• Aucun résultat trouvé

Et Jounayd vit sur le sol des morceaux d'une gargoulette cassée (par Sari ou par la visiteuse

Dans le document LINIVERSITY OF CHICAGO (Page 178-184)

noc-turne ?) qui restèrent jusqu'à ce que la terre les recouvrit (19).

La

jeune

sœur

de Sari lui proposa

un

jour de lui balayer sa chambre. «

Pour

la vie que je mène,

dit-il, point n'est besoin de balayer la maison. » Mais

le lendemain, la

sœur

vit une vieille

femme

qui

balayait la maison. «

O mon

frère, dit-elle, qui est cette

femme

?

C'est Monde, dit Sarî, ïe Monde, qui brûle d'amour pour nous ; mais

comme

nous ne faisons pas attention à lui, il vient ici pour se faire voir et balaye la maison. »

Le

poète sait voir partout des spectacles qui en disent long.

La

seule façon de

dominer

le

monde

est de renoncer à lui.

...

Le monde

est

mon royaume

et le temps

mon

esclave...

chantera quatre siècles plus tard le poète mystique égyptien

'Omar

ibn al Fâridh.

Sauf cinq choses, tout est vanité en ce

monde,

disait Sarî : juste assez de nourriture pour soutenir

lavie ; assez d'eau pour apaiserla soif ; des habits pourcouvrirle corps ; une maison pour

y

habiter ;

une

science pour la mettre en pratique (20).

Parmi

les conseils qu'il

donna

à Jounayd, celui-ci gardait la

mémoire

d'une « route très abrégée pour

(19) Qouchayrl, 11 ; 'Attâr, 181 ; Içbahânî, X, 121.

(20) >Attâr, 181 ; Içbahânî, X, 120.

172 TIES DES SAINTS

MUSULMANS

aller au paradis : ne

demande

rien à personne, ne prends rien à personne, n'aie rien avec toi qui ne puisse être partagé > (21).

« Etre patient, disait-il encore, c'est être

comme

laterre qui supporte lesmontagnes, les fils d'Adam, tout ce qui est sur elle et ne se plaint pas. > Et encore : <

Ne

te fie pas à ce

monde

; ton lien avec Dieu serait coupé.

Marche

doucement sur la terre ;

elle sera bientôt ta tombe. >

Il eut voulu

et la chose est à noter

se faire holocauste, « supporter la tristesse de toutes les créatures >. L'essentiel de la vie mystique n'était pas pour lui dans les charismes mais dans l'annihi-lation

du

moi. « Si

un homme

entrait dans

un

jar-din plein de toutes les espèces d*arbres aux bran-ches chargées d'oiseaux,si chaqueoiseau lui disait :

< Sur toi le salut, ô saint d'Allah ! > et si son

âme y

éprouvait de la complaisance, il serait le prison-nier de tout cela. >

Ce

qu'il ne se sentait pas le courage d'affronter délibérément, c'était la perte

du

(21) Qouchayrt, 11 ; Sarrâj, 197 ; Içbahânî, X, 119.

— A

ce propos. Al 'Aroûsl, commentantAl Ansarl, commentateur d'Al Qouchayrî, note qu'il y a plusieurs paradis : celui de la ré-compense' des actes, celui de l'héritage des caractères nobles de l'imitation de Mohammed, celui, tout spirituel, des attri-buts des noms divins, celui de l'essence etla contempla-tion de l'unique beauté, celui de l'étroitesseil n'y a place pour rien d'autre et qu'on ne.peut se figurer, car « ne peut connaître Dieu que Dieu », celui, plus mystérieux encore de l'élargissement ;

et ilcite alors ces deuxTers magnifiques :takoul dârouhd bicharqiyyi najdin koullou nadjin lil

*âmiriyati dârou.

Wa

lahâ manztloun 'ald koulli mà'in

wa

*alà koullî dim-natin àtsdrou.

Ne dis pas que sa demeura est à l'orient du Najd r.tout le

Najd est pour la «Amiriya (Layla) une demeure.

A

elle est un campement près de chaque point d'eau ; et sur chaque tas de cendres laissé par les Toyageurs, il y a une trace d'eU'e.

sentiment de la présence divine : «

mon

Dieu,

disait-il, maltraite-moi de toutes les façons que tu voudras, mais

non

par l'humiliation

du

hijab (l'ac-tion de se voUer > (22).

Sarî

demanda un

jour à son neveu ce qu'était, selon lui, l'amour. « Les uns disent, répondit Jou-nayd, que c'est la conformité, les autres que c'est préférer l'aimé à soi-même, etc.. ». Mais Sarî, l'in-terrompant, pinça la peau de son bras et essaya en vain de l'étirer : « Par Sa puissance

qu'il soit exalté !

sije disais que cette peaua durci sur cet os à cause de son amour, je nementirais pas. »

L'on considérait que l'amour devait avoir des ré-percussions visibles dans le corps.

Le

livre de la Fleur d'oranger à Bagdad,

comme

le Collier de la

Colombe, en Andalousie (23), sont pleins de détails à cet égard et les contes arabes présentent souvent

un

naédecin qui diagnostique le

mal

d'amour et prescrit

un

traitement adéquat.

Quand

Sari

tomba

malade, aucun

symptôme

clair ne permit d'émettre une opinion.

