• Aucun résultat trouvé

La Chine, le CAD, la France et Taïwan : analyses des « solidarités » en Côte d’Ivoire

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 175-184)

Carte XVI : Classification du réseau routier communautaire (UEMOA dont Côte d’Ivoire)

A. La Chine, le CAD, la France et Taïwan : analyses des « solidarités » en Côte d’Ivoire

Les éléments analytiques précédents, autant qualitatifs que quantitatifs et mettant en exergue cette coopération bilatérale sino-ivoirienne essentiellement post-2002, ne sont utiles qu’à travers une comparaison. Cette dernière, nécessaire à la mise en perspective de l’APD chinoise en Côte d’Ivoire, pourrait être effectuée avec les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni. En Asie, le Japon, et dans une moindre mesure l’Inde et la Corée du Sud pourraient représenter des alternatives crédibles, quoiqu’inégales, étant donné l’énergie déployée par Beijing sur le continent africain en comparaison des puissances économiques asiatiques. Objectivement, l’unique confrontation digne d’intérêt est bien celle entre la Chine et la France, ancienne puissance coloniale. Celle-ci faisant partie d’un groupe d’États composé de 24 membres, le CAD de l’OCDE, isoler et comparer la Chine de la France et du CAD va permettre une triple confrontation placée sous l’objet d’étude de cette deuxième partie et que constitue la « coopération ». Puisque la Côte d’Ivoire a dans un premier temps reconnu le régime taïwanais, Taipeh forme le quatrième acteur de cette analyse, subjective et relative aux « solidarités » étrangères et donc internationales en Côte d’Ivoire. Bilatérales ou multilatérales, elles permettent de placer l’APD chinoise face à ses limites. Au contraire, ces confrontations peuvent également permettre d’évaluer les avantages et les bénéfices qu’un État africain peut et doit retirer d’un tel changement de paradigme, particulièrement visible à travers l’opposition de l’APD Chine-CAD en Côte d’Ivoire.

i. La Chine et le CAD en Côte d’Ivoire : complémentarité ou concurrences ?

Si une information devait ressortir de cette analyse de l’aide chinoise opposée à l’APD des États membres du CAD, le fait que l’État asiatique soit à lui seul le principal partenaire de la Côte d’Ivoire retiendrait certainement l’attention. En effet, sur les périodes 1993-2009 (données de la CNUCED) et 1993-2010 (CAD) – amplitudes imposées par les statistiques disponibles –, la Chine devance l’ensemble des 24 membres217 de près de 1,5 milliard € (Figures XXIII et XXIV). Cet écart est en partie corroboré par les statistiques de la CNUCED (Figures XXV et XXVI) et par l’enquête de l’OCDE de 2008218 stipulant que « quatre donneurs sont à l’origine de 38 % de l’APD octroyée » à la Côte d’Ivoire. En ôtant 38 % (les quatre principaux donneurs) et 52 % (la Chine), 10 % de l’aide est ventilée à de multiples et marginaux donateurs. Les quatre premiers graphiques démontrent une certaine cohérence, notamment avec les recherches effectuées sur l’APD chinoise, qui, encore une fois, est surreprésentée par le projet du pôle urbain de 2009.

217

Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée du Sud, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume- Uni, Suède, Suisse et Union européenne.

218

OCDE, Enquête 2008 de suivi de la mise en œuvre de la déclaration de Paris : rendre l’aide plus efficace d’ici

176

Figure XXIII : Évolution de l’APD en Côte d’Ivoire entre 1993 et 2009

Figure XXIV : L’APD globale en Côte d’Ivoire entre 1993 et 2009

Figure XXV : Évolution de l’APD du CAD et de la Chine en Côte d’Ivoire (1986-2010)

0 € 1 000 000 000 € 2 000 000 000 € 3 000 000 000 € 4 000 000 000 € 5 000 000 000 € 6 000 000 000 € 7 000 000 000 € 8 000 000 000 € 9 000 000 000 € 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Total APD Chine 47,68 %

