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L’envers du décor des huáqiáo en RCI : conflits, scandales et rivalités

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 92-105)

Document III : Les représentations chinoises du continent africain

B. L’envers du décor des huáqiáo en RCI : conflits, scandales et rivalités

La Chine, en qualité d’État et d’économie, et ses ressortissants installés à l’étranger et en l’occurrence en Côte d’Ivoire, suscite un certain nombre de différends et d’impacts sur le territoire étudié. Certains en deviennent des scandales, la médiatisation de pratiques contestables et à but strictement capitalistique entraînant de multiples prises de position. Autant dire que l’ensemble des conflits, des scandales et des rivalités décrites se révèle peu bienveillant à l’égard des principaux protagonistes impliqués. Toutefois, les productions médiatiques et les représentations dénoncent fréquemment un acteur aussi informe, confus et indéfini qu’est la « Chine », représentée comme le vecteur majeur de la contrefaçon, de marchandises néfastes pour la santé, qui ne respecte que rarement la législation locale, pillant les ressources halieutiques, voire, comme le fer-de-lance de pratiques mafieuses… Parfois, les diatribes recensées dans la presse locale s’orientent vers des personnes physiques ou morales, celles-ci n’échappant aucunement à l’insécurité de la capitale économique ivoirienne. Enfin, la « Chine » est, dans certains cas, victime de basses manœuvres ivoiro- ivoiriennes, notamment au niveau politique. En tout état de cause, l’ensemble de ces acteurs, chinois comme ivoiriens, ne peut être qualifié comme des parangons de probité.

i. Les scandales suscités par la « Chine » et ses huáqiáo

La Chine, atelier du monde et prestataire de services, s’employant à devenir l’atelier d’assemblage mondial en tête du « circuit intégré asiatique », actuelle seconde puissance économique insérée dans l’économie mondiale et y participant à hauteur d’un produit sur

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dix85, ne bénéficie pas toujours d’une excellente réputation sur le continent africain. Ses marchandises exportées contribuent ainsi au principal paradoxe de cette extraordinaire fabrique à bas prix. Les principaux reproches adressés à ce « partenaire » sont donc prioritairement d’ordre matériel où la qualité des produits et des ouvrages est fréquemment pointée du doigt. Ce fut le cas pour la première et symbolique réalisation chinoise en Côte d’Ivoire, le Palais de la Culture, surplombant la lagune Ébrié. L’Hôtel des députés de Yamoussoukro86 n’échappe pas au phénomène, par ailleurs entendu et pris en considération dans plusieurs autres États subsahariens. Qu’il s’agisse de matériaux bruts ou travaillés, de machines ou d’objets de consommation, c’est bien l’ensemble du spectre productif et manufacturier chinois qui est (re)mis en cause.

Reflet de l’opinion, la presse ivoirienne fait largement état de ces cas de figure. S’il est avéré que de nombreux défauts ou manquements caractérisent ces Made in China, dont la qualité est pour le moins sommaire en Afrique de l’Ouest, l’engouement populaire lié à ce type de marchandises à faible coût – d’achat – est au moins proportionnel aux représentations développées et diffuses dont ces produits font l’objet. Si ces chaussures, ces assiettes ou ces bicyclettes contentent la majorité des Ivoiriens au faible pouvoir d’achat, le point d’achoppement se trouverait plutôt en amont, dans les chaines de productions, derrière ces dernières, dans les impacts disparates, mais substantiels causés à l’environnement et à l’égard des consommateurs.

Il peut en effet s’agir de produits de consommation courante et en particulier nutritionnels (cas du lait contaminé à la mélanine), de préparation pharmaceutique (toxicité de médicaments chinois) ou de textiles (présence de formaldéhyde sur les vêtements)87 : l’Afrique subsaharienne, la destination privilégiée de marchandises chinoises nocives.

