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La coopération sino-ivoirienne depuis 1983 (nouveau découpage administratif)

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 130-133)

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III.

Évolution et analyse de la coopération sino-ivoirienne

Le terme polysémique « coopération » est volontairement employé dans ce chapitre en raison de son caractère non restrictif. Effectivement, la « coopération » entre les États africains et la Chine ne se limite aucunement à la seule APD, mais englobe un certain nombre de facteurs, d’éléments, dont les investissements en premier lieu. Puisque la Chine n’est pas tenue de respecter les accords, les normes ou les engagements non contraignants – ou coutumes en droit international – imposés par l’Union européenne ou l’Amérique du Nord en matière de « développement » et d’aide afférente, l’acteur étatique asiatique entend profiter de sa position de « free rider » (Chaponnière, 2008 : 20). Ceci étant dit et malgré la spécificité chinoise, cette coopération globale sino-africaine (et plus exclusive sino-ivoirienne) emprunte tout de même un certain nombre d’attributs à l’« aide occidentale ». À travers ce cas ivoirien, qui représente incontestablement l’évolution et les différentes étapes de la coopération chinoise en Afrique de l’Ouest, il sera également nécessaire d’évaluer l’éventuelle complémentarité des aides bilatérales et multilatérales, en rappelant dès à présent que les enjeux, de la Chine populaire en Côte d’Ivoire, ne sont pas limités à cette seule APD. Une coopération polymorphe donc, où s’imbriquent dans le temps et dans l’espace retenus, plusieurs moyens, plusieurs acteurs et plusieurs stratégies plus ou moins assumées, plus ou moins efficientes.

A. Des techniciens agricoles aux ingénieurs : progression et diversification d’une coopération de plus en plus visible

Officialisées le mercredi 2 mars 1983 (Annexe X), les relations sino-ivoiriennes s’appuient sur de multiples accords-cadres (Annexes XII et XIII), dont certains seront modifiés au cours de la décennie 1990 et 2000, et sur le « Communiqué conjoint concernant l'établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la République de Côte d'Ivoire », présenté en Annexe XI.

Plus que ces accords et ces contacts officiels, ce sont les réalisations, les édifications et les projets chinois sur le territoire ivoirien qui révèlent l’étendue et la nature des relations bilatérales. Les cartes précédentes (XII et XIII) tentent de représenter spatialement ces projets ; l’Annexe XIII en offre une chronologie.

Dans la majorité des cas, à savoir des relations entre la RPC et les États ouest- africains, c’est dans le domaine de l’agriculture que la Chine a posé les jalons de ses coopérations. De fait, ce dernier est bien la porte d’entrée historique de la Chine en Afrique155.

155 La Défense et notamment le soutien militaro-politique aux États africains et aux mouvements de libération

nationale, luttant pour l’indépendance, peut être considérée comme l’un des premiers « domaines » d’intervention sur le continent (MPLA, UNITA, FRELIMO, PAIGC, UPC…). Mais cette composante ne concerne pas la Côte d’Ivoire, du moins pas directement.

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Au Sénégal par exemple, le prêt accordé par la Chine en 1973156, permit le développement rural, dont la riziculture et divers aménagements agricoles (sylviculture). Plus au Nord, en Mauritanie, les premiers experts agricoles sont arrivés en 1968 ; au Mali, le Traité d’Amitié signé en janvier 1964 par Modibo Keïta et Zhou Enlaï accorde une place non négligeable au développement agricole. En Côte d’Ivoire, le projet rizicole de Guiguidou de la décennie 1990 – joyau de la coopération agricole – a posé les bases d’une collaboration exclusivement orientée vers la riziculture, ce qui n’est aucunement dû au hasard. Une spécialisation également visible plus au Nord (au Burkina Faso, au Mali) ou à l’Ouest (Sénégal et Mauritanie notamment), mais qui contraste avec les capacités du territoire ivoirien et son « économie agro-exportatrice » (Hugon, 2009 : 158).

i. L’agriculture, porte d’entrée de la Chine en Côte d’Ivoire : étude de cas à Guiguidou

Le deuxième accord de coopération signé entre la RPC et la Côte d’Ivoire, le 14 décembre 1984, porte sur le développement agricole (Annexe XII et XIII). Signée à Abidjan, la convention intègre deux volets dont un ne sera jamais réalisé, le projet « Qingke » : une usine de chocolaterie ivoiro-chinoise qui aurait fait l’objet d’un détournement de la part d’un partenaire technique français157

. Le premier, quant à lui, a effectivement été réalisé : il s’agit du projet d’aménagement hydro-agricole et rizicole de Guiguidou158.

