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4 Pré-analyses : repérage d’occurrences, catégorisation et transcription

4.3 Repérage des occurrences d’alternance codique dans le corpus

Le repérage des occurrences d’alternance codique a été accompli en écoutant ou en visionnant chaque enregistrement sélectionné dans la constitution du corpus d’analyse (cf. la section 3.3). Toute occurrence correspondant à la définition fonctionnelle établie à la section 4.1 a été notée avec ses informations de référence (le sous-corpus et l’enregistrement dans lesquels l’occurrence se trouve, le locuteur qui l’a produite, et le temps écoulé dans l’enregistrement au moment de sa production). Le tableau 4.1 présente un survol quantitatif des occurrences d’alternance codique ainsi repérées dans le corpus d’analyse.

Ainsi, parmi 2 993 occurrences d’alternance codique en tout, ce sont les 1 227 occurrences isolables en anglais (dont 954 proviennent du corpus FAC) qui constituent l’objet principal de la présente étude. Avant d’aller plus en détail sur les occurrences ciblées, cette vue d’ensemble permet de soulever quelques points, déjà évoqués au chapitre 3, sur lesquels il importe d’insister ici.

L’observation la plus frappante qui ressort du tableau 4.1 est la quantité d’occurrences produites par les locuteurs du corpus FAC, soit 2 746, par rapport à un total de 247 dans les deux sous-corpus de l’Alberta. Les types d’occurrences produites sont aussi remarquables : le corpus FAC est le seul sous-corpus où on observe de l’alternance codique vers le français ainsi qu’une quantité significative d’occurrences non isolables (1 376 en tout, dont 590 en anglais et 786 en français). Tandis que les locuteurs du corpus Beaulieu et du corpus PFC parlent principalement en français, avec des insertions en anglais plus ou moins fréquentes, les locuteurs du corpus FAC ont tendance, dans l’ensemble, à parler tantôt en français avec parfois de l’alternance codique vers l’anglais, tantôt en anglais avec parfois de l’alternance codique vers le français.58

TABLEAU 4.1 :OCCURRENCES D'ALTERNANCE CODIQUE DANS LE CORPUS D'ANALYSE PAR TYPE D'OCCURRENCE

# occurrences d’AC # occurrences d’AC en anglais # occurrences d’AC en anglais, isolables # occurrences d’AC en français # occurrences d’AC en français, isolables Corpus Beaulieu (16 enregistrements, 9,5 heures) 162 (17,1 occ./heure) 162 150 0 0 Corpus PFC (4 enregistrements, 1 heure) 85 (85 occ./heure) 85 83 0 0 Corpus FAC (9 enregistrements, 15 heures) 2 746 (99,5 occ./heure) 1 591 954 1 157 461 Total (29 enregistrements, 25,5 heures) 2 993 1 838 1 227 1 157 461

Plusieurs facteurs pourraient contribuer à ces différences. Il a déjà été évoqué à la section 3.2 que le bagage sociohistorique de l’Alberta francophone a renforcé une séparation entre les espaces sociaux francophones et anglophones, ce qui a fait en sorte que les locuteurs franco-albertains préfèrent employer le français et l’anglais de façon complémentaire. Autrement dit, ils valorisent l’emploi des connaissances en anglais dans le contexte approprié, et ils valorisent aussi, dans des contextes où le français est la langue appropriée, l’emploi d’un « bon français » avec le moins de recours à l’anglais possible. Le tableau 4.1 semble confirmer quantitativement cette attitude : les locuteurs étudiés de l’Alberta ont préféré mener leurs interactions enregistrées principalement en français, tout en incorporant certaines ressources de l’anglais lorsqu’ils ont jugé pertinent de le faire. Les Franco-Américains, pour leur part, ont historiquement fait face à une pression d’assimilation plus forte et plus violente, contre laquelle la volonté de séparation des sphères sociales a plutôt

