— Eh
bien ! Garde le silence et contente-toi de ce que tu as en ce inonde en attendant d'aller visi-ter le Vivant qui ne meurt pas.Dzoû'l
Noûn
lui ayantdemandé
de l'eau pour se désaltérer, « Je vais t'en indiquer >, dit-elle.Mais au lieu de le conduire au puits, elle lui dit (trop savante vraiment et l'on sent ici l'histoire fabriquée d'après les autres et d'après
un
système) :—
Les gens se désaltèrent selon quatre catégo-ries : 1° les uns sont servis par les anges et reçoi-vent une eau « blanche, douce et savoureuse > ;2° d'autres sont servis par
Ridhwan,
gardiendu
paradis, et boivent le vin dont Dieu a dit : « Son mélange sera de
Tasmin
» ; 3° d'autres reçoiventdu
Seigneur lui-même : ce sont les intimes dont Dieu a dit : « Leur Seigneur leur servira à boireune
boisson pure ». Mais, ô Dzoû'l Noûn, ne livre pas ton secret àun
autre que ton Seigneur jusqu'à ce qu'il te fasse boire dans l'autremonde
(1).C'est encore le chant d'une jâriya qu'il entendit devant la Ka'ba. Il avait cru voir une lueur dans
le ciel pendantqu'il faisait les sept tours
du
thawâf ;puis, le dos appuyé au
mur
de la maison sainte,il avait entendu :
(1) L'érudite petite chanteuse n'indique, on le voit, trois catégories sur quatre. Sans doute, remarque Thagio-qpe graphe Yâil'î, 295, le rapporteur a-t-11 oublié celle des élus servis pal les éphèbes (ghilznân), car Dieu à dit : « Des éphèbes chargés de coupes... » (Coran, LVI, 17-18)i et qui serait la troisième. Les textes coraniques sont : XXXVU,
44-45 ; LXX^SIII, 27 ; LXVI, 21.
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122 VIES DES SAINTS
MUSULMANS
roi, fa sais, ô Bien-Aimé, qui est
mon
Bien-Aimé.
Tu
le sais.La
maigreur demon
corps et les larmes demes yeux
dévoilentmon
secret ;Ce secret que j'ai retenu jusqifà ce que
ma
poitrine fiïtsurle pointd'éclater.Il se dirigea vers la voix et trouva une jeune
fille cachée derrière le voile noir qui couvre la maison cubique.
— O mon
Dieu,mon
Seigneur etmon
Maître ! disait-elle en-pleurant.Par
tonamour
pour moi, ne peux-tu jne pardonner ?Malgré ses progrès dans l'initiation mystique, Dzoû'l
Noûn
manifesta quelque étonnement pourcette expression inusitée :
— O
jâriya I ne te sufflt-il p^s de dire : parmon amour
pour toi I"Gomment
sais-tu qu'il t'aime ?—
Va-t-en, ô Dzoûl' Noûn. Ignores-tudonc
que pour Dieu ily
a des gens « qu'il aime et quil'ai-ment
> ? (1).n
les a aimés avant qu'eux nel'ai-ment.
Son amour
a précédé le leur (2).Au
cours d'un autre thawâf, aî Miçrî entenditun homme
dire, tout en tournant autour de la Ka'ba :—
Fais-moi boire à la coupe de tonamour
et enlève l'écorce de l'ignorance jusqu'à ce que lesailes
du
désir ichawq)me
portent jusqu'à toi.S'étant arrêté, il pleura de si grosses larmes qu'ai Miçrî entendit le bruit qu'elles faisaient en tom-bant sur la terre ; puis il éclata de rire et partit.
(1) Coran, V, 59.
(2) Yâfl'î, 296. L'anecdote se poursuit comme une des pré-cédentes : « Coi3ament sais-tu mon
nom
?—
Farceur ! Les cœurs ont parcouru les espaces secrets et se sont connus par la connaissance du Puissant. Regarde derrière toi ». Pendantqu'il se tourne sans rien voir, la jeune fille disparaît.