Si la médecine chinoise est désormais reconnue depuis 1999 et intégrée à une association (Association nationale des auxiliaires de la médecine chinoise en Côte d'Ivoire, ANADAMCI), cette démarche fut davantage imposée par l’urgence de la situation sanitaire que réfléchie et organisée. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), les contrefaçons de médicaments représentent 10 % du marché mondial, mais près de 25 % pour REMED (Réseau médicaments et développement)88 dans « les pays en voie de développement ». De plus, environ 60 % seraient vendus dans ces « pharmacies par terre », ces étals ou nattes posées à même le sol où les revendeurs affichent sans complexes leurs marchandises assujetties aux aléas climatiques et sanitaires. Parmi ces marchandises, à Yamoussoukro, à Gagnoa et surtout à Adjamé – où se trouve le principal marché de médicaments – un nombre non négligeable a pour origine la Chine ou l’Inde. Ces deux États produiraient à eux seuls 70 % de la contrefaçon mondiale selon le Pharmaceutical Security Institute. C’est d’ailleurs ce que relatent un certain nombre d’articles89. Un avis corroboré et sans équivoque du président de l’Ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire :

85 Environ un produit sur dix exporté dans le monde est fabriqué sur le territoire chinois. 86

LOUAMY Jack, « Chantiers de Yamoussoukro: Les "chinoiseries" se dégradent »,

Rezoivoire.net, 23 février 2007, http://www.rezoivoire.net/news/enquete-article/1629/chantiers-de- yamoussoukro-les-chinoiseries-se-degradent.html

87

STANISLAS, Djama, « Côte d'Ivoire: Affaire "vêtements chinois empoisonnés" - La Côte d'Ivoire se met en alerte », Allafrica.com, 24 août 2007, http://fr.allafrica.com/stories/200708270136.html

88 REMED, Étude pilote menée sur le marché illicite des médicaments en Côte d’Ivoire, http://www.remed.org/c

andice3.pdf

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LOUAMY Jack, « La médecine chinoise inonde le marché », Rezoivoire.net, 9 octobre 2006,

http://www.rezoivoire.net/news/enquete-article/1258/la-medecine-chinoise-inonde-le-marche.html

KOUADIO, Théodore, Santé publique: La médecine chinoise peut-elle aider les populations ?, Fratmat.indo, 25 janvier 2012, http://www.fratmat.info/component/content/article/69-slide/14766-sante-publique-la- medecine-chinoise-peut-elle-aider-les-populations-.html

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« Pour les médicaments chinois, ils sont illégaux. Les Chinois ne peuvent déverser ces produits contrefaits et trafiqués que dans nos pays pauvres, sans que les autorités de répression ne lèvent le petit doigt. Nous sommes contre ces médicaments et nous les dénonçons »90.

Les cas d’hospitalisations liés à la prise de médicaments furent nombreux à avoir été entendus. Par voie de presse, un article aborde le cas d’un chef d’établissement ayant « frôlé la mort ». Diabétique, il aurait tenté d’économiser en se procurant de tels médicaments91. La généralisation de cette pratique se vérifie également à travers l’augmentation des importations en provenance des principaux producteurs (Figure XV). L’accroissement des exportations suisses, à partir de 2005, correspond certainement à une prise de conscience de la part des professionnels du secteur.

Figure XV : Importations ivoiriennes entre 1995 et 2010 de produits médicinaux et pharmaceutiques

Dans son rapport de décembre 200892, l’ANADAMCI exprime « le manque de qualification ; la vente de produits chimiques aux effets méconnus dans les cars, les coins de rue ; l’utilisation d’aiguilles lors de certaines de leurs pratiques sans une stérilisation préalable ; l’utilisation de produits injectables ; la pause perfusions ; etc. ». Ces « reproches […] faits aux acteurs de cette médecine chinoise » s’appliquent à quelque 25 000 membres disséminés sur l’ensemble du territoire ivoirien, nationaux comme – pour une infime partie – Chinois. Le rapport préconise et instaure cinq formations visant à la formation de différents praticiens et de « conseillers en médicaments traditionnels chinois de base » qui, de fait, ne peuvent « être analphabètes ». Dans un État où le taux d’alphabétisation – à répartition

