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Représentation spatiale de l’implantation chinoise aux Deux Plateaux (Cocody)

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 55-60)

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Si le domaine de la santé est particulièrement représenté aux Deux-Plateaux, la restauration est également l’une des caractéristiques de la rue des Jardins. Restaurants vietnamiens, thaïlandais et japonais côtoient deux établissements chinois, l’Asia et l’Escale des Jardins (Annexe III). Les propriétaires du restaurant Asia, originaires de Shanghai, ont ouvert leur restaurant en 2006. Ils emploient une jeune femme, Li Na, 26 ans, shanghaïenne et vivant en Côte d’Ivoire depuis 2005. Cet emploi de serveuse lui permet de rentrer une fois l’an en Chine rendre visite à sa famille. Ce n’est pas le cas des deux jeunes femmes travaillant à l’Escale des Jardins. Wang Fei et Zhong Huaishuang, 22 et 20 ans, originaires du Xinjiang et du Henan, sont arrivées en 2010 et 2011 et sont rentrées en 2012 et 2013, une fois leur contrat achevé dans ce restaurant, ouvert en 2003. Deux restaurants supplémentaires sont situés dans le quartier Mermoz, au Sud des Deux-Plateaux. Le Pékin, dirigé par la famille Xin du Shandong23, reçoit notamment les fonctionnaires de l’ancienne Ambassade, à quelques encablures de l’établissement. Le Quatre saisons, vaste complexe hôtelier également nommé Hôtel Horizon, dispose d’un restaurant de 80 places, de chambres et d’appartements ; il organise par ailleurs des mariages et le Nouvel An chinois24

.

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Se reporter également au point B de ce chapitre.

24 L’Hôtel Horizon est référencé sur le site Internet www.hotels.ci (http://www.hotels.ci/hotels/?id=597). Le Centre d’acuponcture du couple Wang, la CICA et le panneau publicitaire du Cabinet

Suzana (ou Suzanna) aux Deux-Plateaux. Abidjan (Cocody). Abidjan. Mars 2009.

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Plusieurs commerces sont enfin établis dans ce quartier. D’après les recherches effectuées, ils seraient au nombre de quatre, dont un bar-salon de massage, ce dernier étant la propriété de Mme Huang Yin (ou « Lina »), secrétaire de l’ARCCI. Mitoyen du « bar climatisé chinois », un petit supermarché chinois appartenant à M. Huang Shaomin, 25 ans, propose divers articles aux clients s’arrêtant chez Mme

Huang. Originaire du Fujian et installé en 2010, il compte rentrer en Chine en 2014. Il semble avoir remplacé Li Liang, vendeur de matelas entre 2008 et 2010. Celui-ci a rejoint sa femme – sans activité – et ses parents, également vendeurs de matelas chinois à Riviera (Est de Cocody et site de la nouvelle Ambassade chinoise). Produit recherché – car onéreux dans les centres commerciaux libanais –, le matelas est également la marchandise vendue par Xié Xiémai, installée à la limite d’Aghien au Nord des Deux-Plateaux. Gérante du commerce Senior le printemps chinois et âgée de 45 ans, accompagnée de ses enfants, elle a retrouvé son mari, propriétaire d’un commerce à Adjamé et installé en 2008. Elle souhaiterait néanmoins rejoindre Shanghai rapidement, en 2014 si possible. Dernier commerce du quartier des Deux-Plateaux, le magasin Las Palmas. Véritable vitrine d’une Chine manufacturière à bas prix, ce magasin ayant auparavant appartenu à un Directeur général de la BAD (Banque africaine de développement) est en partie endommagé par la crise post-électorale de novembre 2010 et par les intempéries. La responsable, dont le patronyme n’est pas ici précisé, possède une boutique à Adjamé et s’est installée à Abidjan en 2006, avec son fils.

Considérés en tant que groupe économique territorialisé et ayant développé leurs sociabilités par et autour des réseaux commerciaux et entrepreneuriaux, ces ressortissants chinois installés aux Deux-Plateaux ne peuvent être – totalement – comparés à leurs homologues implantés à Dakar et a fortiori, au sein du quartier Gibraltar. Les situations ne sont pas exactement les mêmes : à Dakar, ces migrants se sont approprié cet espace urbain (Gibraltar) tant est si bien que le terme Chinatown peut être apposé à ce territoire contigu du

Chinamarket (boulevard de Gaulle). Aux Deux-Plateaux, l’installation est certes et a

également pour origine un choix effectué par les premiers locataires chinois, mais elle s’est davantage effectuée selon un concours d’éléments favorables précédemment décrits ; le facteur principal restant la renommée d’Adjamé, commune considérée comme « dangereuse » par plusieurs commerçants interrogés. En revanche, le territoire dit du « Quartier rouge » ivoirien, condensé du boulevard du Centenaire dakarois, permet cette comparaison avec l’activité commerciale chinoise exercée au sein de la capitale sénégalaise. Une comparaison, mais non une similitude, car l’espace stratégique occupé par les marchands chinois dakarois présente une concentration d’activités peu transposables : la configuration de la presqu’île du Cap-Vert n’offre pas d’espaces assez vastes pour accueillir un Chinamarket élargi. Il serait dans l’obligation de se déplacer, en périphérie par exemple. Ce n’est pas le cas d’Abidjan, vaste métropole où la présence des commerçants chinois à Adjamé est davantage le fait de facteurs historiques et pratiques que née d’une réelle stratégie ou volonté.

