noc-turne ?) qui restèrent là jusqu'à ce que la terre les recouvrit (19).
La
jeunesœur
de Sari lui proposaun
jour de lui balayer sa chambre. «Pour
la vie que je mène,dit-il, point n'est besoin de balayer la maison. » Mais
le lendemain, la
sœur
vit une vieillefemme
quibalayait la maison. «
O mon
frère, dit-elle, qui est cettefemme
?—
C'est lé Monde, dit Sarî, ïe Monde, qui brûle d'amour pour nous ; maiscomme
nous ne faisons pas attention à lui, il vient ici pour se faire voir et balaye la maison. »Le
poète sait voir partout des spectacles qui en disent long.La
seule façon dedominer
lemonde
est de renoncer à lui.
...
Le monde
estmon royaume
et le tempsmon
esclave...chantera quatre siècles plus tard le poète mystique égyptien
'Omar
ibn al Fâridh.Sauf cinq choses, tout est vanité en ce
monde,
disait Sarî : juste assez de nourriture pour soutenir
lavie ; assez d'eau pour apaiserla soif ; des habits pourcouvrirle corps ; une maison pour
y
habiter ;une
science pour la mettre en pratique (20).Parmi
les conseils qu'ildonna
à Jounayd, celui-ci gardait lamémoire
d'une « route très abrégée pour(19) Qouchayrl, 11 ; 'Attâr, 181 ; Içbahânî, X, 121.
(20) >Attâr, 181 ; Içbahânî, X, 120.
172 TIES DES SAINTS
MUSULMANS
aller au paradis : ne
demande
rien à personne, ne prends rien à personne, n'aie rien avec toi qui ne puisse être partagé > (21).« Etre patient, disait-il encore, c'est être
comme
laterre qui supporte lesmontagnes, les fils d'Adam, tout ce qui est sur elle et ne se plaint pas. > Et encore : <
Ne
te fie pas à cemonde
; ton lien avec Dieu serait coupé.Marche
doucement sur la terre ;elle sera bientôt ta tombe. >
Il eut voulu
—
et la chose est à noter—
se faire holocauste, « supporter la tristesse de toutes les créatures >. L'essentiel de la vie mystique n'était pas pour lui dans les charismes mais dans l'annihi-lationdu
moi. « Siun homme
entrait dansun
jar-din plein de toutes les espèces d*arbres aux bran-ches chargées d'oiseaux,si chaqueoiseau lui disait :< Sur toi le salut, ô saint d'Allah ! > et si son
âme y
éprouvait de la complaisance, il serait le prison-nier de tout cela. >Ce
qu'il ne se sentait pas le courage d'affronter délibérément, c'était la pertedu
(21) Qouchayrt, 11 ; Sarrâj, 197 ; Içbahânî, X, 119.
— A
ce propos. Al 'Aroûsl, commentantAl Ansarl, commentateur d'Al Qouchayrî, note qu'il y a plusieurs paradis : celui de la ré-compense' des actes, celui de l'héritage des caractères nobles de l'imitation de Mohammed, celui, tout spirituel, des attri-buts des noms divins, celui de l'essence et dé la contempla-tion de l'unique beauté, celui de l'étroitesse où il n'y a place pour rien d'autre et qu'on ne.peut se figurer, car « ne peut connaître Dieu que Dieu », celui, plus mystérieux encore de l'élargissement ;—
et ilcite alors ces deuxTers magnifiques : Là takoul dârouhd bicharqiyyi najdin koullou nadjin lil*âmiriyati dârou.
Wa
lahâ manztloun 'ald koulli mà'inwa
*alà koullî dim-natin àtsdrou.Ne dis pas que sa demeura est à l'orient du Najd r.tout le
Najd est pour la «Amiriya (Layla) une demeure.
A
elle est un campement près de chaque point d'eau ; et sur chaque tas de cendres laissé par les Toyageurs, il y a une trace d'eU'e.sentiment de la présence divine : «
mon
Dieu,disait-il, maltraite-moi de toutes les façons que tu voudras, mais
non
par l'humiliationdu
hijab (l'ac-tion de se voUer > (22).Sarî
demanda un
jour à son neveu ce qu'était, selon lui, l'amour. « Les uns disent, répondit Jou-nayd, que c'est la conformité, les autres que c'est préférer l'aimé à soi-même, etc.. ». Mais Sarî, l'in-terrompant, pinça la peau de son bras et essaya en vain de l'étirer : « Par Sa puissance—
qu'il soit exalté !—
sije disais que cette peaua durci sur cet os à cause de son amour, je nementirais pas. »L'on considérait que l'amour devait avoir des ré-percussions visibles dans le corps.
Le
livre de la Fleur d'oranger à Bagdad,comme
le Collier de laColombe, en Andalousie (23), sont pleins de détails à cet égard et les contes arabes présentent souvent
un
naédecin qui diagnostique lemal
d'amour et prescritun
traitement adéquat.Quand
Saritomba
malade, aucun
symptôme
clair ne permit d'émettre une opinion.Jounayd
recueillit ses urines et les porta àun médecin
chrétien qui déclara : «Ce
sont les urines d'unamoureux
ardent. »En
enten-dant cela, le neveu de Sari, ordinairementmoins
émotif, poussa
un
grand cri ettomba
évanoui. Puisil rapportala chose àson oncle qui ditsimplement :
« Je ne savais pas que l'amour pouvait se montrer
là » (24).