WANDJI, Calvin. Roxy: Un marché de médicament en Côte d'Ivoire, Kamerpharmaresearch.over-blog.com, 28 mars 2005, http://kamerpharmaresearch.over-blog.org/article-roxy-un-marche-de-medicament-en-cote-d- ivoire-47534579.html

90

CIOPF, Interview du Dr Kouassi Parfait sur le médicament de la rue, 5 août 2009, http://www.ciopf.org/en_dir ect_de_nos_membres/interview_du_dr_kouassi_parfait_sur_le_medicament_de_la_rue

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Article désormais inaccessible (payant). AIP, 28/4/2010.

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KROA, Ehoulé, « Concertation sur l’exercice de la médecine traditionnelle chinoise en Côte d’Ivoire »,

Programme national de promotion de la médecine traditionnelle, 4 décembre 2008, 19 p.

0 $ 1 000 000 $ 2 000 000 $ 3 000 000 $ 4 000 000 $ 5 000 000 $ 6 000 000 $ 7 000 000 $ 8 000 000 $ 9 000 000 $ 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Chine Inde Suisse

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inégale entre les zones urbaines et rurales – ne dépasse guère les 55 %93, la « prescription » souvent interprétée de médicaments dont la posologie est illisible pour le commun des Ivoiriens, en devient un véritable enjeu de santé publique. C’est également le cas pour d’autres produits, dont le lait et le textile.

En septembre 2008, le scandale du lait contaminé à la mélanine intervient après le décès de plusieurs nourrissons chinois. Des milliers de nouveau-nés contaminés provoquent une psychose aux échelles chinoise et internationale, plusieurs États constatant la présence de marchandises incriminées sur leurs territoires. En Côte d’Ivoire, début octobre, plus d’un millier de sacs est saisi au sein d’une usine produisant des produits laitiers à Yopougon. Au total, 73 tonnes de lait importées de Chine furent consignées. La Côte d’Ivoire interdit par ailleurs, le 22 septembre, l'importation de produits laitiers et dérivés en provenance de ce pays. La presse fit état d’actes crapuleux de la part de commerçants ghanéens et ivoiriens, ces derniers modifiant les étiquettes – de cartons provenant de Chine – pour faire apparaître une origine non prohibée94.

Un an auparavant, en août 2007, le textile (Figure XVI) fait l’objet de certaines préoccupations à Abidjan. Des vêtements produits en Chine sont en effet soupçonnés de contenir du formaldéhyde (ou méthanal), un gaz employé comme désinfectant. Il serait susceptible de provoquer des cancers, des irritations et des problèmes respiratoires.

Figure XVI : Exportations chinoises de différentes marchandises en Côte d’Ivoire entre 1995 et 2010

En remontant les années, en novembre 2006, c’est vers le port autonome abidjanais que les regards se tournent. Du « riz contaminé »95 en provenance des ports de Dalian et de Nanjing est soupçonné de provoquer le décès d’un docker déchargeant un navire battant pavillon grec et mandaté par une joint-venture gréco-allemande. Après analyses de plusieurs laboratoires, la cargaison fut mise hors de cause, et les 27 000 tonnes de riz furent donc autorisées à irriguer la Côte d’Ivoire et son hinterland.

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Selon l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’enfance, http://www.unicef.org/french/infobycountry/cotedi

voire_statistics.html).

94 GNÉPROUST, Marcelline, « Côte d'Ivoire: Lait contaminé de Chine – Attention ! Des commerçants changent

les étiquettes », Allafrica.com, 28 septembre 2008, http://fr.allafrica.com/stories/200809290890.html

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TRA BI, Charles, Dossier : affaire ‘’riz contaminé au port d’Abidjan’’, Clean-abidjan.blogspot.fr, 12 novembre 2006, http://clean-abidjan.blogspot.fr/2006/11/dossier-affaire-riz-contamine-au-port.html 0 $ 50 000 000 $ 100 000 000 $ 150 000 000 $ 200 000 000 $ 250 000 000 $ 300 000 000 $ 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Textile et chaussures Articles manufacturés CNUCED 2013