En schématisant, et si les commerçants d’Adjamé sont, en paraphrasant Sylvie Brédeloup (1991), des « solitaires » qui s’inscrivent, de par leurs parcours migratoires et leurs activités dans la « solidarité », les « Fils du Ciel » qui exercent aux Deux-Plateaux une activité localement mieux acceptée et socialement plus élevée, sont ainsi des « solidaires » – puisque mieux intégrés et acceptés, tant par les Ivoiriens que dans le « groupe social » chinois. Ils peuvent néanmoins être perçus comme étant dans une relative « solitude », puisqu’ils ne pratiquent pas quotidiennement et autant leurs compatriotes installés dans les commerces d’Adjamé. Dans tous les cas en revanche, « l’universalisation culturelle suscite par contrecoup une tendance à la communautarisation qui oscille entre des mouvements d’ethnicisation et des mouvements d’agrégation des pairs » (Mongin, 2007 : 57-58).

Le quartier des Deux-Plateaux élargit le spectre de la présence chinoise en Afrique de l’Ouest francophone. L’analogie avec Bamako, ses hôtels-restaurants et ses activités chinoises

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variées (services) est évidente. Une diversification étonnante étant donné la récence des relations sino-ivoiriennes par rapport aux relations sino-maliennes. Mais le marché bamakois et malien ne pouvant être comparé à celui de la mégapole ivoirienne, il est aisé d’imaginer l’attractivité de cette dernière où le « monopole commercial » libanais s’est fissuré à l’aube de l’an 2000, à l’image de Dakar. Si plusieurs dizaines d’entrepreneurs chinois sont recensés à Bamako, la comparaison avec Abidjan s’arrête ici, car le nombre d’entreprises immatriculées au Plateau et à Marcory, en sus de Cocody, laisse présager d’investissements et d’une influence chinoise croissante et finalement proportionnelle aux opportunités du marché ivoirien, dont Le Plateau est la vitrine.

De fait, la présence d’acteurs économiques chinois, d’entreprises et de sièges sociaux, n’est pas une surprise au sein de ce lieu central que constitue Le Plateau. En revanche, les activités recensées en Zone IV, à Marcory, peuvent paraître plus surprenantes, eu égard à leurs natures notamment.

B. Le Plateau abidjanais et Marcory, symboles des nouvelles activités chinoises

Considérés comme des territoires secondaires de l’implantation humaine et économique chinoise à Abidjan, Le Plateau et la Zone IV, quartier de Marcory, n’en présentent pas moins plusieurs intérêts analytiques. Ils forment, avec Cocody, des zones résidentielles et d’activités privilégiées et privilégiant les foyers aisés. Le Plateau, centre commercial et financier, politique et administratif, requiert de ce fait une attention particulière, bien que les « présences » chinoises y soient limitées.

i. Sur Le Plateau abidjanais, Huawei et les autres

Le commerce de Mme Lu Tao (Annexe III), situé dans la rue Colomb (Carte IX), est la seule activité commerciale indépendante chinoise proprement dite au Plateau. Quinquagénaire, elle est originaire de la province du Hunan (Sud-Est). Installée entre le supermarché Cash Center et la Société générale de banque de Côte d’Ivoire (SGBCI), elle bénéficie de la clientèle des wôrô-wôrô (taxis communaux) stationnés sur cette voie. Mme Lu vend essentiellement des chaussures, des médicaments et de l’alimentaire (nouilles et nems). Logeant au Plateau – cas unique à notre connaissance – Mme Lu est arrivée en 1999 en Côte d’Ivoire en investissant dans les secteurs de la riziculture et de la pêche. Peu lucratifs, sources de conflits (point B du Chapitre II) ou concurrencés par l’État chinois lui-même (Chapitres III et IV), elle s’est donc tournée vers le commerce. Intégrée, bredouillant le français et quelques formules baoulés, elle est de fait la seule commerçante à avoir un accès direct aux classes moyennes supérieures du Plateau. Cette clientèle relativement aisée, travaillant majoritairement dans le secteur privé, lui procure des marges substantielles et supérieures à ses confrères d’Adjamé (environ 20 % pour une paire de chaussures).

Un commerce est également visible à proximité de la Cité administrative, au Nord du Plateau. Ce snack, vendant des sandwichs et des nems aux fonctionnaires ivoiriens « descendus » pour la pause déjeuner, était, en 2009 et 2010, loué par Mme Fāng, originaire de

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Shanghai. Fermé fin 2011, il employait une jeune ivoirienne, Mathilde. Cette dernière gagnait 30 000 FCFA25 (environ 45 €) par mois et œuvrait 45 heures hebdomadaires. Elle se rendait, en sus, le samedi chez la famille Fāng, aux Deux-Plateaux. Dans leur logement, elle s’occupait principalement du ménage et de la cuisine, fait étonnant et atypique étant donné l’aversion généralisée des ressortissants chinois envers la cuisine locale.

