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DZOU'L NOÛN L'EGYPTIEN

Dans le document LINIVERSITY OF CHICAGO (Page 112-118)

Contemporain des Bichr al Hâfî, des Mouhâsibî

et des Sârî al Saqathî

pour

T'Iraq, des Ibn Kar-râm, dés

Yahya

al Râzî, des Bayazîd al Bisthâmî pour la Perse et le Khorâssân, Dzoû'l

Noûn

al Miçrî (l'Egyptien) nous apparaît sous

un

jour

singulière-ment

plus mystérieux.

Une

légende luxuriante, sans déformer nécessairement sa figure.

Ta

dressée dans une lumière

un peu

étrange, bloquant autour de l'ancêtre

du

çoufisme égyptien tout

un

cycle de

récits, de tableaux, de merveilles. Dzoû'l

Noûn y

apparaît

comme une

sorte de héros prototype,

comme

l'incarnation d'une doctrine. Avant lui, on ne frouve guère traces de çoufisme proprement dit en Egypte, et cette doctrine, il fut le premier à ' l'enseigner ouvertement, à la systématiser

théorique-ment

et pratiquement.

Originaire

d'Akhmim,

aux confins de la Haute Egypte, il naquit de parents nubiens vers 180/795.

Son père, qui était peut-être

marchand

d'étoffes, devait appartenir à la catégorie d'autochtones

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106 . VIES DES SAINTS

MUSULMANS

convertis à la religion des conquérants et déclarés clients (mawlâ) d'une tribu arabe, formant ainsi une classe intermédiaire entre les tributaires pro-tégés,

non

musulmans, soumis à l'impôt territorial et à la capitation d'une part, et, de l'autre, les

immigrés privilégiés, groupés en garnisons et

riche-ment

pensionnés.

La

famille de Dzoû'l

Noûn

aurait été cliente de la tribu de Qoreich (celle de

La

Mec-que) (1).

Son nom

était Aboû'l

Faydh

(ou Fayyâdh)

Thawbân

ibn Ibrahim (ou ibn al

Faydh

ibn Ibrahim). D'où lui vint son

surnom

de Dzoû'l Noûn,

l'Homme

au Poisson ? Peut-être l'assuma-t-il

comme un nom

initiatiqpie ? Dzoû'l Noûn, dans le Coran(2), c'est le prophète Jonas, qui fut avalé et rejeté par

la baleine, et le poisson est le symbole des palin-génèses qui font germer la vie temporelle à l'im-mortalité.

Méconnu

durant son existence, taxé d'hérésie, il

fut maltraité pour avoir apporté une science nou-velle dont

on

n'avait pas l'habitude dans son pays (3). Sa sainteté devait éclater après sa

mort

et les çoufis ne cessèrent pasf depuis de le considé-rer

comme un

des maîtres de la Voie,

un

des pre-miers de son temps pour la science, la dévotion, l'instruction littéraire, le scrupule religieux, et

état » mystique,

un

des Pôles de son époque, chef de la hiérarchie cachée des saints,

qu'Allah

sanctifie son « secret > !

(1) Qouchayri, Ançàrl, Gha^râwl, Ibnkhallikftn, Içbahânl,

Mounâwî, fol. 117, cite un curieux mot de Dzoû.'! Noûn :

c Nous nous réfugions en Dieudu Copte quand il s'arabise. >

(2) XXI, 87 ; LXVin, 48 ; X, 98 ;XXXVn, 139 seq.

(3) Disait Ibn Yoûnoûs : Mounàwl, fol. 116 y».

Il n'ignorait pas la théologie, parlait avec élé-gance, savait par

cœur

la

mouwatta

de l'imâm Mâlik, le fondateur d'un des quatre rites ortho-doxes ; mais il était plutôt faible en hadîts

(tradi-tioiis concernant le Prophète, base des règles de la soimna), assure Ibn al Qâsim. Il s'excusa d'ailleurs de négliger cette science très prisée en disant que ceux qui s'en occupaient n'étaient pas toujours à la hauteur de leur enseignement (1).

Physiquement,

on

nous dépeint Dzoû'l

Noûn comme un homme

maigre, au teint bronzé, et qui n'eut jamais

un

poil blanc dans sa barbe.