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Ces affaires et ces scandales, qui ne se veulent en aucun cas exhaustifs96, révèlent de graves manquements internes chinois – non-respect des normes et utilisation de produits pernicieux dans un contexte où la productivité est une fin et non un moyen – et de fortes suspicions, en partie avérées, envers les marchandises chinoises. Une question fondamentale réside donc dans le mode de production chinois et ses effets collatéraux, à l’échelle internationale. Par ailleurs, les articles Made in China ne se valant pas tous, ceux destinés au continent africain – à faible qualité et montant – sont toutefois les marchandises les plus consommatrices (coût environnemental, humain et en matières premières). Concomitamment, elles interpellent de nombreux acteurs – voire de consommateurs – aptes à dénoncer la légalité même des produits exportés de Shanghai ou Ningbo. Ce, sur l’ensemble du spectre ou du catalogue, puisque « les avions de transport régional MA 60 fournis par la CATIC à Air

Zimbabwe connaissent de nombreuses avaries » (Lafargue, 2007 : 173).

La contrefaçon reste effectivement néfaste, et ce, à plusieurs échelles. Du douanier corrompu aux industries locales touchées par l’importation massive de produits chinois fortement concurrentiels, particulièrement dans le secteur du textile, la contrefaçon est fort logiquement la principale accusation portée à l’encontre de la « Chine ». L’imprégnation est si forte que la population abidjanaise décrit comme « chinetoc » toute marchandise contrefaite, qu’elle soit effectivement originaire des ateliers de Yiwu ou non. Du chômage technique aux licenciements, l’industrie textile ivoirienne est directement touchée par la production chinoise97. La Cotonnière ivoirienne (Cotivo), les établissements Roger Gonfréville, l’Union des textiles ivoiriens (Utexi) sont plusieurs exemples d’entreprises ayant, entre 2000 et 2011, réduit leurs productions. Certaines – 80 % selon les Douanes ivoiriennes – ont définitivement fermé, à l’image de Utexi, en faillite en 2002 et ayant licencié environ 1 500 travailleurs. Outre ces milliers d’employés rejoignant les rangs déjà fournis de chômeurs et l’impact induit dans l’économie formelle ivoirienne, la disparition de savoir-faire pluridécennaux s’ajoute à cette crise économique et sociale structurelle. Les pagnes en sont naturellement le meilleur exemple98.

Hier conçus en Côte d’Ivoire, au Mali ou au Burkina Faso, ils sont désormais réalisés au Nigeria ou en Chine. Pour cette dernière, un véritable paradigme culturel ayant pour principale motivation, le prix… De 6 000 FCFA à 3 000 FCFA, la pièce de 12 yards (unité de longueur) se révèle autrement plus séduisante99. Ce phénomène touchant de multiples produits, du téléphone portable aux jouets en passant par le parfum et l’électroménager, il convient de mesurer les propos des organismes et des associations dénonçant la « concurrence déloyale » chinoise. Ces « chinoiseries » (produits à la qualité douteuse) s’en trouvent néanmoins omniprésentes en Afrique de l’Ouest, et en constante augmentation. Une géographie de la production bien éloignée de celle de la consommation…

Les États ouest-africains possédant une façade maritime – et donc un secteur de la pêche plus ou moins développé – connaissent les enjeux liés à la raréfaction des ressources halieutiques. Celles-ci sont majoritairement exploitées par des chalutiers européens et asiatiques. Parmi ces derniers, les navires chinois sont, au même titre que les japonais, régulièrement accusés de pillage (Koffie-Bikpo, 2010 : 321-346). Ainsi, la Mauritanie,

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D’autres cas, non corroborés par la presse, furent en effet entendus à Abidjan, dont celui d’une famille décédée dans un accident de la route entre Abidjan et San Pedro. La pneumatique – chinoise – fut mise en cause ; des sandales auraient également provoqué des brûlures, ces produits étant traités avec du diméthylfumarate, produit chimique allergisant utilisé comme anti-moisissure.