Situé à une quarantaine de kilomètres au Sud-Est de Divo (Sud de la Côte d’Ivoire, région de Lôh-Djiboua ou ancien Sud-Bandama), l’aménagement relève de la plaine alluviale de la rivière Gô (96 km) avec un bassin versant d’environ 1 150 km². Ce dernier s’étend sur environ 10 km de longueur pour 500 à 600 mètres de largeur (Carte XIV et Annexe VIII). Trois villages sont directement concernés par le projet : Guiguidou, Kétasso et Chiépo. À ces villages sont par ailleurs rattachés environ 370 campements. En 1998, la population de la zone d’aménagement était estimée à 12 500 habitants, composée à 27 % d’allogènes ivoiriens, à 61 % d’étrangers et à 12 % d’autochtones, Maliens et Burkinabè se partageant pour moitié la catégorie « étrangers ».

Les travaux ont démarré le 22 septembre 1994 (Encadré IV) et ont pris fin le 1er août 1999, la cérémonie de remise officielle ayant eu lieu le 14 février 2000. La partie chinoise a aménagé 442 hectares en collaboration avec les « gestionnaires commis à l’exécution » ivoiriens. Parmi eux, la Direction de la planification, des programmes et de la décentralisation assurant la maîtrise d’ouvrage, le BNETD, chargé du contrôle technique, financier et de la coordination entre les différents intervenants, et l’ANADER159 encadrant et formant les bénéficiaires. L’entreprise chinoise Complant (Compagnie d’importation et d’exportation des équipements complets de Chine) fut commissionnée pour la conception, l’étude technique, l’aménagement, l’assistance technique et la construction de la piste desservant le périmètre. L’historique suivant (Encadré IV) corrobore les différentes étapes décrites précédemment et généralisables à l’APD chinoise en Afrique.

156 Prêt de 50 millions de dollars, remboursable sur 25 années (Aurégan, 2011/1). 157

Côte d’Ivoire : des crimes économiques oubliés, Regards Croisés : Le blog de Fernand Dindé, 20 décembre 2012, http://regardscroises.ivoire-blog.com/tag/scandale+financier+de+la+logemad

158 Les informations, données et documents annexés proviennent de multiples entretiens effectués auprès du

PNR (Programme national riz) renommé ONDR (Office national du développement du riz), de l’ANADER (cf. note suivante) et de deux rapports du BNETD :

Projet d’aménagement hydro-agricole de Guiguidou, rapport de fin de chantier, BNETD, août 2000, 18 p. Rapport intermédiaire de Guiguidou, BNETD, 1998, nombre de pages inconnu.

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Bureau national d'études techniques et de développement et Agence nationale d'appui au développement rural.

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Outre l’aménagement du périmètre de 442 hectares, la réhabilitation de la piste d’accès (21 km), la réalisation d’infrastructures (logement des experts chinois, atelier de décorticage, aires de séchage et magasins de stockage), l’électrification des villages de Guiguidou et d’Ahouati (propriétaires terriens) et la construction de deux barrages-écluses ont été réalisés. L’indemnisation de plus de 150 agriculteurs et d’autres travaux nécessaires à la viabilisation du site ont finalement porté le coût global à 10,298 milliards de FCFA (environ 15 millions €), supporté aux deux tiers par la Chine. Ce financement fut l’objet de plusieurs prêts et dons répartis comme suit :

- Prêt initial du 3 juin 1986 : 50 millions de yuan (3,259 milliards FCFA) ;

- Prêt complémentaire du 5 juin 1998 : 20 millions de yuan (1,304 milliard FCFA) ; - Dons du 5 juin 1998 : 35 millions de yuan (2,281 milliards de FCFA) ;

- « Prise en charge par la Chine » : 5,15 millions de yuan (336 millions FCFA). Au total, la société chinoise Complant a réalisé un chiffre d’affaires de 7,180 milliards de FCFA (près de 11 millions €), soit, environ 70 % du budget total. La partie ivoirienne a assuré le financement des taxes liées à la construction de l’aménagement ainsi que les coûts de fonctionnement. La société SIDELAF160, représentant la partie privée ivoirienne, a obtenu 1,418 milliard de FCFA (2,1 millions €, 13,7 % du total).

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 130-133)