L'origine de sa conversion à la vie mystique aurait été une vision assez étrange : s'étant couché pour dormir au pied d'un arbre, il vit tomber de son nid à terre

un

petit oiseau aux yeux encore fermés ; pour nourrir l'infortuné, deux coupes, l'une d'or pleine de graines de sésame, l'autre d'ar-gent pleine d'eau fraîche, sortirent

du

sol. Dzoû'l

Noûn

considéra ce rêve ou ce prodige

comme un

avertissement céleste, envoyé par Celui qui

nour-rit toutes les créatures et qui est lui-même,

comme

devaitle dire

un

siècleplus tard alMakkî, « la nour-r riture de l'univers » ; il rentra chez lui, renonça

(1) Il a rapporté des hadîts d'après Mâlik, Layts ibn Sa'd, Ibn Lahi'a, Ibn 'Oyayna, le mystique Khorâssânien Foudhayl ibn 'lyyâdh. Il fut le pa-emier éditeur du fa/sîr assez étran-gement attribué à Ja'far Çâdlq, le sixième imâm des chi'ltes, corpus de traditions à tendances mystiques, ^u'il' aurait reçus de Mâlik, le fondateur très sounnite du rite malikite, par l'intermédiaire d'un certain al Ehoza'l. Voir L. Mas-sigQon, Lexique, p. 179-184.

— H

transmit des hadits àAhmad j

ibn Çabih et à Hasan ibn Mouç'ab (Ançâil). Son enseigne- i

ment du çouflsme était réservé à-un groupe de disciples, i

(Hamadzâni, Chaqwa, édit. et trad. Abdeljalil, Journal Asia-tique. 1930, p. 233).

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108 VIES DES SAINTS

MUSULMANS

au

monde

et se tint à la porte de la divine sagesse et de l'éternel

amour

jusqu'à ce qu'il ait été ac-cepté (1).

Son

maître spirituel aurait été au début Chou-krân al 'âbid (le dévot)

ou

bien

un

certain Sa'doûn,

du

Caire,

ou

encore

un non

moins inconnu Isrâ-fil (2). Il partit surtout à la recherche de la Con-naissance et de l'Amour à travers les déserts et les

montagnes, s'efforçant de rencontrer et d'interro-ger desermites, des ascètes, des initiés, des «fous>

épris d'amourjusqu'àmourir.

On

rie peut sans doute considérer

comme

strictement authentiques tous les détails de ces « rencontres > émouvantes et styli-sées, mais on peut en déduire la quête fervente

du

voyageur

comme

l'existence de

nombreux

ascétè-res dansles solitudes de l'Egypte, de la Palestine et

de la Syrie au début de ce ni* siècle de l'Hégire

(ix* de l'ère chrétienne). Ces ascétères

musulmans

(1) Ibn Ehallikan, I, 291 ; Qouchayrl, 9 ; Yâll'l, 173.

D. N. aurait raconté cette histoire pendant un de ses cours ;

sur une interrogation de SAIim le Maghrébin, à ce que rap-porte Yoûsouf ibn HousajTi. 'Attâr, Mémorial, 102-104, qui cède souvent à son goût pour l'ornementation, déreloppe en une série d'anecdotes graduées le récit de la conversion de D. N. Ce dernier va voir un ascète qui s'est suspendu à un arbre pour mater son âme chamelle et l'envoie à un autre ermite qui s'est coupé un pied pour se punir de l'avoir avancé hors de sa grotte au passage d'une femme, et lui en Indique un autre lequel, ne voulant rien demander aux hom-mes, se nourrit du miel que des abeilles sont venues faire près de lui. D. N. n'a pas le temps de rejoindre ce modèle de tawakkoul au sommet d'une montagne ; en revenant il voit l'oiselet aveugle miraculeusement nourri. Puis il dé-couvre avec des amis, dans des ruines, une jarre pleine d'or

,avec une tablette sur laquelle est écrit le

nom

de Dieu ; ises compagnons se partagent l'or, lui prend la tablette ;

*un songe l'avertit qu'en récompense lui est ouverte la porte

: de la connaissance, de la sincérité et de la direction

spirl-"

tuell'e.

