Chapitre 4 : Résultats des deux premières phases de la recherche portant sur la fable
4.1 Analyse préalable de la fable : genre, objets et corpus
4.1.3 La détermination et l’analyse préalable de notre corpus
Après avoir identifié les principales caractéristiques du genre de la fable, nous avons
déterminé et analysé un corpus provisoire avant de le soumettre à Isabelle62 de Lévis pour
l’analyse conjointe et la validation. Nous avons, dans un premier temps, sélectionné un ensemble de textes puis analysé chacun d’eux à partir des dimensions identifiées dans la PDA, dans le PER et dans les caractéristiques des 50 genres de Chartrand et al. (2013). Le tableau ci-dessous fait la synthèse des textes choisis et des dimensions que nous y avons identifiées.
Tableau 10 : Synthèse de l'analyse préalable des dimensions de la fable
Texte63 Dimensions enseignables
Le corbeau et le renard
Structure narrative (situation initiale, élément déclencheur, péripéties, dénouement, situation finale)
Discours rapportés
Figures de style (métaphore)
Types de phrases (phrase exclamative pour exprimer les sentiments, les jugements et les émotions
Les caractéristiques des personnages La morale de l’histoire
Analyse des adjectifs et de la ponctuation Lexique : termes modalisateurs
Le laboureur et ses enfants
Structure narrative (situation initiale, élément déclencheur, péripéties, dénouement, situation finale)
Les personnages La morale de l’histoire Structure des phrases
Lexique pour analyse thématique de la valeur travail Le loup et l’agneau La cohérence textuelle (la reprise de l’information)
Les séquences textuelles La morale de l’histoire
Les caractéristiques des animaux La cigale et la
fourmi64
Structure narrative (situation initiale, élément déclencheur, péripéties, dénouement, situation finale)
Types de phrases : phrase interrogative La morale de l’histoire
Inversion du sujet Le renard et la
cigogne
Structure narrative (situation initiale, élément déclencheur, péripéties, dénouement, situation finale)
Séquences textuelles (narratives, descriptives et
dialogales) Les personnages Discours rapportés Lexique : synonymie
Les modes et temps verbaux
L’étudiant ayant
chômé toute l’année65 Nous ne l’avions pas sélectionnée dans notre corpus initial. Nous n’en avons donc pas fait l’analyse préalable.
63 Toutes les fables que nous avons retenues sont de Jean de La Fontaine à l’exception de la dernière du
tableau.
64 Nous avons fait une analyse préalable des dimensions exploitables dans cette fable, mais elle n’a pas été
retenue lors de la détermination conjointe du corpus avec l’enseignante. Nous avons fait le choix, avec l’enseignante d’exploiter deux fois les fables le loup et l’agneau et le renard et la cigogne pour avoir l’occasion d’en approfondir l’analyse. Toutefois, l’enseignante a proposé un autre texte en remplacement de cette fable.
Comme le montre le tableau 10, plusieurs éléments sont récurrents d’une fable à l’autre : l’étude de la structure narrative, l’étude des personnages, l’analyse de la structure syntaxique des phrases et l’analyse lexicale des termes qui modalisent ou qui permettent de dégager la thématique de chaque texte. Ces éléments dont l’analyse s’impose d’un texte à un autre permettent d’étudier la dimension narrative ou la visée argumentative de la fable. Nous présentons ici, de manière plus spécifique, l’analyse de la fable le loup et l’agneau à la lumière des différentes caractéristiques que nous avons relevées dans la PDA, le PER et les caractéristiques des 50 genres de Chartrand et al.
Le loup et l’agneau 66
La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous allons le montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. - Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle, Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson. - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tète encore ma mère. - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens : Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens. On me l'a dit : il faut que je me venge.
65 Texte de Linda Corriveau, tiré de Québec français, numéro hors-série, hiver 2000 p. 63, proposé par
Isabelle, l’enseignante co-auteure de la séquence en remplacement de la fable la cigale et la fourmi.
Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
À l’analyse de cette fable, nous avons relevé en jaune la présence de sept différents termes qui reprennent totalement ou partiellement le groupe nominal le loup. Ces reprises, de natures diverses, permettent d’éviter les répétitions pouvant alourdir le texte ou le rendre incohérent. Nous avons donc identifié la cohésion comme première dimension à travailler dans cette fable.
Ensuite, nous avons observé que dans ce texte, La Fontaine construit la trame narrative autour de l’échange entre les deux personnages. Même si la structure textuelle dominante est la narration, les séquences dialogales (en turquoise) sont très présentes ici. L’analyse des dialogues et de leur insertion dans un texte à dominante narrative paraissait donc intéressante à travailler. Une telle perspective, en plus d’aider les élèves à saisir le sens global du texte en lecture, les aiderait à s’approprier les mécanismes de combinaison de différentes séquences textuelles dans un même texte, et donc à pouvoir les transférer dans leurs propres textes.
Finalement, cette fable ne déroge pas à la règle et a, comme toutes les autres, une visée argumentative qui se caractérise par la formulation de la morale de l’histoire : dimension éthique. Toutefois, dans cette fable, la morale est formulée au début (en mauve) contrairement à la plupart des fables du corpus. Ce choix de l’auteur donne en effet une dynamique différente au reste du texte, puisque la narration et les échanges qui suivent visent à confirmer cette morale de départ. La construction de la fable est donc quelque peu différente : nous avons décidé d’en proposer l’analyse à l’enseignante.
Sur le plan syntaxique, nous avons aussi relevé la construction particulière de certaines phrases (Et que la faim en ces lieux attirait ; Dit cet animal plein de rage) qu’il serait pertinent d’analyser avec les élèves en partant du modèle de la phrase de base.
Nous pensons qu’en travaillant ces différents phénomènes langagiers et textuels, nous pouvons enrichir la compréhension de cette fable. Par exemple, l’analyse fine des reprises de l’information permettrait d’identifier les différents personnages et d’associer chacun
d’eux à des actions bien précises. L’élève saisirait alors mieux la nature des relations entre le loup et l’agneau. Il en est de même pour l’analyse des séquences dialogales. Elles aideraient les élèves à comprendre le système d’énonciation et la trame narrative, donc à retracer la chronologie des faits. Dans ces deux cas, il y aurait un va-et-vient entre le travail d’analyse du texte et le travail langagier qui présente un double intérêt : compréhension de la fable et maitrise des ressources textuelles, grammaticales et syntaxiques impliquées dans cette fable.