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Ishaq Imâm Salâma dit un jour à Bichr :

Dans le document LINIVERSITY OF CHICAGO (Page 105-112)

Je vais

me

mettre à suivre la voie d'Ibrâhîm ibn

Adham

{qu'Allah soit content de lui !).

— Tu

ne pourras pas, dit Bichr.

Et pourquoi ?

^

Parce qu'Ibrahim a agi et n'a rien dit, tandis

p que toi tu dis et n'agis pas (2).

L'action dont il s'agit n'est pas l'activité exté-rieure, l'emprise sur le

monde,

mais la prise de contact avec la Réalité transformante en vue de dépasser les formes.

Le

saint doit agir dans le

monde

mais il le

do-mine

; il ne peut l'ignorer ni s'y satisfaire, s'en séparer ni s'y absorber ;

en

le niant, il le modèle

i (1) 'Attâr, p. 100. Makkî, Qoût, 1, 92. L'aumône faite dans

Ile secret, disait-il, est plus chère à Dieu que la guerre sainte

;et le pèlerinage que tout le monde voit. Cha'rawi, I, 57 ;

; Içbahânî, Vni, 339.

Il ne faut d'ailleurs pas interpréter trop lourdement les anecdotes qui visent, comme toute œuvre

d'art, à projeter une lumière sur un aspect de la réalité pro-fonde sans pour cela nier ce qui reste provisoirement dans l'ombre (Cf. ci-dessous, p. 136, n. 1).

(2) Içbahânî, VDI, 349, 336.

et le transforme ; il est le sel qui le conserve et le levain qai le fait lever ; pour répondre à sa

voca-tion, il ne lui suffit pas d'accomplir les œuvres les meilleures si elles nesontpas avanttout des

moyens

de cette réalisation métaphysique. Moïse était

un homme

d'action,

un

chef d'Etat. Dieu lui indiqua

un

jour, avec beaucoup de tact, les au delà trans-cendants de la vocation prophétique. Moïse

de-manda,

raconte Bichr, à Dieu de lui montrer

un

de ses saints. «

Va

dans tel endroit », dit le Seigneur.

Et le prophète des

Banou

Israël s'étant rendu dans

le désert trouva les ossements d'un

homme

dévoré par les lions. C'était tout ce qui restait

du

saint que Dieu avait fait sortir violemment

du monde

après lui avoir fait souffrirla faim et la soif. « Car^

dit Dieu, je ne

me

satisfais pas de ce

monde

pom*

un

saint d'entre

mes

saints > (1).

Bichr n'avait pas puisé sa science seulement au contact et à l'enseignement oral des saints ; il était entré en relation directe avec les forces spirituelles symbolisées par Al Khidhr, le mystérieux interlocu-teur de Moïse aux actes étranges, immortalisé pour avoir

bu

à la source de vie qui coule dans la Terre des Ténèbres, au Bout

du

Monde, instructeur des mystiques qu'il rencontre dans les déserts,

quand

ils voyagent, et dans la Vie quotidienne desquels

ilsurgit sousl'aspect d'unvieillard quelconque,pour leur enseigner

une

formule de prière efficace, pour leur donner

un

conseil, d'apparence parfois banale, mais signe d'une initiation supérieure.

(1) Ibid.,

Ym.

351.

«^^';-S':'?;-^''?^i"'"Sl!^s?if;?g;?p^

100 VIES DES SAINTS

MUSULMANS

En

rentrant

un

jour chez lui, Bichr trouva

un homme

très grand, en train de prier, et eut grand*-, peur, car il savait avoir la clef de sa maison dans sa poche. «

Que

fais-tu là ?

N'aie crainte, je suis ton frère Al Khidhr.

Apprends-moi une oraison profitable.

Sur toi le salut I Dis : Je

me

repens

en Dieu.

Etencore

Que

Dieu terende l'obéis-sance facile.

Et encore.

Et qu'il cache tes mérites aux yeux des gens » (1).

Bichr, en songe, vit aussi le Prophète lui-même (sur lui la prière et la paix) qui lui déclara : « Si le Seigneur très haut t'a élevé à

un

si haut degré,

c'est que tu as.maintenu

mes

préceptes et

donné

de'bons avis au peuple ; que tu t'es montré soumis envers les

hommes

dignes de respect et que tu as aimé

mes

enfants. »

n

vit également 'Ali, le lion d'Allah et tête de

file d'une des principales chaînes initiatiques, qui lui

donna

le « conseil > suivant : «

Dans

ce

bas-monde,

la compassion des riches pour les pauvres, en vue des récompenses futures, est une

bonne

chose ; mais c'en est

une

meilleure encore que les pauvres, n'ayant pas recours aux riches et ne met-tant leur confiance qu'en Dieu, ne

demandent

rien à personne. >

Nous

avons

vu

en effet que le Va-nu-pieds, n'ai-mait guère les derviches mendiants. Il

y

a, disait-il, trois sortes de foqarâ (pauvres), ceux qui refusent

a"

(1) Cha'râwî, I, 57.

