qui fut le maître
du
si sympathique Bichr al Hâfî.Ce dernier, Foudhayl le connut peut-être person-nellement. Al Hâfî lui aurait
demandé
ce qu'on devait priser le plus, lezouhd
(ascétisme) ou la ridhâ (satisfaction de râîné) et Foudhayl aurait répondu : « Rien n'est au-dessus de la ridhâ » (3).(1) Maikkî, qoût, I, 29.
—
Selon Dhahabî, Mâlik ihn Dînâr reprochaità Abân (+ 128 ou141) de fabriquer de faux îsnâds pour autoriser des dévotions ou pour donner pltis de poids aux sentences d'al Hasan al Baçrî. L. Massignon, Lexique, 101, 156, 191.—
Soufyân al Tsawri, mort à Baçra en 161/777, avait fréquenté Ibrahim, ibn Adham ; il fut le maître d'Ibn 'Ouyayna et d'al Dârâni.(2) 'Attâr, 75.
(3) Ibld... Ridhâ, c'est l'acceptation, la satisfaction, l'état de
grâce, la complaisance réciproque de l'âme et de Dieu ; c'est
une des <t stations » de la nomenclature çoufle élaborée à
partir de Dzoû'l Noûn al Miçrî. Ici la phrase oppose lagrâce |
divine, qui a l'initiative et la primauté, à l'effort de l'ascèse.
^
I
72 VIES DES SAINTS
MUSULMANS
Bichr, l'ancien ivrogne, qui eut
une
vie toute fran-ciscaine, sut profiterdu
conseil.Peut-être Foudhayl connut-il aussi
Ahmad
ibn Hanbal, alors tout jeune.Le
fondateurdu
ritehan-balite, dont les disciples furent par la suite si
hos-tiles,
aux
inystiques, fut, à Bagdad, en relations ami-cales avec plusieurs çoufis,notamment
Bichr, sans être toujours doctrinalement d'accord avec eux. Il aurait entendu Foudhayl dire : « Quiconque recher-che la grandeur en cemonde
obtientle mépris dansl'autre », et aurait reçu de lui ce suprême conseil :
«
O Ahmad
I sois queue, ne sois pas tête ; n'aspire jamais àlagrandeur » (1).Foudhayl, qui songeait à ses crimes, ne savait plus rire, vivait dans l'austérité et le mépris
du monde
et de lui-même. <Quand mourra
Foudhayl,disait Ibh al Moubarak, la tristesse disparaîtra >.
<
Deux
choses, disait Foudhayl, plongent lecœur
,dans les ténèbres :
manger
trop et rester longtemps couché...Deux
mauvaises choses proviennent de votre ignorance : vous riez trop, ce qui estvrai-ment
aussi étrange en cemonde
que ce le seraitde pleurer dans le paradis ; et vous donnez des conseils sans ,en accepter. > Et l'ancien bandit déclarait : « Si l'on m'olfrait le
monde
entier sansmême
que j'eusse à en rendre compte, je le regar-deraiscomme
une charogne dont on écarte ses habitsquand on
passe près d'elle. Se laisser pren-dre à l'appât de cemonde
est facile, s'en délivrer est une grosse affaire. > Et il disait à sescompa-(1) «Attâr, 75. Ibn Hanbal (164/780 - 241/855), avait en tout cas en commun avec les mystiques la conception du Coran incréé, et fut persécutépourcela parrinquisitu>n mou'tazlllte.
gnons : <
Que
penseriez-vous d'unhomme
qui,ayant des dattes dans sa manche, s'assoirait près des latrines et les
y
jetterait l'une après l'autre ?—
Qu'il serait
un
fou.—
Plus fou encore qui les jettedans son ventre jusqu'à ce qu'il soit plein, car ces latrines-là sont remplies par celles-ci > (1).
L'ordre naturel des choses sensibles ne peut en
effet limiter l'esprit humain, qui,
même
s'y soumet-tant, le nie enun
sens, pour l'achever.L'Homme
des mystiques est
un microcosme
au centre des mondes, au confluent de l'évolution et de l'involu-tion, des courants de chute et de retour, aunœud
des forces centripètes et, centrifuges qui composent
l'univers. Et c'est le saint qui est particulièrement chargé de témoigner de ce retour.
Pour
lui les biens de cemonde
ne sont pas des biens en soi, ni larécompense de vertus absolues,
mais
des dangers et des impedimenta ; etil contemple dans lemonde
le reflet inversé de l'autre. «Quand
Dieu aimeun homme,
disait Foudhayl, il accroît ses afflictions ;quand
il le hait, il accroît sa prospérité. •» Paradoxequi, en réalité, établit
une
harmonie. «Quand
je désobéis à Dieu,^disait encore le fils d'Iyâdh, jem'en rends compte sur-le-champ au caractère de
mon
âne » (2)..Toute son austérité n'empêchait pas Foudhayl
d'être
humain
et aimable. Il pensait qu'être « poli et agréable à sescompagnons
valaitmieux
que de(1) Qouchayrl, 10 ; Ibn KhaUikân, H, 479 ; «Attâr, 76-77.
n
rougissait, dit al 'Artâr, d'aller si souvent aux latrines bien qu'il n'y allât que tous les trois jours.(2) Ibn KhaUikân, II, 479 ; Qouchayrî, 10. « Quand quel-qu'un maudit une bête de somme, celle-ci dit aussitôt : Que
la malédiction retombe sur celui de nous deux quiestle plus infidèle à Dieu », dit Foudhayl. 'Attâr, 77.