52,32 % Reste APD dont CAD

Chine 0 € 1 000 000 000 € 2 000 000 000 € 3 000 000 000 € 4 000 000 000 € 5 000 000 000 € 6 000 000 000 € 7 000 000 000 € 8 000 000 000 € 9 000 000 000 € 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 CAD Chine CAD 2012 CNUCED 2013 CNUCED 2013

177

Figure XXVI : L’APD globale du CAD et de la Chine en Côte d’Ivoire (1993-2010)

Figure XXVII : Évolution de l’APD de la France et de la Chine en Côte d’Ivoire (1993- 2010)

Figure XXVIII : L’APD globale de la France et de la Chine en Côte d’Ivoire (1993-2010)

6 907 336 655 8 365 884 195 0 € 1 000 000 000 € 2 000 000 000 € 3 000 000 000 € 4 000 000 000 € 5 000 000 000 € 6 000 000 000 € 7 000 000 000 € 8 000 000 000 € 9 000 000 000 € CAD Chine 0 € 1 000 000 000 € 2 000 000 000 € 3 000 000 000 € 4 000 000 000 € 5 000 000 000 € 6 000 000 000 € 7 000 000 000 € 8 000 000 000 € 9 000 000 000 € 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 France Chine 4 272 390 309 8 365 884 195 0 € 1 000 000 000 € 2 000 000 000 € 3 000 000 000 € 4 000 000 000 € 5 000 000 000 € 6 000 000 000 € 7 000 000 000 € 8 000 000 000 € 9 000 000 000 € France Chine CAD 2012 CAD 2012 CAD 2012

178

Le graphique XXVII représentant l’évolution des aides au développement des deux partenaires n’exposerait qu’une partie de la réalité. En l’occurrence, elle serait extrêmement favorable à la RPC, puisque dépassant de 1 458 547 540 €, entre 1993 et 2010, le total des aides accordées par les États membres du CAD de l’OCDE. En le superposant avec le suivant (Figure XXVIII), la nuance est permise, car 91 % du montant chinois est octroyé en 2009, année du prêt de l’Exim Bank of China pour le pôle urbain de 12 000 hectares à Abidjan. Sans ce dernier, l’APD chinoise n’atteint pas le milliard d’euros (743 433 334 €) et serait par conséquent, neuf fois plus faible que celle du CAD. Au sein de ce dernier, la France représente près de 62 % du total de l’aide adressée entre 1993 et 2010 par les 24 membres219. Le prêt concessionnel de la banque d’import-export chinoise devant être incorporé dans l’analyse globale, les graphiques précédents mettent fort logiquement en exergue le pic chinois de 2009 qui accapare la majorité de la coopération et cette dernière, sur la figure XXVIIII, reste à 8 365 884 195 €, dépassant de moitié celle de la France.

La Côte d’Ivoire, en tant que pays récipiendaire de l’APD du CAD, représente 2,55 % et 3 % de l’aide destinée au continent africain et à l’Afrique subsaharienne. C’est 22 % et 10,5 % de l’aide apportée à l’UEMOA et à la CEDEAO. Quant à la Chine populaire, « acteur donateur » tendant à devenir l’un des référents en Afrique, elle reste, en 2013, l’un des principaux États impétrants à l’échelle internationale. De fait, l’APD reçue de l’OCDE entre 1993 et 2010 est largement supérieure à celle transmise en Côte d’Ivoire (Figure XXIX). Mettant en évidence les contradictions et les disparités internes chinoises, la variation représente environ 16 milliards $, ou deux fois le montant de l’aide chinoise en Côte d’Ivoire pour la période 1993-2010.

Figure XXIX : L’APD versée à la Chine et à la Côte d’Ivoire entre 1993 et 2010

219

Pour la période 1995-2010, plusieurs États membres du CAD représentent respectivement 9,21 % de l’APD (du CAD) octroyée à la Côte d’Ivoire (États-Unis), 6,33 % (Allemagne), 4,94 % (Canada), 4,30 % (Japon) et 3,76 % (Espagne). 22 958 139 081 6 907 336 655 0 $ 5 000 000 000 $ 10 000 000 000 $ 15 000 000 000 $ 20 000 000 000 $ 25 000 000 000 $ Chine Côte d'Ivoire CAD 2012