(2) Ibn Khallikân, I. 291 ; Aboû Bakr al Sarrâj, Haçdrt, 130 ; Aboû Naçr al Sarrâj, Lnma^, 228. Isrâfll est aussi le

nom d'un archange.

prenaient la suite de ceux des Pères

du

désert chrétiens sur

une

terre séculairement vouée aux chercheurs de Dieu.

En

Basse Egj^te, à l'âge d'or, c'était la vie érémitique qui avait prédominé ; en Haute Egypte, la vie cénobitique.

En

Palestine et en Syrie, sur les bords de la

mer

Morte et sur les rives de rOronte, les laures avaient été des villages de

solitaires qui se réunissaient le

dimanche

et qui dépassaient leurs maîtres égyptiens en austérités extraordinaires.

Dans

son pays natal, cinq siècles après la grande époque des moines de la Thébaîde, Dzoû'l

Noûn

n'eut sans doute pas de peine à trou-ver leurs traces. Sept centres monastiques sont en-core reconnus de nos jours par l'église copte. A' vingt kilomètres en aval d'Assiout,

on

voit, sur les pentes

du

plateau libyque, le couvent de Deir al

Moharraq où

vécurent Rufin, Apollon, Jean et Schnoudi.

Dans

la Basse Egypte,

on

trouve, vers la

mer

Rouge,

Amba

Antonios et

Amba

Boulos, vers la Tripolitaine, les couvents de Ouadi Natroun et

de Sété, près des lacs de sel et de natron aux eaux roses et violettes, à vingt-huit mètres au-dessous

du

niveau de la

mer

; vitle souvenir des Macaire et des Arsène (1).

En

Asie, des moines vivent encore dansles rochers autour de Jéricho, au Carmel, dans

le Liban

passa Dzoû'l Noûn. Les ermites

musul-mans

que ce dernier rencontra ne se mêlaient sans doute pas

aux

chrétiens, mais il

y

a lieu de penser

qu'il

y

avait entre eux

une

sorte d'émulation dans

la contemplation et dans l'ascèse.

(1) Voir Jean Brémond, Pèlerinage au Onadi Natroun, daiu Le charme d'Athènes, 1925, chap. Vn, pp. 160 seq.

110 VIES DES SAINTS

MUSULMANS

Il vit surtout des solitaires qui étaient venus chercher-farouchement au désert

un

absolu qui se dérobait dans la vie ordinaire, voire des « insen-sés » qui ne pouvaient plus supporter les

hommes

et vivaient tant bien que

mal

avec leur propre cœur. Anxieusement il s'adressait à eux pour sur-prendre leur secret, leur

demander un

« conseil »

(1), obtenir leur prière, guetter sur leurs lèvres

un mot

révélateur, permettant de forcer la porte

du

mystère, éveillant par son énoncé des résonances efficaces capables de donner à son propre

cœur

le ton voulu dans l'indicible harmonie.

Certains de ces anachorètes visaient l'ascèse pure, au sens étymologique d'athlétisme spirituel ; absor-bés par la crainte de l'enfer, ils ne songeaient qu'à traverser la vie terrestre en fuyant le

monde

et le

péché pour gagnerle plus vite possible

un

abri sûr.

C'est ainsi que Dzoû'l

Noûn

rencontradans le Liban une vieille

femme

dévote (mouta^abbida), ridée

comme une

outre vide, effrayante

comme

un'reve-nant destombes. « Quelle estta patrie ? lui

deman-da-t-il.

Je n'ai pas de patrie, si ce n'est l'enfer, à moins que le Miséricordieux ne

me

pardonne.

-Que

Dieu te fasse miséricorde ! As-tu

un

conseil à

me

donner ?

Fais

du

Livre de Dieu

une

table et entretiens-toi avec sa promesse et sa

menace iwa^d

et waHd). Relève tes vêtements au-dessus des mollets (pour travailler énergiquement). Laisse de côté tout ce dont s'occupent les gens frivoles .qui

i\ (1) WaciycLi à la fois conseil, ordre, testament,

recomman-'^

dation suprême.

n'ont pas de certitude, qui ignorent les conséquen-ces (1).

D'autres lui parlèrent de l'espérance qui devient indéfectible

quand

le

cœur

est libéré. « Marchant sur le

mont Moqattam

(près

du

Caire), raconte-t-a, je

me

trouvai devant une grotte à l'entrée de la-quelle

un homme

disait à haute voix : « Sois loué,

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