tellement simple, confiante et modeste qu'elle ne s'affirme pas elle-même ?
«
O mon
Dieu Imon
argument c'estmon
besoin,mon
équipement c'estmon
dénûment,ma
route vers toi c'est ta grâce,mon
intercesseur auprès detoi, c'est seulement ton bienfait. >
«
O mon
Dieu !comment me
réjouirais-je, puis-que je t'ai offensé ; maiscomment
neme
réjoui-rais-je pais sachant (désormais) qui tu es ?
Com-ment
t*invoquerais-je,moi
pécheur ; maiscomment
ne t'invoquerais-je pas, toi Miséricordieux ? >(1) Sarrâj. LHffwî», 260 et 361.
182 VIES DES SAINTS
UUSULMÂNS
«
Que
de gens disent à Dieu :Pardon
! qui sont sous sa haine, et que de gens qui restent silencieux sont en son pardon ! Celui-là dit :Pardon
! mais son coeur reste dans le péché ; celui-là se tait, mais soncœur
luiremémore
Dieu. >«
O mon
Dieu, ne l'oublie pas, j'ai guidé sur la route quimène
à Toi et j'ai témoigné que la supré-matie est à toi. Voici, levées vers toi, des mains souillées par les péchés et des yeux maquillés- du kohl de l'espérance. Accueille-moi ; tu esun
roi généreux ; et pardonne-moi, je suisun
serviteur si faible > (1).«
O mon
Dieu 1 je suis incapable d'observer les conditionsdu
repentir. Pardonne-moi sans repen-tir"» <2).« Si le Seigneur très haut, au jour de la Résur-rection,
me demande
-:Que
nous apportes-tu ? Je lui répondrai :mon
Dieu, que peut apporterun
misérable qui sort de prison, à part l'habit qu'il porte ? Lave-moi demes
souillures dans ta généro-sité et fais-moi miséricorde » (3).A
cette miséricorde, Yahya, qui avaitpeu
con-fiance dans les forces humaines, n'assignait guère de limites, ce qui l'inclinait à l'indulgence. « Si j'avais l'autorité de juger, disait-il, je necondamne-rais pas les amoureux, car leurs péchés ont été par contrainte et
non
par consentement » (4).Il n'en avait pas
moins
une grande autorité pour(1) Içbahâiil, trad. L» Massignon, Lexique, 238-240.
(2) Cha'râwl, I, 70.
(3) 'Attâr, 191.
(4) L. Massignon, Lexique, 240. Cette idée de la fatalité de l'amour est peut-être parente de celle qui se trouve chez Ibn Dàwoûd théoricien de l'amour courtois.
empêcher
les gens de tranisgresser les limites ; et l'on craignait son jugement.Il proclamait qu'un seul péché après le repentir est plus grave que soixante-dix auparavant. Mais, nous l'avons vu, sa religion était résolument axée sur l'initiative divine et pro-fessait la primauté de la foi sur les œuvres : « Si la foi ne détruit pas les mauvaises actionscomme
l'infidélité détruit les bonnes, quel est
donc
lemé-rite dela foi
?»
EtH
estimait aussi que s'hypnoti-ser sur ses péchés n'était pas bon. «Le
repenti ne voit que son repentir qui lui .estun
voile... mais:r«
arrivé », rien ne lui est voile > (1). Tout cela rendait sa spiritualité nettement optimiste.Bisthâmi, l'ascète forcené, le fulgurant mystique de l'Iran, trouvait l'abandon et la suavité de
Yahya
trop imprégnés d'indolence et le traitait d'unpeu
haut : « Pauvre Yahya, disait-il, qui ne sait pas endurer l'adversité IComment
ferait-il pour endu-rer le bonheiu"?»
Etcomme
al Râzî lui écrivaitun
jour : « Je suis ivre pour avoirbu
longuementà la coupe de son
amour
», il lui répondit : «Un
autre a
bu
lesmers du
ciel et de la terre et il n'est pas encore désaltéré ; il tire la langue et crie *.« N'y en a-t-il pas encore
?»
(2).Mais l'humble et confiante simplicité d'al Râzî valait peut-être l'effort, si héroïque qu'il fût, d'al Bisthâmî.
(1) 'Aroûsî, com. Ançârl.
(2) Qouchayrî et Cha'râ'wl ; L. Massignon, Lexique, 241.