179

Il serait par ailleurs certainement intéressant de situer la RCI en comparaison de quelques États africains récipiendaires des prêts de l’Exim Bank of China. Malheureusement, ces données n’étant que trop rarement disponibles, seuls des communiqués de presse ou des articles spécialisés rapportent les informations souhaitées et représentatives. Ainsi, avec le prêt faisant référence au pôle urbain (7,6 milliards €), la Côte d’Ivoire se place devant trois États que sont le Ghana (7,4 milliards de dollars), le Nigeria et le Cameroun (679 et 561 millions de dollars)220. Ce rôle accru et dorénavant prépondérant de la banque chinoise se vérifie à l’échelle africaine. Avec un total de 67,2 milliards de dollars injectés entre 2001 et 2010, l’institution financière se classe, par exemple, devant la Banque mondiale (55 milliards).

Cette courte parenthèse fermée, il s’agit désormais de savoir si les aides internationales, ces « drogues » mettant sous perfusion historique le continent, sont complémentaires ou concurrentielles – donc inefficaces, car se chevauchant et soutenant le développement des mêmes secteurs. L’exemple proposé ici est a fortiori celui de la Chine et de la France. Les données pour la partie chinoise sont dorénavant connues (tableaux et graphiques précédents ou Annexe XII). Concernant la France, le premier enseignement tient dans la place occupée par la Côte d’Ivoire : entre 2007 et 2009 en moyenne, la RCI est au rang 1 des « principaux pays bénéficiaires de l’APD bilatérale nette française » avec 309 millions €221. Elle devance l’Irak (260 millions) et le Cameroun (193). En revanche, la répartition sectorielle, dans ce document, n’est pas affinée selon les pays bénéficiaires. De fait, elle est limitée au continent africain (Tableau VI) et s’effectue comme suit : 17 % de l’APD française est consacrée à l’éducation ; 10 % à la santé ; 9 % au développement durable ; 7 % à l’agriculture et à la sécurité alimentaire ; 13 % au soutien de la croissance. En 2008, ces « cinq secteurs prioritaires » représentaient 59 % de l’aide bilatérale française en Afrique, 43 % de l’aide européenne et 65 % de l’aide multilatérale, « soit 56 % de l’APD totale nette française ».

Un document distinct222, relatif aux autorisations de 2011, propose une répartition différente de l’aide, cette fois en Afrique subsaharienne et pour l’Agence française de développement. Les infrastructures accaparent 34 % de l’activité du groupe AFD, devant l’eau et l’assainissement, et le secteur productif (22 et 21 %). L’agriculture est égale ou presque au document précédent avec 8 %, tandis que l’éducation chute à 4 %, la santé à 3 %, et l’environnement à 1 %.

Tableau VI : Répartition sectorielle des coopérations France-Afrique et sino-ivoirienne

Domaine France-Afrique (2007-2009)223 Chine-Côte d'Ivoire (1983-2013) Agriculture 7 % 2,9 % Développement durable/Environnement 9 % Santé 10 % 0,01 % Éducation 17 % 2,54 % Infrastructures 34 % 86 %

Total des domaines 77 % 91,45 %

220

Jeune Afrique n° 2692-2693, p. 123.

221

AFD, Coopération au développement : une vision française, Afd.fr, 74 p. (page consultée le 12 juillet 2012)

<http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PUBLICATIONS/Colonne-droite/Cooperation-francaise-VF.pdf>

222

AFD, Rapport annuel 2011, Afd.fr, 63 p. (page consultée le 12 juillet 2012)

<http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/ELEMENTS_COMMUNS/pdf/Rapport-annuel-AFD2011.pdf>

