Cette dernière affirme notamment :

« On enseigne les mêmes notions chaque année. L’élève moyen tourne en rond et l’élève expert n’apprend plus rien de nouveau. »

Quant à la question de savoir si elles font des liens entre les activités de lecture, d’écriture et de grammaire, toutes ont répondu en faire. Toutefois, à l’exception d’Isabelle qui n’a pas expliqué comment elle procédait pour lier ces composantes, les 3 autres enseignantes ont formulé des explications sur lesquelles il convient de s’arrêter un moment :

Nadine : « Mes activités d’enseignement sont souvent en étape sous forme de séquence avec plusieurs volets. Par exemple, on lit une BD, on écrit une lettre et on travaille l’oral en posant des questions aux élèves sur leur lecture. »

Lucie : « J’utilise, par exemple, un roman comme prétexte à l’écriture : écrire la suite ou une lettre à un personnage. Je peux faire faire un exposé oral ayant pour but d’expliquer une règle grammaticale. »

Blanche : « J’essaie de faire des liens à l’aide de différents projets. Par exemple, écriture d’un scénario à partir d’une lecture, puis réalisation de ce scénario à l’oral. »

Plusieurs constats se dégagent du discours de ces trois enseignantes. D’abord, on note leur volonté d’établir des liens entre les différentes composantes. On réalise cependant que, en nous appuyant sur notre conception de l’articulation, ces liens sont quelques fois boiteux. On ne peut en effet considérer qu’écrire la suite d’un texte ou que répondre à des questions sur un texte à l’oral soit de l’articulation, car une telle démarche ne permet pas d’approfondir le travail réalisé dans l’une ou l’autre des composantes. Il y a donc en l’espèce un décloisonnement, préalable à l’articulation. Toutefois, pour parler d’articulation, il faut nécessairement qu’il y ait un va-et-vient entre les différentes composantes et que ce mouvement bénéficie aux apprentissages que réalisent les élèves. D’ailleurs, Lucie elle-même emploie explicitement le terme prétexte pour justifier les liens qu’elle essaie d’établir entre lecture et écriture.

Ces enseignantes soutiennent néanmoins établir ces liens dans un cadre structurant : dans une séquence ou dans un projet. Cela nous a paru important à cette étape-là puisque nous- même avons pris la séquence didactique, donc un ensemble organisé d’activités, comme cadre dans facilitateur de l’articulation langue-texte.

Finalement, on note que lecture, écriture, grammaire et oral sont les composantes que Nadine, Lucie et Blanche disent articuler dans leurs pratiques d’enseignement.