58Quoique déjà soulevées dans la littérature, les difficultés possibles dans l’identification d’une langue de base d’un énoncé ou d’une partie d’énoncé, de laquelle l’alternance codique représente un départ, ne sont pas discutées ici (mais on pourra voir Auer, 2000 ; Gafaranga et Torras, 2002), car dans le corpus d’analyse actuel, de telles difficultés ne sont pas survenues. Cela n’implique pas toutefois que ce serait le cas pour un autre corpus semblable ou même un autre échantillon des mêmes corpus utilisés dans la présente étude.

nui qu’aidé. Ils ne valorisent donc pas particulièrement l’emploi du français sans recours à l’anglais; en fait, les locuteurs étudiés expriment, de même que les participants de Fox (2007), une préférence pour le mélange de codes plutôt libre.59 Cette préférence semble effectivement être présente chez les locuteurs étudiés, comme le

reflète le tableau 4.1.

Un autre facteur à considérer est la nature des enquêtes qui ont donné lieu au corpus analysé (cf. la section 3.1.1.2 et la section 3.2.1). Le corpus FAC résulte d’une série d’entretiens plutôt que d’une enquête structurée, et ces entretiens ne portent pas directement sur le français mais sur l’histoire de la communauté, sous la forme du vécu de l’interviewé. L’animateur est un membre de la communauté qui semble connaître et être connu de ses interlocuteurs. Les locuteurs parlent ensemble de leurs expériences et des sujets qui leur sont significatifs ou qui suscitent leur intérêt en prenant souvent des détours. La nature de la conversation est donc la plus libre des trois sous-corpus, et la situation de communication la plus proche de l’immédiat communicatif idéal. Cela contribue sans doute au fait que le corpus FAC comporte le plus d’occurrences dans l’absolu et le taux d’occurrences par heure le plus élevé des trois sous-corpus.

Le corpus PFC a également un taux relativement élevé d’occurrences d’alternance codique par heure, malgré le fait que sa fréquence absolue d’occurrences soit la plus basse des trois en raison de la petite taille de ce sous-corpus. Comme dans le corpus FAC, chaque animatrice dans le corpus PFC est membre de la communauté, et elle connaît et est connue de ses interlocuteurs. Quoique l’enquête porte directement sur le français, les sujets de discussion portent plutôt sur la vie quotidienne. Ainsi, la situation de communication s’approche aussi de l’immédiat communicatif, mais dans une moindre mesure que dans le corpus FAC. La conversation est également légèrement moins libre, avec une liste de sujets de discussion préparée à l’avance, mais peut prendre des détours à l’intérieur des sujets prévus.

Finalement, le corpus Beaulieu a le taux d’occurrences par heure le plus bas des trois sous-corpus. Cela peut s’expliquer en bonne partie par le fait que le contexte de l’enquête s’éloigne le plus de l’immédiat communicatif idéal (sans toutefois sortir de l’immédiat communicatif en général). La relation entre l’enquêtrice et ses interlocuteurs, quoique cordiale, est la plus hiérarchique des trois sous-corpus. En tant qu’universitaire et enseignante de français, l’enquêtrice pourrait représenter le « bon français » pour les locuteurs. En voulant faire bonne impression, il se peut que les locuteurs aient surveillé leur langage et évité d’employer l’anglais plus qu’à leur habitude. De plus, les questions posées aux locuteurs portent directement sur le sujet de la langue et ce qui constitue ou non, selon eux, un français approprié dans un contexte de soins médicaux. La conversation est

59« On parle anglais on parle français ça fait pas de différence » (FAC 01). « Moi je ne parle ni français ni anglais. Je parle franglais » (FAC 01). « Half French half English […] is typical of the St. John Valley. We speak whichever way we want » (FAC 08).

donc la moins libre des trois, avec une thématique restreinte et des questions précises. Qui plus est, le fait que la discussion relève en particulier de la langue et de la façon de s’exprimer aurait pu mener les locuteurs à être encore plus conscients de leurs usages et à se surveiller encore plus.