Sur Le Plateau et plus généralement en Afrique de l’Ouest, l’émigré asiatique est systématiquement décrit comme un « Chinois » – à l’image de Paris, 13e arrondissement. Or, les deux vendeurs de nems implantés dans cette commune – ainsi qu’un troisième en Zone 4C, à l’angle de la rue Clément Ader et du chevalier de Clieu – sont bien Vietnamiens. Une appréciation erronée participant aux représentations inhérentes aux présences chinoises en Afrique de l’Ouest. Ainsi, les restaurants thaïlandais, vietnamiens ou coréens de la rue des Jardins sont communément assimilés aux restaurants chinois. Les entreprises nationales chinoises et les ECC (entreprises à capitaux chinois) immatriculées sur Le Plateau ne souffrent, quant à elles et par conséquent, jamais de cette comparaison, de cet amalgame.

Des multinationales (Huawei et ZTE) aux petites entreprises (Zhang Lotus Limited ou

Sunshine Agricole), treize entreprises sont ainsi enregistrées sur le registre du commerce

ivoirien. Elles se sont majoritairement implantées en 2008 (quatre entreprises) et 2011 (trois entreprises). Il s’agit, pour plusieurs d’entre elles, d’un simple bureau de liaison (ZTE26

et

Tasly), voire, d’une boîte aux lettres (Zhang Lotus Ltd). D'autres disposent de véritables

locaux modernes, à vocation sous-régionale, telle Huawei, qui a par ailleurs installé un Data

Center à Grand-Bassam. La présence discrète et marginale de ces entreprises sur ce territoire

abidjanais témoigne cependant d’une réelle diversification des activités et des investissements chinois en Côte d’Ivoire, et au-delà. Le commerce (import-export) reste le principal secteur d’investissement des entreprises implantées sur Le Plateau, il représente huit entreprises sur treize. Certaines varient cependant leurs activités, telle la Jiangsu Provincial Construction

Group Côte d’Ivoire SARL27

qui indique, dans son avis de constitution, un objet pour le moins hétérogène : « Import et Export de marchandises diverses, de Matériaux de construction, les travaux de construction et promotion immobilière, Assainissement, VRD, Électricité, les Études, Génie civil, Réhabilitation de route, Exploitation minière »28. Opérant notamment au Liberia, en Guinée (Conakry), au Congo (Kinshasa) et en Micronésie, ce groupe public, dont le siège social est basé à Nanjing, la capitale de la province homonyme, n’a pas encore réalisé d’opérations d’envergure en Côte d’Ivoire29

.

Parmi les dirigeants chinois ayant inscrit leurs entreprises sur Le Plateau abidjanais, deux personnes physiques possèdent plusieurs compagnies. M. Wang Bin, aux deux entreprises enregistrées en août 2008 (CRAA International-Côte d’Ivoire et Fametal Mining

and Resources-Côte d’Ivoire), a créé plus récemment, en février 2012, la Gold Dragon Resources Côte d’Ivoire. Investisseur et philanthrope, M. Wang – résidant boulevard

Haussmann à Paris – est co-président du projet « Espoir Chine-Afrique » et par ailleurs, président de l’Association de développement économique et culturel de Shanghai-France30.

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Soit, un peu moins que le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) ivoirien en 2010 (établi à 36 000 FCFA en janvier 2012, 55 €).

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Ou Zhongxing Telecom, également présente au Mali, au Ghana, au Bénin et au Burkina Faso (État reconnaissant Taiwan). Source : http://wwwen.zte.com.cn/en/about/global_sales_offices/middle_east_africa/

27 Société à responsabilité limitée. Statut de 11 entreprises domiciliées sur Le Plateau abidjanais (hors ZTE et Huawei).

28

Annonces légales ivoiriennes (site Internet Abidjan.net).

29 Selon la Chambre de commerce et d’industrie ivoirienne et les recherches effectuées. 30

Ses investissements, dans une dizaine d’États africains, sont orientés vers l’extraction minière. La plate-forme « Espoir Chine-Afrique » finance la construction d’écoles en zones rurales et, chemin faisant, promeut la culture chinoise (http://www.focac.org/fra/zxxx/t865706.htm).

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Mme Xu Jianhui assure la direction de la Nouvelle Entreprise Double Elephant SARL (N.E.D.E.) et de la Compagnie internationale de transport terrestre-Côte d’Ivoire (C.I.T.T- C.I.), domiciliée à Bouaké au Centre de la Côte d’Ivoire. Enfin, le cas de Li Chaodong, gérant de la Sunshine Agricole, est légèrement différent. Il possède un bureau dans la résidence Atta, à proximité de l’Ambassade de France. Le siège social de sa société est, lui, inscrit à Koumassi, commune du Sud-Est d’Abidjan.

Carte IX : Représentation spatiale des entreprises chinoises et d’ECC

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 55-60)