Cf. dans « Etudes traditionnelles » d'août 1938;, un article sur « Ehwadja Ehadir et la Fontaine de Vie » où Ananda K. Goomaraswamy rapproche autour de ce personnage les traditions hindoues, musulmanes et euro-péennes.

l'aumône, ceux qui l'acceptent, ceux qui la

deman-dent.

C'était

un

< fou > qui lui avait

donné

le conseil suprême. Bichr rencontra

un

jour, assis près d'une source, hirsute et couvert de loques, 'Alî Jorjâni qui, le voyant venir, s'enfuit en criant : « Quel péché ai-je

donc commis

pour voir aujourd'hui la face d'un

homme

? >. Mais Bichr courut aprèslui et lui

demanda un

conseil avec insistance. « Débar-rasse ta maison de tout ce qui l'encombre >, finit

par lui dire celui dont la raison était partie dans

un

autre

monde

(1).

m

Â

76 ans, Bichr

tomba

gravement malade et fit venir

un médecin

auquel il décrivit ses souffrances.

N'est-ce pas

un manque

de résignation ?

de-manda un

disciple particulièrement scrupuleux.

^on,

dit le mourant, qui ne méprisait aucune sorte de connaissances

même

d'ordre physiologi-que ; je lui enseigne la puissance

du

Tout-Puissant.

Et il sortit de ce

monde, démuni

de toute pos-session,

comme

il

y

était entré. Sur le point d'expi-rer, il devint tout soucieux.

— Tu

aimes

donc

bien la vie ? lui

demanda un

de ses disciples qui, décidément, ne lui passaient rien.

Ce

n'est pas à cause dela vie que je suis sou-cieux,

murmura

Bichr ; mais c'est une affaire sé-rieuse que de comparaître devant le Roi.

A

ce

moment

survint

un homme

à demi-nu qui se

!!

(1) «Attâr, 100 et 101.

102 VIES DES SAINTS

MUSULMANS

plaignait de n'avoir rien au

monde.

Retirantsa pro-pre chemise, Bichrla luifit donner et c'est

nu

qu'il

trépassa (1). .

Une

foule innombrable suivit le corps

du

Va-nu-pieds jusqu'à sa tombe, sur la rive gauche

du

Tigre, et défila toute la journée sans arrêt.

Les jours suivants, plusieurs personnes le virent en songe.

A un

vénérable cheikh, il disait : «

Le

Seigneur très haut m'a fait des reproches. Pour-quoi m'a-t-il dit, avais-tu si peur de

moi

dans le

bas-monde ? Ignorais-tu donc quelle est

ma

géné-rosité

?» A une

autre personne qui l'interrogeait sur sa situation dans l'au-delà, Bichr répondait :

«

Le

Seigneurm'a apostrophéen ces termes :

Quand

tu étais dans le bas-monde, tu ne mangeais ni ne buvais ; maintenant

mange

et bois. >

A un

autre

il disait : «

Le

Seigneur m'a pardonnéet m'a donné

la moitié

du

paradis. » Et il précisait enfin à

un

autre songeur : « Allah (qu'il soit exalté) m'a dit :

«

O

Bichr, si tu posais devant

moi

ton front sur des braises ardentes, tu ne t'acquitterais pas de l'amour que j'ai placé pour toi dans le

cœur

de

mes

serviteurs »(2).

'

(1) 'Attâr, p. 101. Selon Ghazâlî, après avoir donné son

i dernier vêtement au pauvre, Bichr en emprunta un qui fut

^ rendu au propriétaire après la mort du Va-nu-pieds.

(2) 'Attâr, 101 ; Qouchayrî, 9. Içbaliânî, VIII, 336.

Un

autre songe, rapporté par AI Mounâwî (Ms arabe 6490, fol. 108),

un peu tendancieux et satirique; oppose, sur un ton quasi folklorique, l'attitude du dévot littéraliste qui attend une récompense et celle du mystique qui sert par pur amour :

Dans le paradis Ibn Hanbal mange ; quant à Bichr, Dieu connaissant son peu de goût pourla noiurriture, lui a permis de Le regarder seulement.

Ce flot d'amour était capable de traverser les siècles puisque nous émeut encore le souvenir de cet

homme

délicat(1).

(1) Sur Bichr, voir notamment : Qouchayrl, Risala, p. 8-9 ; Cha^rîtwir-Ttancqat, ï, 57-58 ; Çafoûrî, Nazhat, U, 16 ; Yâfil, Rawdh, 132, 162-3 ," Makkl, Qoût al Qouloûb, I, 92 ; Abder^

ra'ouf al Moimâwî ,Ms arabe 6490 de la Bibl. Nat. fol. 108 ;

IbnEhallikân, trad .angl. de Slane, I, 257-9 ; Hujwirl, Kachf, trad. angl. Nicholson, 105 ; Sarrâj, Luma^,^it. -Nicholson, 184, 187, 195, 204, 373 ; »Attâr, Le Mémorial des Saints, trad.

par Pavet de Courteille, 97^01 ; Aboû No'lm al Içbahâol, Hiliyatalawliya,édition du Caire, 1357 (1938),

Vm,

p. 336-360.

^^^«îr.^^-^-^

Dans le document LINIVERSITY OF CHICAGO (Page 105-112)