180

Peu représentatif, ce tableau comparant la coopération sino-ivoirienne et celle entre la France et un continent, sur des périodes différentes, permet a minima de dégager plusieurs pistes de réflexion que des chercheurs et économistes spécialisés pourraient approfondir (Brautigam, Chaponnière, Pairault, Gabas…). Premièrement, la France répartit visiblement mieux ses crédits dirigés à montants – ou pourcentages – équivalents pour les trois ou quatre premiers domaines. L’écart chinois entre les infrastructures et les autres secteurs n’en devient que plus fort et manifeste. Ce domaine reste a priori le plus usité et le plus « intéressant » financièrement pour les bailleurs de fonds. C’est celui qui permet des retours sur investissements substantiels, qui se place parmi les plus « visibles » et qui offre – à un certain nombre d’acteurs – des contrats à court, moyen ou long terme. Le poids écrasant des infrastructures pour la Chine ne déroge pas à la règle. Y-a-t-il concurrence entre la Chine populaire et les bailleurs de fonds, bilatéraux (France) comme multilatéraux (FMI, Banque mondiale…) ? Dans un premier temps, il en résulte que les sociétés françaises sont en concurrence directe avec leurs homologues du Royaume-Uni, d’Allemagne, des États- Unis et donc chinoises, pour répondre aux appels d’offres lancés par la BAD, la BOAD ou le FMI et la Banque mondiale224. Certaines routes ivoiriennes, construites par la COVEC, ont ainsi été financées par la BAD. Les groupes Bouygues, Vinci, mais également Hochtief (Allemagne) ou KBR (États-Unis) auraient été – et l’ont-ils fait ? – en mesure de postuler à ces appels. En ce qui concerne les contrats de « gré à gré », la question ne se pose pas.

Si perdants il y a, ceux-ci se trouvent donc essentiellement dans ces multinationales.

A contrario, l’AFD et son agence Proparco225 ne s’inscrivent pas – encore ? – dans une concurrence acharnée, voire « déloyale ». L’agence française peut d’ailleurs s’appuyer sur une implantation historique, ses réseaux, une diversification géographique et sectorielle de ses investissements, et finalement, sur son expertise. L’organisme français semble avoir intégré l’enjeu que représente désormais l’Exim Bank of China, qui n’est pas le concurrent que la COVEC ou la CGC peuvent signifier pour Bouygues. Pour preuve, la partie française a proposé à son homologue chinois un « dialogue technique entre experts chinois et français sur la mise en œuvre des politiques de développement en Afrique »226

. À l’échelle du CAD, un groupe d’étude Chine fut créé en janvier 2009. C’est une plateforme partageant les différentes stratégies sur la réduction de la pauvreté, premier des objectifs du millénaire. Toutefois, la participation chinoise se limite à une dimension universitaire/recherche, où le politique, décisionnel et décisionnaire en Chine, n’a pas encore sa place. Par ailleurs, les habitudes ont la vie dure au sein des institutions occidentales, comme en témoigne l’échec des initiatives européennes entamées en 2008 et visant une coopération trilatérale : faute de concertation avec les principaux intéressés (Afrique et Chine), aucun projet n’a pu voir le jour… Enfin, et si des projets/programmes spécifiques, limités dans le temps et trilatéraux sont envisageables, voire recommandés, la Chine, lorsqu’elle est impliquée dans un cadre multilatéral, préfère – et de loin – dialoguer avec les Nations unies et ses composantes, seule institution représentative à ses yeux, intègre, ne présentant pas réellement de concurrence directe, et « aisément » malléable.

224 Exemple du troisième pont abidjanais où Bouygues s’est entouré de plusieurs investisseurs : la BAD,

la BOAD, la BIDC (Banque d'investissement et de développement de la CEDEAO), l’AFC (Société financière africaine), le FMO (Banque néerlandaise d’investissement), la BMCE (Banque marocaine du commerce extérieur), le PAIDF (Fonds panafricain de développement des infrastructures) et la MIGA (Agence multilatérale de garantie de l'investissement, Banque mondiale). Source : RANTRUA, Sylvie, Bouygues lève les financements

du troisième pont à Abidjan, Mtm-news.com, 3 juillet 2012, http://www.mtm- news.com/article/4540/bouygues-leve-les-financements-troisieme-pont-abidjan

225

L’AFD est actionnaire à 57 % de l’institution financière de développement qu’est Proparco.