74 VIES DES SAINTS MUSULMANIS
passer les nuits à prier et dejeûner tous les jours. » Ce que l'ancien brigand abhorrait surtout, c'était le pharisaïsme : « Les actes de dévotion accomplis pour plaire aux
hommes
sontdu
polythéisme ichirk) (1) ».Il regardait avec lucidité et fermeté les grands de ce
monde
et n'en trouvait d'ailleurs, semble-t-il, pas beaucoup dont on pût dire qu'ils étaient, dans leur puissance et leur justice, l'ombre de Dieu sur la terre. C'était alors l'apogéedu
califat deBag-dad
; mais l'afflux des richesses avaitcorrompu
l'élan de l'empire musulman.
Au
califatoméyade
de.Damas, fondé par Mo'awiya, aux dépens des 'Alides descendants
du
Prophète, avait succédé, au milieudu
viir siècle, le califat 'abbasside de Bagdad. Ces 'Abbassides, issus d'un oncle tardivement converti deMohammed,
avaient profité de la décadence des Oméyades, parfois plus arabes que musulmans,du
mécontentement causé par les persécutions contre les 'Alides (qu'eux-mêmes devaient combattre encore plus durement) et prislepouvoir avec Aboû'l 'Abbas justementsurnommé
le Sanguinaire, qui vainquit les Syriens avec l'aide des Persans et des Khorâssâ-niens. AlMançoûr
s'était installé à Bagdad, la Cité dePaix, devenue laplus magnifique villedu
monde,et avait collaboré, beaucoup plus étroitement que les
(1) Ibn Ehalllkân, U, 479.
—
Sur la question de l'amour et de la crainte, Foudhayl préconisait non point un moyen terme, mais une synthèse, unissant les deux éléments en un composé psychologique supérieurement efificace. Celui qui con-naît Dieu par la voie de Pamour seul, disait-il, meurt dans la familiarité naïve ; celui qui le connaît par la voie de la crainte seule est séparé de lui par l'appréhension ; celui qui le connaît p^r la voie de l'amour et dé la crainte. Dieu l'aime, le traite généreusement, s'approche de lui et lui fait comprendre. Yâfl»î, 205.califes de Damas, avecles populations conquises. Al
Mahdi
avait ré^né dix ans avec l'autorité d'un émir des croyants, chef religieux et temporel de lacom-munauté
musulmane, et lapompe
d'unmonarque
oriental héritier des Sassanides.
A
samort (168/784), sesdeuxjeunes fils Al Hâdî_etHâroûn
se disputèrent le pouvoir. AlHâdî
régna deux ans.Mais samère, la belle ancienae esclave Khaïzorân, écartéedu
pou-voir, préférait son cadet, Hâroûn, qui avait été jeté en prison.
Une
nuit d'automne 170/786, le jeune calife fut étouffé dans son lit et Hâroûn, qui s'atten-daitàmourir de strangulation ou d'un mauvais café, vit entrer dans son cachotun
officier qui lesaluadu
titre d'amzr al
moûmimn.
Al Rachîd devait régner vingt-trois ans avec la gloire, légendaire que .l'onsait, en s'appuyant sur la-famille persane des, Bar-makides,, l'habile Yahya, l'énergique Fadhel, l'élé-gant Ja'far,,vizirs tout-puissants jusqu'à leur écla-tante disgi'âce en 187/803. Entre temps, les/Alides avaient été copieusement massacrés en Arabie (1).
Malgré, l'incontestable grandeur, de la civilisation
musulmane
à,cette époque, beaucoup parmi les dé-vots et les .mystiques-même
loyaux sujets, ne jugeaient pas tous7 ces événements édifiants (on devaiten
voir bien, d'autres par la SiUite); Ils consta-taient aussi que l'administration n'était pas toujoursun
modèle d'équité, que le luxe effréné de la courétait
même
loin derespecter lesprohibitions corani-ques les plus élémentaires.(l)Cf. Charles Diehl et Georges Marçais, Htstbtre au Moyen Age,t. III, Le monde oriental de 395 à 1081 ; 1936, chap. VIII.
—
Un survivant dujnassacre, des fAlides de. 170, Idrîs, se réfugia au Afaroc et y fonda.une.dynastie. .-K - '-'
76 VIES DES SAINTS
UUSULHANS
Les récits des rencontres de
Hâroûn
al Rachîd etde Foudhayl, assez
peu
vraisemblables, car nous ne savonsmême
pas avec certitude si le fils d"Iyâdh séjourna à Bagdad, reflètent en tout cas cet état d'esprit. Soufyân ibn'Ouyayna (1) raconte qu'il se pr.ésentaun
jour, aveclui et quelques autres, devantHâroûn
al Rachîd.— O
toiau
begu visage.I dit Foudhayl à l'émir des croyants. Est-ce toil'homme
dont lamain
gou-vernelepeuple ?"En vérité,tu as prissurtes 'épaulesun
lourd fardeau.Hâroûn
ayant fait distribuer des bourses à chacun des çoufis présents, Foudhayl refusa la sienne.—
Si tu n'en veux pas pour toi, tu donnerasl'ar-gent aux pauvres, dit le calife ; mais Foudhayl
demanda
la permission de refuser.—
Pourquoi as-turefusé dans ces conditions ? luireprocha Soufyân
quand
ils furent sortisdu
palais de la Porte d'Or.— Comment
1 s'écria Foudhayl en saisissant sonami
à la barbe. Toi le grand juriste de cette ville, toi que tous regardentcomme
une autorité,com-ment
peux-tufaireune pareilleerreur de jugement ? Cet argenta-t-ilété légitimement acquis par cesgens(le calife et ses ministres) pour que je puisse