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BA, Nimatoulaye (Op. cit)

98 Un partenariat a d’ailleurs été signé entre l’Administration des Douanes et la société Uniwax

(http://www.douanes.ci/?page=Infos.Actualite.News&id=169&rub=actualite&typrub=srub).

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BAKAYOKO, Lanciné, Habillement : Pourquoi les vêtements chinois sont prisés, Abidjan.net, 17 juin 2009, http: //news.ci/article/imprimer.asp?n=334202

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le Sénégal, la Guinée et la Côte d’Ivoire sont quelques États100 ayant dénoncé ces pratiques autant obsolètes que destructrices. À Abidjan, la prise de conscience s’effectue semble-t-il en 2007. Mi-décembre, les pêcheurs ivoiriens s’insurgent contre le « pillage et l’exploitation abusive » des ressources par des bateaux chinois, pratiquant une pêche « dangereuse ». Selon leur représentant, M. Kouassi, secrétaire général du Syndicat des marins pêcheurs de Côte d'Ivoire (Symapeci), près de 4 000 emplois sont, à l’époque, menacés par « 40 navires chinois [qui] détiennent des agréments douteux [et] opèrent dans les eaux territoriales ivoiriennes »101. Utilisant la méthode dite du chalut bœuf (filets tirés par deux navires et raclant la surface), deux bateaux – chinois – sont arraisonnés fin décembre 2007. Dix mois plus tard, douze navires chinois « clandestins battant pavillon ghanéen » sont pistés par la police maritime ivoirienne. L’unique bâtiment interpellé, le Global Tree, embarque quinze marins ghanéens et huit chinois ; il appartient à l’entreprise chinoise Global Marine.

En avril 2009, les autorités ivoiriennes retirent les licences à dix armateurs chinois dans le cadre du Pdgrh (Programme de gestion durable des ressources halieutiques). Le même mois, six bateaux sont arraisonnés, les équipages sont encore une fois et en partie d’origine chinoise. En mai, M. Mamadou Bakayoko, de la Coopérative des pêcheurs artisans maritimes d’Abidjan (Coopama) exprime synthétiquement ce que l’ensemble de la profession ressasse :

« La pêche souffre de certaines pratiques déloyales des Chinois. En général, ceux-ci n’ont aucun souci de pérennisation et de durabilité de ressources halieutiques (surpêche et pêche avec les produits toxiques, aucune éthique dans la pratique du métier). Souvent, les produits de nos eaux échappent à nos marchés (vente de poissons dans les pays voisins au détriment des Ivoiriens). On observe une concurrence déloyale des étrangers contre les nationaux »102.

En janvier 2012, le dernier fait divers représentatif concerne seize Ghanéens et six Chinois formant l’équipage arraisonné et travaillant sur un navire battant pavillon ghanéen, mais à propriété chinoise. Un article accusera d’ailleurs l’équipage d’actes de piraterie103. Mi- pirates et/ou mi-pêcheurs illégaux, toujours est-il que l’activité rentable de la pêche industrielle attire de nombreux capitaux asiatiques, singulièrement en Mauritanie et en Côte d’Ivoire. Ces pêches illicites influent donc fortement sur les ressources, mais également sur la pêche artisanale, première victime économique de la surexploitation. Ainsi, le déficit en produits halieutiques est estimé à 150 000 tonnes par an. La pêche artisanale souffre, par ailleurs, et hormis le manque de matériel (flottille principalement restreinte aux pirogues), d’une carence de structures de conservation, entraînant gaspillages et pourrissements des prises. Concernant la pêche industrielle, avec 52 % de bateaux opérant sans aucune licence et sans enregistrement dans les administrations nationales, le ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques de l’époque, Alphonse Douati, estime à 50 % le pillage par ces bâtiments hors la loi. Sur la période 2001-2005, les débarquements de pêche chalutière ont diminué de 14,5 % et de 30 % en valeur. Le préjudice est de la même façon visible pour la pêche industrielle nationale, en recul de 43 % pour cette période (de 24 700 à 12 600 tonnes)104.

