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Chapitre 2 : Cadre conceptuel et théorique

2.5 Les finalités de l’enseignement littéraire

La question des finalités de l’enseignement de la littérature n’est pas univoque. Toutefois, quelles que soient l’époque et la société de référence, la littérature a toujours occupé une place importante, car elle joue à la fois un rôle de « modèle langagier » et de « vecteur de la culture » (Dufays et al., 2005). Nous nous proposons de nourrir notre réflexion sur les enjeux et finalités de la littérature à partir de celles qu’ont menées Bronckart (1999), Richard (2004), Simard et al. (2010) et Sauvaire (2013).

Bronckart (1999) entame son propos sur les finalités de l’enseignement littéraire par une réflexion sur les thèses romantiques qui considèrent que la littérature n’est pas didactisable et qu’elle ne s’enseigne pas. Les défenseurs de cette thèse considèrent en effet que ce qui importe dans la littérature, c’est son caractère ludique et gratuit : le chercheur cite en exemple l’ouvrage de Pennac, Comme un roman paru en 1992 qui met justement l’accent

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Langlade et Fourtanier entendent par activités fictionnalisantes les multiples déplacements de fictionnalité dus à l’implication des lecteurs.

sur ce caractère totalement distrayant de la littérature. Autrement dit, le plaisir serait donc l’élément prépondérant de l’objet littéraire. Le didacticien réfute cette thèse et s’inscrit dans une approche plutôt sociologique de la littérature. Il considère en effet que le plaisir dont parlent les défenseurs de la thèse romantique est très souvent absent chez les élèves. Il serait donc à construire. Ainsi, selon lui, le plaisir serait en ce sens un effet de la connaissance et non une de ses conditions. Cet aspect l’amène à considérer la littérature comme un instrument et un lieu d’évaluation de l’activité humaine, donc un objet enseignable.

En rupture avec les conceptions romantiques de la littérature, Bronckart (1999) attribue

cinq finalités16 à l’enseignement de la littérature. Il considère d’abord que l’enseignement

de la littérature devrait contribuer à la formation de la personne. Le terme formation renvoie ici à un sens large. Il renvoie en effet aux théories de l’interprétation des actions humaines qui tendent à transformer en personne tout agent actif. La deuxième finalité est liée à la première puisqu’il considère qu’en définitive l’enseignement de la littérature doit aider à la construction de la socialité. Il suggère que cet enseignement se fasse notamment par une confrontation aux textes en vue de rendre explicite la manière dont une question aurait été abordée par différentes générations. Ces finalités nous semblent beaucoup trop théoriques, donc beaucoup trop éloignées des préoccupations de l’enseignant de français. Nous ne nions pas le fait que les réflexions théoriques doivent permettre de mettre en place des dispositifs beaucoup plus pratiques et spécifiques. Mais, en plus du fait que ces deux premières finalités auraient pu être combinées, nous pensons que l’auteur aurait pu être plus précis dans la manière dont l’enseignant de français pourrait aborder les textes littéraires dans sa classe. Selon nous, ce qui pose problème pour ces deux premières finalités, c’est la difficulté à en mesurer l’atteinte. Or l’enseignant de français doit pouvoir mesurer l’atteinte des objectifs liés à l’enseignement de la discipline. Comment peut-on mesurer qu’une personne est bien formée humainement ou qu’elle se socialise ? Comment l’évalue-t-on dans une classe du secondaire avec 32 élèves de 13-14 ans ?

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Nous n’en voyons ici que 4, parce que la cinquième ne semble pas pertinente, du moins par rapport à notre objet de recherche : la littérature comme moyen d’entrer dans le débat philosophique.

L’enseignement de la littérature, soutient Bronckart, devrait permettre aussi de susciter et de nourrir des débats sur la diversité sociale et culturelle. Cet objectif pourrait se réaliser en confrontant les élèves à des corpus de textes universels, nationaux et régionaux. Notre thèse, par sa nature même, intègre pleinement cette dimension, notamment dans le choix du corpus commun pour le Québec et la Suisse.