226

AFD, L’Aide Publique au Développement en Afrique, Afd.fr, http://www.afd.fr/home/pays/asie/geo- asie/chine/production-intellectuelle-cn/apd-en-afrique

181

Pour partie, les aides sont donc complémentaires, la France, la puissance la « plus africaine », investissant ou finançant dans les secteurs (éducation, santé, développement durable) que la Chine néglige plus ou moins ostensiblement. Exemple flagrant de cette « complémentarité », les conventions signées fin juin 2012 au Cameroun, où quatre bailleurs financent des projets représentatifs : la Chine et l’autoroute, la Banque mondiale et le secteur minier, l’U.E. et le désenclavement, et finalement l’AFD, finançant « des aménagements environnementaux et l’éducation des ruraux »227

– expression que l’on peut considérer comme malheureuse, car laissant entendre que les bailleurs doivent éduquer l’Afrique rurale… Complémentaires, ces APD le sont également en volume, puisque les différents acteurs occidentaux (France, Union européenne, etc.) ne peuvent, en tout état de cause, consacrer les moyens et les sommes nécessaires ; alors que la Chine oui, en partie du moins. Ces complémentarités dissociables sont les bienvenues, puisqu’un mimétisme apporterait les mêmes conséquences relatives à l’APD française, entre autres, soit, un surendettement, un appauvrissement et, théoriquement, une reconfiguration de la division internationale du travail, ce en quoi l’APD doit justement remédier. Pour cette dernière, la DIT, une responsabilité qui incombe bien aux États européens en premier lieu, ces anciennes puissances coloniales.

Puisqu’il s’agit certainement plus de parler d’APD européenne, que nationale, une cartographie des projets de coopération de l’Union européenne228

(Document VII) confirme cette complémentarité géographique – ce document ayant pour principal intérêt de situer, même grossièrement, les projets de l’UE. Lorsque la Chine se limite au territoire Abidjan- Gagnoa-Yamoussoukro, l’UE déploie a contrario sa coopération au Nord (région de Korhogo, d’Odienné et Ferkessédougou), au Centre (Bouaké) et à l’Ouest (Man, Guiglo et Toulepleu). Entre 2003 et 2007, l’UE a réalisé 323 projets pour un montant de 408 millions €. C’est près de 300 et trois fois plus que la Chine sur cette période (26 projets pour 125 millions €). In fine, un document (Tableau VII) devrait permettre d’affiner les informations et les suppositions précédemment énoncées. La Côte d’Ivoire y figure comme un État extrêmement peu représentatif de la « coopération » franco-africaine (Tableau VIII). Les domaines sont, à une exception près, anémiés par le poids d’un secteur volontairement non inscrit ici : la dette. À elles seules, les remises de dette constituent 61 % de l’APD française entre 1995 et 2010 (et 4,56 % pour le CAD). Ces remises et annulations ivoiriennes représentent, en pourcentage, le double de celles accordées à l’échelle continentale (35,99 %). De fait, si la Chine investit principalement dans les infrastructures économiques, la France « gonfle » son APD envers la Côte d’Ivoire par cet endettement. La différence dans ce « secteur » est manifeste, car les deux annulations chinoises de 2007 et 2011 (40 % du total) ne forment en tout et pour tout que 0,22 % de l’APD globale chinoise (environ 26 millions €).

Par ailleurs, le secteur prioritaire (hors dette) français – et du CAD – s’avère être le développement durable et l’environnement, qui représente près de 19 % de l’APD française (15 % pour le CAD). La complémentarité des bailleurs saute aux yeux229, la Chine n’investissant pas – encore – dans ce dernier. Enfin, la France (comme les autres membres du CAD de l’OCDE) s’est progressivement éloignée des financements relatifs aux infrastructures, considérés comme non essentiels et ayant été largement décriés (éléphants blancs). Le développement ivoirien, sous-régional et régional passe pourtant par

227

KETCHATENG, Jean-Baptiste, « 241 milliards pour l'autoroute Yaoundé-Douala », Africatime.com, 29 juin 2012, http://www.africatime.com/cameroun/nouvelle.asp?no_nouvelle=679625&no_categorie

228

Une « Europe » dont la première et réelle réunion politique consensuelle fut celle de 1884, soit la Conférence de Berlin.

