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4 Pré-analyses : repérage d’occurrences, catégorisation et transcription

4.1 Définition pratique de la notion d’occurrence

4.1.2 Juxtaposition des codes

Lorsqu’on ne considère que des énoncés isolés, la juxtaposition d’un code à un autre s’identifie par rapport aux autres codes employés dans chaque énoncé analysé. Cependant, lorsqu’on considère une interaction au complet, la juxtaposition peut avoir lieu non seulement à l’intérieur d’un même énoncé, mais aussi par rapport à d’autres énoncés dans la même conversation, y compris ceux produits par différents locuteurs, c’est-à-dire entre différents tours de parole. On peut donc envisager la juxtaposition sur différents plans : en fonction des productions d’un même locuteur, que ce soit à l’intérieur d’un même tour de parole ou par rapport au code utilisé dans son tour précédent, ou en fonction du déroulement de la conversation, c’est-à-dire par rapport au choix de langue immédiatement précédant le segment de discours en question, peu importe le locuteur qui l’a produit.

L’échange suivant permet de mieux illustrer l’effet de cette distinction sur le repérage des occurrences : (1) AN : C’est: um (.) moi j’ai entendu parler in the fifties and the forties g-- uh {this was going on that the}

(2) INT: {Oh dans ce temps-là j’étais pas là moi.} Ben pas icitte moi. (3) AN : W-- we’re talking uh early là! Nineteen thirties huh? (4) INT: I’m talking the nineteen thirties.

(FAC 01, 22:50)

Si l’on ne considère que les productions d’un même locuteur, le début de l’énoncé en (3) ne constituerait pas une occurrence d’alternance codique, mais le début de l’énoncé en (4) en serait une. Si l’on ne considère que le déroulement de la conversation, l’énoncé en (3) débuterait par une occurrence d’alternance codique mais pas

l’énoncé en (4). Le changement de langue à l’intérieur de (1) pourrait être pris en compte ou non (voir ci- dessous). L’impact de ce choix méthodologique sur l’analyse est manifestement significatif : chaque façon de procéder fait en sorte que certaines données seront retenues comme des occurrences tandis que d’autres seront exclues. C’est pour cette raison qu’il importe d’expliciter qu’il s’agit bien d’un choix, une catégorisation préalable des données effectuée selon l’approche et les objectifs de l’analyse.

La présente étude s’intéresse à ce qui pourrait motiver la sélection d’une unité produite par un locuteur donné, lorsque cette sélection relève de l’altérité codique. Tandis que les études sur la négociation du choix de langue (par exemple Auer, 1995 ; Heller, 1995) démontrent effectivement que chaque locuteur peut avoir des raisons qui lui appartiennent pour maintenir ou ne pas maintenir le choix de langue qu’il a fait dans son tour de parole précédent, chaque nouveau choix de langue s’effectue toujours dans le contexte de la conversation in situ, par rapport aux informations disponibles au moment de faire le choix (informations dont son choix de langue précédent ne fait qu’une partie). Par exemple, on pourrait dire que maintenir ou non son choix de langue précédent revient aussi à rejeter ou à accepter le choix de langue que son interlocuteur a fait entretemps. Comme le souligne Auer, « the preceding verbal activities provide the contextual frame for a current utterance », et ainsi, « the meaning of code-alternation depends in essential ways on its ‘sequential environment’ ”44 » (1995,

p. 116).

Cependant, la notion du déroulement séquentiel en analyse conversationnelle (par exemple, Auer, 1995; Li, 1998) met l’accent surtout sur les changements de langue qui ont lieu d’un tour de parole à un autre, en réponse au choix de langue précédent ou à un changement dans la situation de communication. Elle relève de l’intérêt, dans cette approche, pour la signification que l’enchaînement des choix de langue porte pour l’interaction dans son ensemble. En revanche, la présente étude s’intéresse non seulement à la juxtaposition des codes en lien avec la séquence des tours de parole, mais à toute juxtaposition qui a lieu par rapport au discours qui lui précède, y compris à l’intérieur d’un même tour de parole. Je préfère ainsi parler du déroulement linéaire de la conversation. Cela va dans le sens de Kerbrat-Orecchioni (2009), qui souligne qu’une approche purement séquentielle de l’interprétation d’une interaction néglige le fait que la perception des locuteurs est fondamentalement ancrée dans la linéarité temporelle du déroulement de la conversation. Ainsi, sera comptée comme une occurrence d’alternance codique toute juxtaposition des codes qui a lieu par rapport au déroulement

44L’approche d’Auer (1995) est basée sur une conceptualisation de l’interaction en termes de séquences de tours de parole, d’où son insistance sur le rôle principal de l’environnement séquentiel dans la signification même de l’alternance codique. Il serait plus juste de dire qu’une partie importante de l’interprétation de cette signification, par les interlocuteurs dans un premier temps et par l’analyste plus tard, dépend de l’environnement séquentiel (ou linéaire, voir plus loin dans cette section) – sans oublier toutefois le rôle important du contexte extralinguistique. L’environnement linéaire peut donner des indices quant aux intentions significatives du locuteur, mais ne donne pas un accès direct à ces intentions. Autrement dit, il ne faut pas perdre de vue qu’il peut y avoir d’autres raisons pour lesquelles le locuteur produit de l’alternance codique que la relation de cette production à l’activité verbale précédente.

linéaire de la conversation, que ce soit à l’intérieur d’un même tour de parole ou entre le tour de parole d’un locuteur et le tour d’un autre locuteur qui le suit immédiatement, à l’exception de la juxtaposition qui a lieu à la suite d’une occurrence portant sur une seule unité. Dans ces derniers cas, on peut concevoir l’occurrence comme l’insertion d’une unité du code B dans un segment de discours qui est, sinon, en code A (cf. la section 4.2). La reprise du code A après l’insertion d’une seule unité n’a pas été considérée comme une nouvelle occurrence d’alternance codique mais bien la fin prévisible de l’insertion.