Dzoû'l
Noûn
le suivit en se disant : « C'estun
initiéou
un
fou >.L'homme
sortit de lamosquée
et sedirigea vers des ruines dans les faubom-gs. C'était Sa'doûn le
majnoûn
(1).Une
autre fois, il vit devant la Ka'baun homme
pâle et maigre. « Es-tu
amoureux
? luidemanda-t-il.
—
Oui.— L'Ami
s'approche-t-il de toi ?—
Oui.
—
Est-ilbon
avec toi ?—
Certes.—
Alors pourquoi es-tu si abattu ?—
Pauvre esprit !Ne
sais-tu pas que ceux dont l'Amour s'approche sont les plus durement éprouvés
?»
(2).Une
autrefois, en Egypte sans doute, Dzoû'lNoûn
vit
un
cercueil que quatrehommes
portaient en terre et que personne autre n'accompagnait. Il le suivit pour accomplir unebonne
action.Au
cime-tière, ildemanda
aux porteurs s'il n'y avait pas làun
parentdu
mort pour dire les dernières prières.«
G
cheikh ! dirent-ils.Nous sommes
tous dans lemême
cas ; aucun de nous ne le connaît. > Après avoir prié devant la tombe, une niche dans le ro-cher, il les interrogea plus longuement. «Nous
ne savons rien, dirent-ils, sinon qu'unefemme
nous ademandé
de conduire ici ce corps. Mais la voici justement qui vient. >(1) Ibid., 44-45. Un siècle plus tôt, il y avait un « fou » de ce
nom
à Baçra, contemporain d'un des premiers çoufls, Mâlik ibn Dinar. Nous avons dit qu'un Sa'doûn, du Caire, aurait été le maître spirituel d'al Miç-rî.(2) 'Attâr, 109. Les soufFrances' sont l'épreuve sanctifiante où les élus savent reconnaître l'essentiel Amour, et la preuve de la déclaration d'amour que le cœur du saint fait à son Dieu, disent les mystiques musulmans (Hallâj, Ibn 'Athâ) Jounayd, Eîlânâ. Nâbolosi ; L. Massignon, Hallâj, pp. 616 seq.). L'Amour est plus terrible et sait mieux faire souffrir que la Justice même, disait Marie des Vallées, c II rit tou-joursmais il frappe durement. Je tremblequand je levois ».
£. Dermenghem, La Vie admirable et les révélations de Uarie des Vallées, 1926, p. 73.
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124 VIES DES SAINTS
MUSULMANS
Une femme
en effet s'approchait en pleurant. De-vantla tombe, elle découvrit son visage, dénoua ses cheveux et tendit les bras vers le ciel en poussant des gémissements et des supplications jusqu'à ce qu'au bout d'une heure elle tombât évanouie àterre.Revenue
à elle,on
la vit rire.—
Raconte-moi, je t'en prie, ton histoire et cellede ce cadavre, lui dit alors Dzoû'l
Noûn
; et pour-quoi ce rire après tant de larmes ?—
Qui es-tu ?—
Dzoû'l Noûn.—
Par Allah I si tu n'étais pasun
des Justes, je ne dirais rien. Celui-ci estmon
fils et la prunelle demes
yeux,n
futun
prodigue dans sa jeunesse, s'habillant des habits de la vanité, et il n'y a pas eu demal
qu'il n'ait fait, de péché qu'il n'aitavi-dement
recherché. Il a déployé devant la face de son Seigneur l'étendard de l'iniquité et de la trans-gression. Soudain, il lui vint une maladie qui dura trois jours.Quand
il se vit perdu, ilme
dit : <O
mère,je te.prie, au
nom
deDieu,si je meurs, qu'au-cun demes
amis, demes
frères, demes
parents, ni demes
voisins ne sachema
mort, car ils n'auraient pas pitié demoi
à cause demes
mauvaises actions, dema
stupidité, de la multitude demes
péchés. » Et il gémit :Les péchés m'ont détourné
du
jeûne et dela prière.