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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

3.3 L’ingénierie didactique : une méthodologie qui se fonde sur l’expérimentation en

Dans le domaine de l’éducation, la notion d’ingénierie didactique émerge en premier en didactique des mathématiques (Artigue, 1989). Le recours à cette notion tire sa justification dans la volonté des didacticiens d’établir des liens entre le travail didactique et celui de l’ingénieur : réaliser un projet en s’appuyant sur des connaissances scientifiques et en acceptant un contrôle rigoureux de l’ensemble de la démarche de réalisation du projet. L’ingénierie didactique a donc pour principaux objectifs l’élaboration de dispositifs pour l’enseignement d’un contenu, l’étude d’une notion spécifique et la mise en place de stratégies globales d’enseignement.

3.3.1 Les fondements de l’ingénierie didactique

Musial, et al., (2012), dans une acception plus large, assimilent l’ingénierie didactique à ce que les Anglo-saxons appellent instructional design. À l’instar de Chevallard (2009), ils définissent l’ingénierie comme une activité rationnelle de conception de dispositifs d’enseignement communicables et reproductibles, ce qui fait dire à ces auteurs que l’ingénierie didactique implique nécessairement une description et une justification précises des choix didactiques qui sont faits. Chevellard (2009) distingue deux types d’ingénierie didactique : celle de développement et celle de recherche. L’ingénierie didactique de recherche vise à créer un contexte d’observation propice à l’étude et à la compréhension du fonctionnement didactique alors que l’ingénierie didactique de développement viserait davantage la conception et la validation de contenus d’enseignement en proposant des solutions à un problème didactique identifié. Toutefois, nous pensons que ces deux types d’ingénierie ne s’excluent pas dans les recherches de type collaboratif qui visent à la fois l’analyse et la compréhension d’un objet didactique et le développement professionnel des participants.

Artigue (1996), quant à elle, conçoit l’ingénierie didactique comme une méthodologie de recherche qui se caractérise d’abord par un schéma expérimental basé sur des réalisations

didactiques en classe : la conception, la réalisation, l’observation et l’analyse de séquences d’enseignement. Même si l’ingénierie didactique s’inscrit dans la grande famille des recherches expérimentales, elle se distingue fondamentalement de celles-ci en ce que, contrairement à ces autres types de recherches basées sur l’expérimentation, elle s’appuie sur un processus de validation interne fondée sur l’analyse. En effet, comme le soutient Artigue (1989), les autres types de recherches adoptent très souvent une approche comparative qui repose sur un processus de validation externe. Autrement dit, ces recherches dites expérimentales minimisent l’analyse interne en accordant une primauté à la comparaison entre elles, alors que l’ingénierie didactique vise à analyser et à comprendre, pour chaque séquence d’enseignement, les conditions qui facilitent la transposition des savoirs et leur appropriation par les élèves.

3.3.2 Les phases de l’ingénierie didactique

L’ingénierie didactique comprend quatre phases principales (Artigue, 1989; 1996) : cadrage théorique, conception, observation et analyse des données. La phase de cadrage théorique intervient avant même la conception du dispositif. Elle vise à mener une réflexion théorique et épistémologique qui s’appuie sur les connaissances didactiques déjà acquises dans le domaine. Cette phase, encore dite d’analyses préalables, constitue le socle sur lequel repose le dispositif d’enseignement. Pour Artigue (1996), cette réflexion théorique préalable prend en compte plusieurs éléments :

 l’analyse épistémologique des contenus visés par l’enseignement ;

 l’analyse de l’enseignement usuel et de ses effets ;

 l’analyse des conceptions des élèves, des difficultés et obstacles qui marquent leur

évolution ;

 l’analyse du champ de contraintes dans lequel va se situer la réalisation didactique

effective ;

 la prise en compte des objectifs spécifiques de la recherche (p. 250).

Quant à la phase de conception, Artigue (1996) soutient que c’est durant cette phase que s’élabore le dispositif. Cette élaboration implique que le chercheur prenne en compte deux types de variables : les variables macrodidactiques qui concernent l’organisation globale de l’ingénierie (durée totale, nombre de séances, objectifs généraux…) et les variables

microdidactiques qui, elles, concernent plus spécifiquement des éléments de petite échelle telle l’organisation d’une séance parmi toutes celles qui composent le dispositif. La chercheuse soutient que c’est durant cette phase de conception que s’amorce le processus de validation du dispositif à travers l’analyse à priori des situations didactiques mises en place dans le cadre de la recherche.