—
Un des premiers exemples du symbolisme du vin dans la mystique musulma:ne, après ceux de Dâ'oud al ThâU (+ 165) et de Dzoû'l Noûn al Miçri (+ 245). E. D., L'Eloge du Vin, p. 123.
—
La phrase de Bisthâmi estd'un accent d'autant plus fort qu'elle se termine par un texte coranique (sourate Qaf, L, verset 29) : « Alors,Nous crieronsà l'enfer : Es-tu plein ? et il répondra : N'y en a-t-ilpas encore îHal minmaztd. »:-iç«-»i^*^f-._;;:M_v v&im^^
184 VIES DES SAINTS
MUSULMANS
L'amour (mahabba), qui a sa racine dans l'Etre absolului-même (1), ne va pas sans laconnaissance (ma'rifa) et ce que
Yahya
dit de ceUe-ci est paral-lèle à ce qu'il dit de celui-là.La
pure gnose est au delà de la connaissance expérimentaleou
ration-nelle, au delà de la théologie apophatiqueou
cata-phatique.Le
'ârif ne peut se contenter de contem-plermême
lemonde
supérieur des Idées plus quele
mouhibb
ne peut se contenter de savourer les joiesdu
Jardin. «Le
paradis est laprisondu
gnosti-quecomme
lemonde
est la prisondu
croyant. *« L'ascète est exilé en ce
monde
; l'initié est exilémême
dans l'autre » (2). Il est une route pour arri-ver à cet étatoù
s'unifient le connaisseur, leconnu
et la connaissance, une route, la plus courte et la plus difficile. « Qui se connaît, connaît son
Sei-gneur ». Sentence magnifique qui évoque, par delà
le
moi
individuel, le Soi, l'âtman des Hindous, la fine pointe de l'esprit qui est le lieu d'insertiondu
divin dansl'homme
et perdure introublée au milieu des bouleversementsdu
corps et de l'âme.Le royaume
de Dieu est au dedans de nous. Mais diffi-cile est de rentrer en soi-même. Qui se connaît connaît Dieu dont il est l'image. Mais Socrate et Platon et les prêtres de Delphes savaient combienil est rare que les
hommes
se connaissent.Tu demandes
où est Leïla et Leïla s'irradie entoi, chantent, avec le poète al Harraq, les
Derqawa
maghrébins dans leurs séances, extatiques faisant écho sur cettemême
terre d'Ifriqiya aumot du
ber-(1) « Si les cœurs pouvaient atteindre le fond de l'amour en leur créateur ! » in Içbaîiânl ; Massigoon, Hallâj, 609.
(2) Cha^râ-wî, I, 69 ; Massignon, Hallâj, 751 ; et Textes, 27.
bère saint Augustin cité par saint François de Sales : Je te cherchais hors de
moi
et je ne te trou-vais point parce que tu étais enmoi
<1).Les çoufis des Indes ont précisé : « Qui se connaît, connaît son Seigneur. Qui connaît son Sei-gneur, ne se connaît plus > (2), soulignant l'aspect dévastateur de cette gnose unifiante. Mais le haqâ (permanence) est inséparable
du
fana (annihila-tion) ; il s'agit de se perdre pour Se trouver ; et il n'y a aucune contradiction entre les sentences deYahya
et de saint Augustin et celle-ci, de Tauler.cité par le
même
François de Sales :On
luide-mande où
il avait trouvé Dieu. « Là, dit-il,où
jeme
suis laissémoi-même
; et làoù
Jeme
suis trouvémoi-même,
c'est là que j'ai perdu Dieu..>;*
La
vie extérieure d'Aboû ZakaryaYahya
(Jean-Baptiste) ibnMou'âdz alRâzî nous est
moins
connue queses idées, ses prières etses poèmes.Nous
savons qu'originaire de Ray, il vécut surtout à Nichâpoûr.à l'extrémité nord-est du Khorâssân,
non
loin de Meched. Ses deux frères, Ibrahim et Isma'îl, étaient aussi des ascètes. Il séjourna assez longtemps à Balkh, dans le Turkestan, près des ruines de l'an-cienne capitale de la Bactriane, passa quelque temps àBagdad où
il connut sans douteJounayd
à l'aurore de sarenommée
et quelques autres çoufis(1) TToité de l'amour de Bien, I. XII. Cf. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux... t. I. L'humanisme dévot, 1921, p. 124.
(2) Ant. Cabaton, L'Islam aux Indes néerlandaises. Revue du Monde musulman, 1920, t. XXXIX, p. 48.