Jounayd

recueillit ses urines et les porta à

un médecin

chrétien qui déclara : «

Ce

sont les urines d'un

amoureux

ardent. »

En

enten-dant cela, le neveu de Sari, ordinairement

moins

émotif, poussa

un

grand cri et

tomba

évanoui. Puis

il rapportala chose àson oncle qui ditsimplement :

« Je ne savais pas que l'amour pouvait se montrer

là » (24).

(22) Içbahânî, X, 120, 121, 118.

(23) D'Ibn Dâwoûd et <

:. Nykl.

(24) Mounâwl, fol. 122.

(23) D'Ibn Dâwoûd et d'Ibn Hazm, étudiés si finement par M. Nykl.

174 VIES DES SAINTS

MUSULMANS

Les visiteurs manquaient parfois

de

discrétion et fatiguaient le malade.

Trop

patient pour se plain-dre, il savait pourtant user d'ironie. « Etendez les

.

mains

pour que je

demande

quelque chose » (il était trop malade pour se mettre lui-même debout). Ils prirent, à sa place, l'attitude rituelle de la

demande

et sa prière fut : «

O mon

Dieu, enseigne-nous à visiter les malades > (25).

n

taquinait parfois son neveu Jounayd, déjà inai-tre écouté de

nombreux

disciples : « J'ai entendu dire que les gens se tiennent autour detoi à la

mos-quée...

Oui ; je reste au milieu de

mes

frères ;

nous parlons de la science divine et profitons les uns des autres.

— Penh

1 voilà que tu deviens le centre de réunion des badauds... •» (26).

Quelques années plus tard, dans des circonstan-ces solennelles,

Jounayd

lui répondit, avec

un

sou-rire encore et une magnifique politesse. Sarî était sur son lit de

mort

et faisait

une

dernière recom-mandation à son neveu : prendre garde à ne pas se laisser absorber par la

compagnie

des

hommes même

bons au point de négliger la compagnie

du

Seigneur. « Si tu m'avais dit cela plus tôt, dit Jou-nayd, j'aurais renoncé à toute relation avec toi > (27).

Malgré ses maladies, Sarî ne

mourut

qu'à 98 an%.

Sa

tombe

est à la Chanousiya, sur la rive droite

du

Tigre, à côté de celle de Jounayd,

non

loin de celle

de

Ma

'rouf.

(25) Qouchayrî, 11 ; Içbahànl, X, 123.

(26) Sarrâj, Lnmd', 181. Selon Içbahflnl, c'est Aboû Ja'far

Sammaq qui dit cela à Sari (X. 119).

(27) «Attâr, 183.

Ce

n'était pas pour rire qu'il avait aimé et il sa-vait qu'il n'y a rien de plus terrible que l'Amour :

« Je couchais

un

jour, raconte Jounayd, chez Sarî

al Saqathi.

Au

milieu de la nuit, il dit

doucement

:

«

O

Jounayd, dors-tu ?

Non.

Ecoute. Dieu, qu'il soit exalté I vient de

me

dire ceci : «

O

Sarî,

j'ai créé les êtres.

Tous

ont prétendu m'aimer. J'ai créé le has-monde.

Neuf

mille sur dix mille s'en sont occupés. Alors j'aî créé le paradis. Sur les mille restant, neuf cents s'en sont occupés. Sur les cent restant, j'ai envoyé les calamités ; quatre-vingt-dix se sont occupés de leur malheur et il

en

estresté dix.

A

ceux-là. J'ai dit : «

Vous

avez dédai-gné le

monde,

vous ne désirez pas l'autre

monde,

vous ne fuyez pas le malheur.

Que

voulez-vous

donc

? Ils m'ont dit : «

Tu

sais ce que nous vou-lons >.Je leur ai dit : « Je vais faire descendre sur vous

un

malheur que vous ne pourrez endurer et que ne pourraient supporter les plus solides

mon-tagnes... > Ils ont dit : « N'es-tu pas notre Sei-gneur î > (28). Alors je leur ai dit : «

Vous

êtes

mes

véritables serviteurs > (29).

(28) C'est leretournement de la fameuse parole du mttsâq i

t Ne Buis-jepoint votre Seigneur ? » (Coran, YQ", 171) adressée par Dieu aux âmes encore « dans l'es reins d'Adam », et à

laquelle elles ont répondu : « Si I ». Pacte etparole primor-diaux qui sont & la racine

même

du cycle de l'existence et

dont sont à Jamais enivrés les êtres, qui « se souviennent ».

(29) Yâfl'l,213-214.

SurSarial Saqathi,voirnotamment :

Qouchayrî, Risâla, p. 10 ; Cha'râwî, Thabaqât, I, 63 ; Yâfl'i,

Rawdh, p. 66, 104, 125, 204, 213 ; 'Abderraoûf al Mounâwl, Ms arabe 6490 de la Bibl. Nat., fol. 122 ; ALoû Naçr al Sarrâj, Luma}, édit. Nicholsoii, p. 181, 235, 251, 262, 352 ;

Ibn Ehallikân, trad. angl. de Slane, I. 555-557; Ferideddin al 'Attâr, Tezkereh-i-evliâ, trad. Pavet de Courteille, p.180-183 ;

Aboû Nou'îm al Içbahânî, HUiyat al awUga, t. X, p. 116-127.

.•^

Dans le document LINIVERSITY OF CHICAGO (Page 178-184)