Considérée classique, la phase de réalisation et d’observation renvoie à deux moments en un : l’expérimentation à proprement parler par l’enseignant et le regard discret du chercheur. Cette phase est suivie de celle de l’analyse de l’ensemble des données recueillies durant l’ensemble du processus. Cette analyse à postériori, confrontée à l’analyse à priori

faite durant la phase de conception, permettrait selon Artigue (1989) de valider25

l’ensemble de l’ingénierie, car le chercheur en arrive à émettre des hypothèses qui permettent d’étayer, de soutenir et de justifier la recherche.

3.3.3 Les pôles de l’ingénierie didactique

Douady (1994), Artigue (1996), Brousseau (2008) et Chevallard (2009) reconnaissent deux grands pôles à l’ingénierie didactique : le pôle de la conception des dispositifs et celui de l’analyse des pratiques.

Musial et al. (2012) appréhendent le pôle de la conception dans un sens large, car ils conçoivent la conception comme une tâche cognitive complexe qui relève de la résolution de problèmes. Dans un sens plus didactique, la conception renverrait à l’ensemble du processus de planification d’un enseignement. Le pôle de conception prendrait donc en compte les dimensions épistémologique, psycho-socio-institutionnelle et psycho-socio- cognitive, qui renvoient respectivement aux trois pôles du triangle didactique : savoirs, enseignant et élève (Simard et al., 2010, p. 13).

Le second pôle de l’ingénierie didactique renvoie à l’analyse des pratiques d’enseignement. Sur le plan scientifique, cette analyse permet de rendre compte de la manière dont s’enseigne véritablement la discipline. Une telle perspective permettrait aussi, selon ces chercheurs, d’aider à « mieux comprendre comment et par où changent les pratiques d’enseignement et de voir dans quelle mesure elles peuvent contribuer à déterminer des

axes stratégiques pour le travail en formation » (Garcia-Debanc & Lordat, 2007, p. 43). Dolz et Simard (2009) dressent une liste d’éléments que l’on pourrait rattacher à ces pratiques :

 les contenus réellement enseignés ;

 l’organisation et la transformation de ces contenus ;

 l’épistémologie qui fonde le choix des objets traités ;

 les démarches et modes d’interventions des enseignants ;

 les supports, les types d’activités et les formes de travail exploitées.

3.3.4 La place des savoirs dans l’ingénierie didactique

Le traitement des savoirs, leur élaboration, leurs modes de présentation en classe et leur intégration par les apprenants, est au cœur même de la didactique des disciplines en sciences humaines (Simard et al., 2010, p. 12). D’ailleurs, en nous référant au triangle didactique proposé par Halté (1992), les savoirs constituent le pôle central, celui qui fonde et justifie les problématiques d’intervention didactique et d’apprentissage. À ce titre, les savoirs sont au cœur de l’ingénierie didactique, puisqu’à terme, cette ingénierie qui est à la fois un produit et un processus (Daoudy, 1994) vise, à travers les différents apprentissages proposés, à amener des élèves à acquérir des savoirs et à développer des compétences.

Toutefois, il est important de préciser que la notion de savoirs peut avoir plusieurs déclinaisons : savoirs déclaratifs, savoirs procéduraux et savoir-être (Simard et al., 2010). Les savoirs déclaratifs renvoient aux connaissances que les élèves ont des contenus, les savoirs procéduraux renvoient, quant à eux, à la manière de procéder, aux aptitudes ou aux capacités alors que le savoir-être renvoie à l’attitude. Nous retenons plutôt les deux premières acceptions dans le cadre de la réflexion sur l’ingénierie didactique puisqu’elles renvoient, toutes les deux, aux connaissances et aux compétences. Or ces deux notions, comme le soutiennent Simard et al., sont nécessaires l’une à l’autre, car toute mise en œuvre de savoir-faire s’appuie sur des savoirs tout court (p. 108).