<t.
186 VIES DES SAINTS
MUSULMANS
de la capitale des 'Abbâssides, puis revint à Nichâ-poûr,
où
ilmourut
en 258/872 etoù
il fut enterré.Le
peuple vient à sa tombe, précise al Ançâri,pour demander
la pluie dans les périodes de grande sécheresse. Il ne nous déplaît pas de voir ce prédi-cateur, cet ascète, ce théologien et ce poète prendre rangparmi
les grandes forces fécondantes de la na-ture. Aussi bien n'enseignait-il pas que la connais-sance est avant tout le contact avec la Réalité ?Il reçut et transmit des,hadits de Ishaq ibn
So-layman
al Râzi (+200/815), Ibn Ibrahim al Balkhî (+214/829) et 'Ali ibnMohammad
al Tanâfisi (+230/844) (1). Il fut disciple d'IbnKarrâm
(+255/869), le théologien mystique, et, par lui, de IbnHarb
(+234/848), se rattachant ainsi à Chaqîqal Balkhî (+199/814), disciple direct
du
célèbre Ibrahim ibnAdham,
et àl'école khorâssânienne (2).A
son maître Ibn Karrâm, ilemprunta une
règle de vie : <La
forcedu cœur
tient à cinq choses ^lire le Coran en le méditant, garder le ventre vide se lever la nuit pour prier, s'humilier devant Dieu à l'aube, et fréquenter les gens pieux » (3).
Le mode
de vie d'IbnKarrâm
et de ses disciples,parmi
lesquels dutun
temps figurer Yahya, ne manquait pas de pittoresque. Ils circulaient sur lea routes d'Asie, en apôtres mendiants, vêtus de peaux demoutons fraisécorchés, tannéesmaisnon
cousues.(1) Ibn Kallikân, IV, 51.
(2) « Les gens du Khorâssân, disait Jounayd, sont des compagnons du cœur » ; voulant dire qu'ils pft)ssédaient les états mystiques sans bien pouvoir les exprimer,
—
ce qui ne parait pas très exact de l'éloquent Yahya. Sarrâj, Liima*, 359.(3) L. Massignon, Lexique, p. 231 et 238.
et coiffés de toques blanches.
Quand
ils arrivaient dansune
bourgade,on
dressait une estrade foraine en briques d*où IbnKarrâm
haranguait la foule (1).Yahya
Râzî semble avoir eu des sympathiespour
les descendants
du
Prophète, écartésdu
trône parles
Oméyades
et les 'Abbâssides, mais qui avaient conservé des"partisans et vers qui les oppositions politique, religieuse, nationale, tournaient les yeux.Un
de ces 'Alides persécutés résidait à Balkh.Yahya,
venu
dans cette ville, alla lui présenter ses respects. L"Alide luidemanda
quelle était son opi-nion sur les « Gens de la Maison > (deMohammed).
—
Argile pétrie avec l'eau de la révélation, arro-sée avec l'eau de la mission céleste : peut-elle avoir une autre odeur que celledu musc
de labonne
di-rection etde l'ambre dela piété ?Charmé,
on
le conçoit, de cette réponse, T'Alide« remplit de perles » la bouche de
Yahya —
ce quiest sans doute encore
une
figure de rhétorique—
et vint dès le lendemain matin lui rendre savisite. Al Râzî, continuant ses politesses fleuries, lui dit alors :—
Votre venuepour
nous voir estun
effet de votre bonté ; notre venue pour vous voir était à cause de votre bonté ; ainsi vous, visitant et visité, êtes doublementbon
(2).L'on connaît à
Yahya
plusieurs disciples :Aboû
'Otsmân al Hîrî, Yoûsouf ibnHousayn
al Râzî, Ibrahim alKhawwâz,
et surtoutAboû
MouthiMakhoûl
ibn Fadhl al Nasafî de Balkh (+314/927) dont on a conservéun manuel
de la viecom-(1) Ibid., p. 230.
(2) Ibn KhaUikân. IV, 52.
..-^
188 VIES DES SAINTS
MUSULMANS
nmne
suivie dans les < fraternités > monastiques des Karrâmiya (disciples d'Ibn Karrâm).Makhoûl
al Nasafîinsistesurtoutsurla «fraternitépour Dieu>,l'hospitalité, la discrétion, lamesure,lerenoncement
' àlavainegloire, ledzikr,