100 Réunis avec 18 autres États au sein de la Conférence ministérielle sur la coopération halieutique entre les

États africains riverains de l'Océan Atlantique (Comhafat).

101

Côte d’Ivoire : des bateaux de pêche chinois accusés de « pillage », AFP, 12 décembre 2007, http://chine.auj ourdhuilemonde.com/cote-divoire-des-bateaux-de-peches-chinois-accuses-de-pillage

102

N’DA, Jean.Yves, L’invité du MARIN’s club : Bakayoko dévoile son plan de sauvetage, Abidjan.net, 20 mai 2009, http://news.ci/article/imprimer.asp?n=331518

103 BOSCO, Dom, Pirates chinois en Chinafrique, Dombosco.fr, 22 janvier 2012,

http://www.dombosco.fr/article-pirates-chinois-en-chinafrique-97625393.html

104

Selon un article de Fraternité Matin et anciennement accessible par : http://www.abidjantv.net/?link=detail s_actu&id=1260

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Nonobstant l’éviction de plusieurs armateurs chinois, la Côte d’Ivoire compte, en 2012 et a minima, huit entreprises spécialisées dans la pêche (sa pratique et son conditionnement). Une concomitance de faits atteste la thèse d’une implantation promptement décriée, ces entreprises ayant été créées en 2007 (deux entreprises, janvier puis février) ou en 2009 (deux entreprises). Elles se nomment Daping Fishery, FEFE ou encore Entreprise de pêche

des étoiles de Jade…

Les entreprises chinoises sont également impliquées, directement ou par acteurs interposés, dans plusieurs conflits et affaires. Signe d’une présence de plus en plus visible et conventionnelle, cette implantation permet, de surcroît, de mieux comprendre les enjeux endogènes et relatifs aux financements chinois. Ces derniers, publics, sans conditionnalités et inadéquatement suivis, permettent les excès suivants.

ii. La Chine et ses entreprises, objets ou moyens de concussions et de conflits en RCI

Le 21 avril 2010, les ouvriers du chantier de l’hôpital général de Gagnoa décident d’un arrêt de travail pour une période indéterminée. Leurs revendications portent sur leurs conditions de travail et leurs salaires. De fait, ils exigent la signature d’un contrat de travail formel, l’arrêt des licenciements abusifs et une augmentation déjà obtenue, mais non appliquée en août 2009. Car neuf mois auparavant, ces mêmes ouvriers avaient déjà fait valoir leurs droits, contestant « les conditions inhumaines » et les « salaires de misère » imposés par la société chinoise GOVEC (Gansu Overseas Engineering Corporation). En 2009, le mouvement social avait permis une augmentation de 500 à 1 000 FCFA (pour un salaire journalier de 1 500 FCFA ; 0,76 €, 1,5 € et 2,30 €). Engagement non tenu de la part des responsables de la GOVEC qui ont vu, moins d’une année après, les travailleurs renouveler leur débrayage.

Antérieurement à 2009, les pêcheurs protestèrent, en décembre 2007 puis en juillet 2008105, contre les abus précédemment décrits. En juillet 2004, à Yamoussoukro, intervint une crise sans précédent et représentative de certains décalages culturels. Dans un contexte de grave crise économique prévalant au sein de la société ivoirienne, l’annonce de la construction de la Maison (ou Hôtel) des députés de la capitale politique, par l’AFECC (Anhui Foreign Economic Construction), devait redynamiser un secteur du bâtiment

105

B. JACOB, Kesy, Côte d'Ivoire: Grève au port de pêche, Allafrica.com, 23 juillet, 2008, http://fr.allafrica.com/s tories/200807231235.html

Chalutier de l’entreprise FEFE ; au second plan, un bateau de Lulu

Fishery. Abidjan (Treichville).

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fortement touché par les effets de la tentative de coup d’État de 2002 et ainsi résorber, pour partie, le chômage local.

Premier point d’achoppement pour les ouvriers et les manœuvres ivoiriens, la présence

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 92-105)