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Chapitre 2 : Cadre conceptuel et théorique

2.7 Enseigner la langue et les textes littéraires dans une perspective articulée

2.7.1 Articuler ou décloisonner : une nécessaire clarification théorique

L’enseignement de la langue et celui des textes littéraires constituent le socle de l’enseignement du français. Pour rappel, ce dernier devrait contribuer à faire des élèves des individus capables de lire et comprendre des textes de différents genres, de construire des références culturelles et de maitriser le fonctionnement de la langue. Il y a donc une triple finalité que plusieurs didacticiens (Bronckart, 1999 ; Schneuwly, 2007 ; Soulé & Aigoin, 2008 ; Falardeau & Simard, 2011) considèrent réalisable par le biais d’une articulation des composantes de la discipline. Autrement dit, l’enseignement du français devrait se fonder sur l’articulation de l’ensemble des ressources qui peuvent contribuer à l’amélioration des apprentissages langagiers.

Depuis longtemps, la notion d’articulation est très souvent associée à celle de décloisonnement. L’usage du terme « décloisonnement » remonte aux instructions officielles françaises de 1938 où il est explicitement mentionné que les trois parties de l’enseignement de la discipline français (langue, lecture des textes et initiation à la composition française) ne peuvent pas être séparées (Daunay, 2005). Même si elles peuvent

comporter des nuances terminologiques17, ces notions (articulation et décloisonnement)

sont très souvent évoquées lorsqu’il est question des liens à établir entre les contenus disciplinaires (Bilodeau, 2005). Chartrand et Boivin considéraient d’ailleurs que ces différentes terminologies sont des maitres mots qui renvoient à un même principe : associer autour d’un même objectif les différentes composantes du français. L’usage de l’un ou l’autre de ces termes n’a pourtant en rien facilité la théorisation qui en était faite.

Il nous apparait donc important d’entamer cette réflexion par les acceptions communes de ces deux termes selon une perspective plus générale. Celles-ci nous offriront une perspective plus large à partir de laquelle nous tisserons des liens avec les conceptions qu’en ont les didacticiens.

Pour le nouveau Petit Robert (2010), articuler, c’est organiser des éléments distincts concourant au fonctionnement d’un ensemble. Dans le Dictionnaire actuel de l’éducation, l’articulation est un mode d’organisation et d’enchainement des éléments du discours oral ou écrit (Legendre, 2005). On comprend que cette définition circonscrive la définition à l’enseignement et à l’apprentissage de l’oral et de l’écrit, car ce dictionnaire définit les termes dans une perspective liée au domaine de l’éducation. Cela dit, nous retenons deux éléments importants de ces définitions : l’idée d’organiser et celle de fonctionnement d’un ensemble. Si nous transposons ces définitions à notre champ, les éléments à organiser seraient la langue et la littérature, tandis que l’ensemble serait la discipline français.

S’agissant du décloisonnement, le Multi dictionnaire de la langue française (De Villers, 2009) le définit comme une opération de réduction des structures qui entravent la libre circulation des idées. Pour le nouveau Petit Robert (2010), il s’agit ni plus ni moins d’ôter les cloisons qui séparent deux ou plusieurs éléments. Nous entendons les cloisons comme des barrières ou des obstacles entre différents éléments. Ces deux définitions de la notion de décloisonnement recoupent celle de Legendre (2005) qui conçoit le décloisonnement comme une opération qui consiste à éliminer les barrières traditionnelles qui fragmentent et divisent artificiellement les contenus scolaires.

À travers ces définitions, le principe qui sous-tend l’articulation et le décloisonnement est à priori l’établissement de liens directs entre diverses composantes pour les regrouper dans un ensemble cohérent et organisé. Ramenées à notre champ de recherche, ces notions

renverraient à la volonté de lier les activités de grammaire aux activités littéraires. Pour Bilodeau (2005), le décloisonnement, qui est explicitement mentionné dans les prescriptions ministérielles (MELS, 2007), est une orientation didactique qui vise à ce que les apprentissages en grammaire, en lecture et en écriture se recoupent autant que possible dans une même activité ou séquence d’apprentissage afin de permettre à l’apprenant de faire les liens nécessaires à la construction de ses connaissances et au développement de ses capacités langagières (p. 83).

À la lumière de ces définitions, nous préférons la notion d’articulation à celle de décloisonnement, car la première va au-delà de la simple suppression de barrières que préconise le décloisonnement. Elle implique nécessairement que des liens plus spécifiques soient établis entre l’étude de la langue et celle des textes de manière à ce que le travail réalisé dans l’une des composantes nourrisse et enrichisse celui fait dans l’autre (Biao, 2015). La suppression des barrières que véhicule le décloisonnement n’est, selon nous, pas suffisante pour amener les élèves à percevoir l’utilité des apprentissages langagiers pour la compréhension et l’interprétation textuelles. Nous considérons que le travail sur une notion grammaticale devrait enrichir l’analyse des textes en même temps que celle-ci permet de mieux comprendre le fonctionnement de cette notion. Or, seule l’articulation, contrairement au décloisonnement, pourrait permettre la réalisation d’une telle démarche. Elle va au-delà de la suppression des cloisons pour lier et enrichir mutuellement les différents apprentissages.

En didactique du français, il le terme « articulation » signale avant tout une orientation institutionnelle (Chartrand & Boivin, 2005 ; CIIP, 2006 ; 2010) préconisant des liens étroits entre le travail sur la langue et celui portant sur la production et la compréhension textuelles. Barré-De Miniac (1995, 111-112) citée par Chartrand et Boivin renvoie aux années soixante-dix l’affirmation de la nécessité d’articuler lecture et écriture par les initiateurs du mouvement de la rénovation en France.

En définitive, nous retenons que l’articulation est un principe qui commande que des interactions soient faites entre la langue et la littérature, entre la lecture et l’écriture, entre la grammaire et l’écriture, entre la grammaire et la lecture, entre l’oral et l’écrit pour mieux assurer le développement des compétences langagières des élèves. Les interactions à faire

doivent éviter une instrumentalisation des apprentissages, favoriser une autonomie relative des composantes et elles doivent se réaliser dans le cadre de dispositifs didactiques. De fait, il ne peut en aucun cas s’agir d’intégration (Legendre, 2005 ; Marmy-Cusin, 2012), puisque le principe même de l’intégration est de dissoudre une composante dans l’autre. Or, on ne peut articuler que des composantes qui ont une autonomie relative. Nous réfutons donc l’idée d’intégration que nous jugeons à la fois inappropriée, réductrice et contre-productive. En tenant compte des différents objets à travailler dans la classe de français, l’approche d’articulation pourrait, dans une certaine mesure, partir du texte comme élément unificateur qui organise l’ensemble de l’enseignement de français et qui lui donne sens (CIIP, 2006; 2010). Toutefois, comme le soulignent de Pietro et Wirthner (2004), cette articulation est rendue difficilement opérationnalisable dans la classe pour deux raisons : (1) il est peut-être ambitieux ou illusoire de vouloir couvrir le programme en français exclusivement via la production ou la compréhension de texte et (2) il n’existe à ce jour pas de programme articulé de grammaire en lien avec les activités sur les textes. Dans une telle perspective, l’ingénierie didactique collaborative visant à voir la manière dont une telle approche s’opérationnalise dans la classe prend tout son sens.