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3 Le corpus analysé

3.2 Corpus retenus

3.2.1 Description générale

Les trois corpus correspondants aux critères de sélection énumérés à la section 3.1 sont les sous-corpus qui, ensemble, constituent le corpus analysé dans le présent mémoire. Ces sous-corpus sont :

1. Les enregistrements faits en 2011 pour la collecte de données qualitatives dans le cadre de la thèse de doctorat de la professeure Suzie Beaulieu, co-directrice de la présente recherche (dorénavant le « corpus Beaulieu »)26;

2. Les enregistrements de la partie « conversation libre » du protocole du projet Phonologie du français contemporain, spécifiquement ceux de l’enquête à Peace River, Alberta en 2001 (dorénavant le « corpus PFC »)27;

3. Une sélection de vidéos des archives du Franco-American Center, à l’Université du Maine, Orono (dorénavant le « corpus FAC »)28.

Il est à noter que les critères de facilité d’accès et d’exploitation (cf. la section 3.1.1.1) a mené à l’exclusion de certains corpus bien connus dans la littérature sur le français en situation minoritaire en Amérique du Nord, tels le corpus Ottawa-Hull (Poplack, 1989) et les corpus de Mougeon et ses collègues recueillis auprès des francophones de l’Ontario (voir par exemple Mougeon et Beniak, 1996; Mougeon, Nadasdi, et Rehner, 2009). La question de facilité d’exploitation, en particulier, exclut malheureusement le corpus Maheux-Pelletier, recueilli en Alberta, auquel on m’a toutefois généreusement accordé l’accès29.

Une présélection a dû être opérée sur les archives vidéo du Franco-American Center en raison de la taille des archives : elles contiennent 170 vidéos en tout, enregistrées entre 1989 et 2014, la plupart d’une durée de deux à trois heures. Les critères de cette présélection portent sur :

- la date d’enregistrement : pour rester comparables avec les deux autres sous-corpus, seules les vidéos enregistrées entre 2001 et 2012 ont été retenues30. Toute vidéo pour laquelle une date

d’enregistrement n’était pas disponible a aussi été exclue.

26 cf. Beaulieu (2012).

27 cf. Walker (2012); Durand, Laks et Lyche (2002; 2009). Le projet PFC est accessible sur http://www.projet-pfc.net. Au moment de rédiger ces lignes, le site web du projet est en refonte majeure depuis la fin de l’année 2016, ce qui pourrait entraver l’accès aux données de l’enquête de Peace River. Je tiens donc à préciser que ces données étaient publiquement disponibles à des fins de recherche et d’enseignement au moment de les consulter en septembre 2015.

28 Accessible sur http://francoamericanarchives.org. 29 Geneviève Maheux-Pelletier, communication personnelle.

- le type d’enregistrement : seules les vidéos d’un format d’histoire orale (« oral history ») ont été retenues. Les conférences, concerts, performances préparées d’avance, etc. n’ont pas été retenus pour analyse.

- les langues de l’enregistrement : la plupart des vidéos dans les archives indiquent, parmi leurs métadonnées, la ou les langues utilisées dans l’enregistrement. Les vidéos indiquant n’utiliser que l’anglais ou le français ont été exclues parce qu’elles ne contenaient fort probablement pas d’occurrences d’alternance codique. Les vidéos pour lesquelles les langues n’étaient pas indiquées ont également été exclues.

Le tableau 3.1 présente les principales caractéristiques de chaque sous-corpus. Comme ce tableau l’indique, et malgré le descripteur « conversation libre » attribué au corpus PFC, les trois sous-corpus utilisent un protocole de conversation semi-dirigée. Dans le corpus Beaulieu, les conversations sont animées par l’enquêtrice, qui demande aux participants de discuter de leurs réponses à un questionnaire sur leurs attitudes linguistiques. Les éléments du questionnaire structurent et orientent donc les conversations. Quoique l’enquêtrice parle français et anglais, elle n’est pas membre de la communauté de pratique visée par l’enquête, et son statut d’enseignante du français à l’université fait d’elle une représentante, en quelque sorte, du français standard. De plus, son rôle d’enquêtrice fait en sorte qu’elle ne participe pas à l’interaction au même titre que ses interlocuteurs, et que ses interlocuteurs ne voient peut-être pas l’interaction tout à fait comme une conversation ordinaire de tous les jours. Le volet « conversation libre » du PFC est animé par un ami ou un membre de la famille des participants de l’enquête, dans le but de les mettre à l’aise et de pouvoir ainsi observer leur prononciation lorsqu’ils relâchent leur auto-surveillance. Cependant, quoiqu’elle ne soit pas strictement guidée, la conversation n’est pas tout à fait libre non plus, dans la mesure où l’animateur a une liste de sujets à aborder avec son interlocuteur qui relèvent de sa vie quotidienne et de son vécu31. De plus, quoique l’animateur soit un membre de la même