(22) Içbahânî, X, 120, 121, 118.
(23) D'Ibn Dâwoûd et <
:. Nykl.
(24) Mounâwl, fol. 122.
(23) D'Ibn Dâwoûd et d'Ibn Hazm, étudiés si finement par M. Nykl.
174 VIES DES SAINTS
MUSULMANS
Les visiteurs manquaient parfois
de
discrétion et fatiguaient le malade.Trop
patient pour se plain-dre, il savait pourtant user d'ironie. « Etendez les.
mains
pour que jedemande
quelque chose » (il était trop malade pour se mettre lui-même debout). Ils prirent, à sa place, l'attitude rituelle de lademande
et sa prière fut : «
O mon
Dieu, enseigne-nous à visiter les malades > (25).n
taquinait parfois son neveu Jounayd, déjà inai-tre écouté denombreux
disciples : « J'ai entendu dire que les gens se tiennent autour detoi à lamos-quée...
—
Oui ; je reste au milieu demes
frères ;nous parlons de la science divine et profitons les uns des autres.
— Penh
1 voilà que tu deviens le centre de réunion des badauds... •» (26).Quelques années plus tard, dans des circonstan-ces solennelles,
Jounayd
lui répondit, avecun
sou-rire encore et une magnifique politesse. Sarî était sur son lit demort
et faisaitune
dernière recom-mandation à son neveu : prendre garde à ne pas se laisser absorber par lacompagnie
deshommes même
bons au point de négliger la compagniedu
Seigneur. « Si tu m'avais dit cela plus tôt, dit Jou-nayd, j'aurais renoncé à toute relation avec toi > (27).Malgré ses maladies, Sarî ne
mourut
qu'à 98 an%.Sa
tombe
est à la Chanousiya, sur la rive droitedu
Tigre, à côté de celle de Jounayd,
non
loin de cellede
Ma
'rouf.(25) Qouchayrî, 11 ; Içbahànl, X, 123.
(26) Sarrâj, Lnmd', 181. Selon Içbahflnl, c'est Aboû Ja'far
Sammaq qui dit cela à Sari (X. 119).
(27) «Attâr, 183.
Ce
n'était pas pour rire qu'il avait aimé et il sa-vait qu'il n'y a rien de plus terrible que l'Amour :« Je couchais
un
jour, raconte Jounayd, chez Sarîal Saqathi.
Au
milieu de la nuit, il ditdoucement
:«
O
Jounayd, dors-tu ?—
Non.—
• Ecoute. Dieu, qu'il soit exalté I vient deme
dire ceci : «O
Sarî,j'ai créé les êtres.
Tous
ont prétendu m'aimer. J'ai créé le has-monde.Neuf
mille sur dix mille s'en sont occupés. Alors j'aî créé le paradis. Sur les mille restant, neuf cents s'en sont occupés. Sur les cent restant, j'ai envoyé les calamités ; quatre-vingt-dix se sont occupés de leur malheur et ilen
estresté dix.
A
ceux-là. J'ai dit : «Vous
avez dédai-gné lemonde,
vous ne désirez pas l'autremonde,
vous ne fuyez pas le malheur.Que
voulez-vousdonc
? Ils m'ont dit : «Tu
sais ce que nous vou-lons >.Je leur ai dit : « Je vais faire descendre sur vousun
malheur que vous ne pourrez endurer et que ne pourraient supporter les plus solidesmon-tagnes... > Ils ont dit : « N'es-tu pas notre Sei-gneur î > (28). Alors je leur ai dit : «
Vous
êtesmes
véritables serviteurs > (29).(28) C'est leretournement de la fameuse parole du mttsâq i
t Ne Buis-jepoint votre Seigneur ? » (Coran, YQ", 171) adressée par Dieu aux âmes encore « dans l'es reins d'Adam », et à
laquelle elles ont répondu : « Si I ». Pacte etparole primor-diaux qui sont & la racine
même
du cycle de l'existence etdont sont à Jamais enivrés les êtres, qui « se souviennent ».
(29) Yâfl'l,213-214.
—
SurSarial Saqathi,voirnotamment :Qouchayrî, Risâla, p. 10 ; Cha'râwî, Thabaqât, I, 63 ; Yâfl'i,
Rawdh, p. 66, 104, 125, 204, 213 ; 'Abderraoûf al Mounâwl, Ms arabe 6490 de la Bibl. Nat., fol. 122 ; ALoû Naçr al Sarrâj, Luma}, édit. Nicholsoii, p. 181, 235, 251, 262, 352 ;
Ibn Ehallikân, trad. angl. de Slane, I. 555-557; Ferideddin al 'Attâr, Tezkereh-i-evliâ, trad. Pavet de Courteille, p.180-183 ;
Aboû Nou'îm al Içbahânî, HUiyat al awUga, t. X, p. 116-127.
.•^