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Les jumelages entre la Chine et les États ouest-africains

Dans le document Géopolitique de la Chine en Côte d'Ivoire (Page 125-128)

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L’Afrique de l’Ouest, avec douze jumelages (plus sept avec Taipeh), représente à peine 10 % de l’ensemble des coopérations décentralisées sino-africaines. L’Afrique du Sud se place, en quelque sorte, hors catégorie : 27 jumelages seraient effectifs, selon la liste non exhaustive présentée par l’Association d’amitié des peuples sino-africains150

. Le rôle de ces jumelages est difficile à déterminer. La coopération Sikasso-Yunnan n’a pas réellement d’impact (étude de terrain en 2008). La relation entretenue entre Lakota et Baoding a, en revanche, permis l’envoi d’étudiants au Hebei, une coopération agricole ou encore la réhabilitation de l’axe Sassandra-Oumé. À Abengourou, Ezhou ne semble pas être autrement présent que sur la liste des communes jumelées. Quant à Dakar et Taipeh, aucune coopération ne fut observée lors de l’étude de terrain en 2007, soit, deux années après le retour de Beijing au Sénégal.

En France, nous connaissons les avantages des coopérations intercités, des associations de deux villes. Quelle est, alors, la nature de la relation Tianjin-Abidjan ? Dans un premier temps, cette association semble inexistante, le site Internet du district abidjanais ne mentionnant jamais la municipalité autonome chinoise. Il convient d’effectuer cette recherche en langue chinoise, précisément sur le site officiel gouvernemental chinois151. Le mot-clé « Abidjan » renvoie à plusieurs articles et on y apprend notamment l’histoire de ce jumelage, ponctué de plusieurs visites officielles. Une association homologuée le 26 septembre 1992, à la veille de celle entre Tianjin et Oulan-Bator, qui, selon le site chinois, est l’aboutissement d’étroites relations depuis 1985. Hormis plusieurs visites et la participation d’Abidjan aux festivals d’arts et aux rencontres culturelles organisées par la municipalité chinoise, les rapports semblent essentiellement économiques, avec « sept entreprises et institutions » présentes en Côte d’Ivoire. Il est ainsi possible de citer l’entreprise nommée

Tian Jin Century East International, créée en 2007, et ayant pour activité la vente de produits

diététiques, ou le groupe Tianjin Machinery Import & Export Corporation (TMEC) chargé de la construction de la centrale de Vridi.

Les délégations d’hommes d’affaires chinois semblent d’ailleurs être à l’origine de ce jumelage, comme l’atteste un article – le plus complet – du site officiel152. L’accord entre le China Tianjin International Economic And Technical Cooperation Group Corporation

(CTIETCC) et le Club des hommes d’affaires du Centre de commerce international d’Abidjan, en décembre 1988 (Annexe XII), aurait notamment contribué à créer le centre d’acuponcture chinois situé aux Deux-Plateaux (Carte VIII). Abidjan est donc l’une des 23 villes jumelées à Tianjin et le manque d’informations relatives aux associations sino- ivoiriennes, avec Abengourou et Lakota, ne doit aucunement minimiser l’attractivité du territoire ivoirien pour ces formes de coopérations décentralisées.

L’intérêt ne résidant pas exactement dans ces dernières, leur simple existence pique en revanche la curiosité. Ces jumelages, davantage situés dans les États francophones, font ressortir plusieurs États : la Côte d’Ivoire et le Bénin (francophones), le Cap-Vert (lusophone) et la Sierra Leone (anglophone). Freetown est jumelée avec deux entités chinoises à l’image du Cap-Vert et du Bénin. La Côte d’Ivoire, elle et à travers Lakota, Abengourou et Abidjan, a développé ses échanges culturels en 1992 pour les deux dernières villes nommées. C’est l’année de l’accord de coopération entre les universités de Cocody et Nanjing et surtout, de la visite du président chinois, Yang Shangkun à Abidjan en juillet. Doit-on y voir les dernières gesticulations diplomatiques et politiques d’Houphouët-Boigny, dix-huit mois avant son décès, ou celles de son Premier ministre, Alassane Ouattara ? Une volonté globale de densifier les relations sino-ivoiriennes, dans le contexte de la visite chinoise ou celle d’Ernest N' Koumo Mobio, maire central depuis 1985 ? Intégrer les enjeux relatifs aux jumelages

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Sister Cities, CAPFA, 2 juin 2010, http://www.capfa.org.cn/en/city_js.asp?id=354&fatherid=297