Enfin le didacticien considère que l’enseignement de la littérature doit avoir pour finalité la formation linguistique, en ce sens qu’elle doit permettre de mettre en évidence les multiples possibilités de structuration et de restructuration des ressources de la langue qui sont mises au service de l’activité communicative ou discursive. Aaron et Viala (2002) soutiennent aussi cette finalité. Considérant que le littéraire est un lieu où la langue est en travail (p. 14), ces derniers affirment que l’enseignement des textes littéraires est traversé par des objectifs généraux d’apprentissage de la langue, de savoir-faire dans l’ordre de l’argumentation et de la construction d’un discours. Il apparait alors qu’une des finalités de l’enseignement de la littérature est donc d’aider les élèves à maitriser leur langue maternelle (Aaron & Viala, 2002).

Simard et al. (2010) considèrent que l’enseignement de la littérature poursuit cinq enjeux non hiérarchiques : familiariser les élèves avec l’institution littéraire et ses productions ; susciter une réflexion « méta » sur le fait littéraire, ses enjeux, ses valeurs ; transmettre des références culturelles communes ; développer une compétence interprétative et évaluative adaptée à la littérature et favoriser la pratique de la littérature. Ces enjeux nous paraissent, tous autant qu’ils sont, raisonnables, réalistes et légitimes. Toutefois, dans le cadre de la réflexion que nous menons dans cette recherche, il nous semble important de marquer un point d’arrêt sur un d’entre eux.

L’enjeu sur lequel porte notre réflexion est celui qui consiste à considérer la littérature comme un moyen d’amener les élèves à développer une compétence interprétative et évaluative. Cette visée de l’enseignement de la littérature rejoint notamment la nécessité de faire des élèves des lecteurs actifs qui contribuent à construire le sens du texte. Fourtanier et Langlade (2007) proposent que l’enseignant soumette les élèves à un questionnement qui permette d’interroger leur imaginaire et les concrétisations imageantes qu’ils ont faites durant la lecture. Pour ces chercheurs, cela reviendrait à questionner les élèves sur les

images qu’ils associent aux lieux évoqués dans l’œuvre lue, sur les images qu’ils se font des personnages et sur la manière dont ils se représentent les événements. Un tel exercice d’interprétation, en plus de permettre une réflexion sur l’humain et ses comportements, pourrait permettre d’amener les élèves à développer leurs capacités de compréhension et d’interprétation textuelles. Il s’agit ici, pour paraphraser Ronveaux (2018), de donner du sens à un texte. S’inscrivant dans la lignée de Giasson (1990), ce chercheur considère aussi que le sens d’un texte se construit par le biais de l’interaction entre le texte et le lecteur. Celui-ci doit donc dépasser les contraintes lexicales, syntaxiques et textuelles pour comprendre et interpréter le texte.

Pour Richard (2004), l’enseignement de la littérature et des textes littéraires devrait permettre, au niveau de l’école secondaire, de former des lecteurs lettrés. Référant à Legros (2001), Canvat (1999) et Rouxel (1996), elle définit le lecteur lettré comme celui qui est capable d’adopter une posture qui le maintient à distance du texte et qui convoque aussi son expérience esthétique. En définitive, selon Richard, l’enseignement des textes littéraires au secondaire devrait permettre de former des élèves capables de lire, de comprendre et d’interpréter des textes de différents univers; de développer leurs compétences langagières et de s’ouvrir à la différence. Cette conception est partagée par Sauvaire (2013) qui lie étroitement les finalités cognitives aux finalités subjectives lorsqu’il est question des enjeux de la lecture littéraire. Même si elle accorde une plus grande place à la subjectivité, qui est pour elle la porte d’entrée dans la réflexivité, la chercheuse soutient en effet que dans l’acte de lecture, les compréhensions du sens du texte et du soi sont concomitantes. Elle note par exemple que les ressources d’ordre socioculturel peuvent influencer la production des interprétations, car elles sont liées aux ressources psychoaffectives (p. 324).

Ces différentes réflexions montrent combien enseigner la littérature présente moult enjeux, car elle est un art riche de représentations du monde et de l’homme, mais aussi un répertoire de références communes susceptibles d’apparaitre comme une « grammaire culturelle » indispensable au déchiffrement du monde social et culturel contemporain (Dufays et al., 2005). De plus, elle constitue un moyen d’accès privilégié aux diverses formes que peut prendre le langage.