229 Ce que confirme dans son rapport, au niveau international, une des parties directement concernées, l’OCDE.

OCDE, Perspectives économiques en Afrique : l’Afrique et ses partenaires émergents (2011), Keepeek.com, 319 p. (pages consultées le 14 juillet 2012) <http://www.keepeek.com/Digital-Asset-

182

l’amélioration des voies de communication, des infrastructures internationales (ports et aéroports) comme nationales (axes routiers, dessertes aériennes, réseaux d’assainissement…).

Dans ces conditions, le rôle de la Chine est non seulement substantiel, mais dans une conjoncture défavorable aux investissements étrangers et à l’APD, il en devient indispensable. À plus forte raison lorsque les principaux contributeurs du CAD justifient l’aide versée à la Côte d’Ivoire par l’annulation des dettes : environ 32 % pour les États-Unis et le Japon, 43 et 45 % pour la Norvège et l’Allemagne, près de 80 % pour les Pays-Bas et le Canada, et jusqu’à 93 % pour l’Italie ! Toutefois, en toute objectivité, les montants diffèrent quelque peu de ceux annulés par la République populaire de Chine : 4,7 ou 5,7 milliards € pour la France ou l’Italie… Par ailleurs et compte tenu des données recueillies, présentées et analysées, le pôle moteur de l’APD en Côte d’Ivoire est passé d’« Ouest » en « Est », puisque l’initiative est chinoise, et non européenne. En cela, le décrochage historique français, mais plus globalement de l’OCDE et des États occidentaux, est couplé à la relative fin d’un – relatif également – monopole des représentations liées à l’aide internationale. De fait, en termes de représentations, mais pas uniquement, cette dernière n’est plus limitée à l’Europe et aux anciennes puissances coloniales.

Si les États-Unis ne figurent pas dans cette liste et dans cette analyse, il suffit – peut- être et simplement – de lire le président de l’U.S. Export-Import Bank, M. Hochberg qui, dans un article sud-africain230, déclarait en substance que le gouvernement étasunien, en tirant les enseignements de la percée chinoise en Afrique, devrait certainement s’aligner sur les conditions préférentielles octroyées par son « homologue » chinois (Exim Bank of China). Un nivellement par le bas ? Oui et non, « l’Amérique » n’étant pas encore prête à délaisser ses concepts et ses fondamentaux : le libéralisme, la « démocratie » et le respect des droits individuels. A contrario, la Chine, de tradition confucéenne :

« prône un gouvernement tuteur inspiré de la doctrine du minben [Mín běn, 民本] dans la mesure où les gouvernants doivent se préoccuper du bien-être du peuple qui fonde leur assise et leur pouvoir. Mais semblable conception paternaliste s’adapte mal aux États-Unis où l’individu est supposé prendre plus de responsabilités » (Shinn, 2011 : 280).

La Chine populaire peut finalement être considérée comme un acteur à la fois majeur et secondaire de l’aide publique au développement en Côte d’Ivoire. Effectivement, sans le prêt accordé en 2009 et en ôtant les « investissements » – les prêts concessionnels –, l’ensemble de sa « solidarité » équivaut à l’aide consentie par les États-Unis et l’Allemagne réunis, troisième partenaire bilatéral derrière Paris et Pékin. En incluant le pôle urbain, la Chine se détache nettement du peloton occidentalo-asiatique constitué d’États membres du CAD (Tableau VIII). Sur le territoire ivoirien, l’aide au développement « chinoise » n’a toutefois pas débuté en 1983, année de la reconnaissance entre la Chine populaire et la Côte d’Ivoire. Avant cela, soit de l’indépendance ivoirienne (1960) à 1983, « d’autres Chinois » étaient présents : ils étaient originaires de la 23e province, Taïwan. Les « premiers Chinois » à avoir foulé le sol ivoirien ne sont donc pas originaires du continent, mais bien de l’île située à l’Ouest du détroit homonyme…

230

LANGENI, Loyiso, US wakes up to Chinese expansion in Africa, Business Day, 17 novembre 2010,

183

Document VII : L’APD de l’Union européenne en Côte d’Ivoire entre 2003 et 2007

184

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 175-184)