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Tianjin Municipal People’s Government: http://www.tj.gov.cn/

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impliquerait d’obtenir les échanges économiques des provinces chinoises avec les États africains. Or, lorsqu’ils sont disponibles, les flux ne concernent que deux à trois États (Égypte notamment) et divergent fortement par de nombreux facteurs (années de publications, monnaie, gratuité ou non). De plus, leur accessibilité est faible, et cette dernière est, dans la plupart des cas, en langue chinoise. Ces sites Internet étant gérés par les provinces (exemple du Jiangsu Foreign Affairs Office), leurs architectures sont différentes d’une province à l’autre et n’offrent aucune visibilité générale. Les recherches entreprises sur le site Internet du ministère du Commerce n’ont pas apporté de résultats tangibles. Comme en Afrique subsaharienne, l’accès aux données et aux statistiques se révèle laborieux et ne permet pas de comparaisons pourtant utiles, voire indispensables.

Engageant progressivement leurs propres ressources financières et humaines, les provinces chinoises – appuyées par la stratégie de « Going out153 » – contribuent à l’approfondissement et à la densification des relations sino-africaines. Elles participent également à l’expansion économique et à l’influence chinoise, prise dans sa globalité. Acteurs et prestataires de l’aide et de l’investissement en Afrique, les provinces développent à leur niveau les échanges culturels caractérisés par ces jumelages. Moins contrôlées et contrôlables que leurs pendantes nationales, les entreprises publiques de niveau provincial (ETL) produisent parfois des effets indésirables et contraires aux volontés étatiques : elles seront graduellement exposées et provoqueront obligatoirement certains conflits in situ. Leur autonomie, relative, participe à la création de représentations desservant le gouvernement chinois. Ces dernières sont liées aux conditions de travail, aux pratiques commerciales, à la qualité des ouvrages, à l’éthique, à la sécurité, à l’environnement, etc. Les employés de ces entreprises sont, dans une certaine mesure, moins « malléables » et ont d’ores et déjà provoqué des grèves et des manifestations sur le continent. Certains mouvements sociaux ont provoqué la mort de salariés chinois, en Guinée Équatoriale par exemple154. Manifestement, dans ce cas, la position de l’Ambassade chinoise, à Malabo, fut ambigüe : la représentation diplomatique était effectivement redevable devant les États chinois et équato-guinéen, les travailleurs, les responsables de la société incriminée et l’opinion nationale et internationale… L’évocation du rôle joué dans la coopération sino-africaine par les différentes entités administratives et spécifiquement par les provinces, doit désormais être réévaluée dans les schèmes généraux de l’« aide » chinoise apportée au continent africain. Singulière, unique et dans un sens typiquement chinoise, cette coopération se veut essentiellement verticale. La multitude d’acteurs présents ou participant au phénomène global qu’est la relation Chine- Afrique a partiellement permis cette « déconstruction » des « présences » chinoises en Côte d’Ivoire. Une déconstruction qui a, ici, l’avantage de poser les bases de la coopération entre les deux parties, entre la Chine et la Côte d’Ivoire. Agrégés, les migrants, les chercheurs et les organismes de recherche, les provinces et les institutions financières chinoises possédant un rôle significatif dans l’aide, récusent l’omnipotence et le monopole étatique. Les relations sino-africaines et sino-ivoiriennes ne sont donc pas limitées aux seuls rapports bilatéraux, gouvernementaux. Les États – chinois comme africains – ne sont pas les uniques acteurs à construire la relation, malgré les marges de manœuvre dont ils disposent, particulièrement en Chine. Ces marges sont l’objet du Chapitre IV qui intègre les mécanismes de cette « aide » ; aide qu’il convient, avant tout, de placer à l’échelle ivoirienne.

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Ou « Going global », stratégie impulsée par le gouvernement chinois et Jiang Zemin en 1999 afin d’inciter les entreprises chinoises à « sortir » à l’étranger, soit, inciter ces dernières à investir à l’international. Cette politique a pour objectif la sécurisation de l’accès aux matières premières, la promotion de l’exportation de biens, de services et des grandes entreprises publiques chinoises.

Stratégie de Going Out : mieux la mettre en œuvre, Government of China, 15 mars 2006,

http://www.gov.cn/node_11140/2006-03/15/content_227686.htm

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Two Chinese strikers die in Equatorial Guinea Clash, China Daily, 31 mars 2008,

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DEUXIÈME PARTIE : La Chine dans le jeu territorial et de la

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