communauté de pratique que son interlocuteur, il ne participe pas à l’interaction au même titre que ce dernier, puisqu’il est conscient d’avoir la responsabilité de guider la conversation et d’inciter son interlocuteur à produire de la parole pour l’analyse phonologique. Comme avec le corpus Beaulieu, la situation de communication ne correspond pas à l’immédiat communicatif idéal ou prototypique, mais puisque les locuteurs sont membres de la même communauté de pratique et se connaissent personnellement, elle s’en rapproche généralement plus que dans le corpus Beaulieu. Toutefois, certains animateurs moins expérimentés avec ce genre d’enquête sont mal à l’aise avec leur rôle et créent de ce fait une situation encore moins naturelle.

31 Dans un des enregistrements analysés, on peut même entendre l’animatrice consulter cette liste pour trouver de nouveaux sujets de discussion.

TABLEAU 3.1 :CARACTÉRISTIQUES DES SOUS-CORPUS

Corpus Beaulieu Corpus PFC Corpus FAC Lieu d’enquête Alberta

(Edmonton et Peace River)

Alberta

(région de Peace River)

Maine

(plusieurs régions, principalement le comté d’Aroostook)

Objectif de l’enquête recueillir des données qualitatives en lien avec un protocole de locuteur masqué

documenter des traits phonologiques de la variété de français parlée dans cette région

documenter l’histoire et la culture de la communauté francophone à travers le vécu de ses membres

Protocole d’enquête (dans les

enregistrements analysés) conversation semi-dirigée (animée par l’enquêtrice) conversation semi-dirigée (animée par un proche des participants)

conversation semi-dirigée (animée par des bénévoles du Franco-American Center)

Date d’enregistrement 2011 2001 2001-2012

Population(s) enregistrée(s) résidents de foyers pour personnes âgées, personnel médical

personnes de plusieurs tranches d’âge (selon le protocole du PFC)

personnes âgées

langue dominante32 français français mixte

type d’alternance dominant33 brève (insertionnelle) brève (insertionnelle) longue Type d’enregistrements audio audio vidéo

Nombre de fichiers audio ou

vidéo 31 8 17

Heures d’enregistrement 19 2 31

Informations disponibles au préalable sur les

enregistrements

durée d’enregistrement; année d’enregistrement; sexe, nombre et type d’interviewés (résident ou personnel)

durée d’enregistrement; année d’enregistrement; âge(s), sexe et nombre d’interviewés

durée d’enregistrement; année d’enregistrement; sexe et nombre d’interviewés

Le corpus FAC se rapproche le plus de la situation idéale de l’immédiat communicatif, en ce qu’il n’y a pas de sujets précis préparés à l’avance, les locuteurs de chaque enregistrement se connaissent personnellement et sont, sauf exception34, membres de la même communauté de pratique. De plus, les

locuteurs participent à des entretiens dans le cadre d’un projet d’histoire communautaire, plutôt que dans le cadre d’une étude scientifique. La situation est donc encore plus décontractée que dans les autres sous-corpus et il y a moins de pression de « bien répondre » aux questions de l’animateur. Cependant, il y a effectivement un animateur pour chaque conversation, c’est-à-dire que les locuteurs ne participent pas tous à l’interaction au même titre. Bien que le choix de thématique soit plus libre que dans les autres sous-corpus, cet animateur est conscient que son rôle est de guider la conversation vers des sujets d’histoire locale et personnelle, sur lesquels porte le projet. Pour chaque sous-corpus, donc, il y a des facteurs qui imposent plus ou moins de limites à la

32 Globalement, selon ce qui est le plus fréquent dans les interactions observées. 33 Globalement, selon ce qui est le plus fréquent dans les interactions observées.

34 Dans l’échantillon analysé (cf. la section 3.3) il y a deux exceptions à noter. Il s’agit en premier lieu de l’enregistrement FAC 02, dont l’interviewé n’habite plus à temps plein au Maine, et ne parle pas du tout français pendant son entretien, ce qui représente un écart par rapport aux pratiques langagières des autres locuteurs du même corpus. En second lieu, la locutrice principale de l’enregistrement FAC 09, qui raconte son vécu directement et agit parfois comme intervieweuse envers ses proches, apprend le français en tant que langue d’héritage et cherche activement à rapprocher ses pratiques langagières de celles des membres plus expérimentés de la communauté, ce qui indique qu’elle ne les partage pas entièrement encore.

situation de communication, l’éloignant plus ou moins de l’immédiat communicatif idéal (cf. la section 3.1.1.2) et influant nécessairement sur les usages qu’on y trouve. Toutefois, tous les sous-corpus ont été enregistrés dans des situations relevant suffisamment de l’immédiat communicatif pour être propices à l’alternance codique, comme en témoigne le nombre d’occurrences relevé (cf. le tableau 4.1 à la section 4.3).