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5 Analyses et résultats

5.1 Comparaison globale : les catégories fréquentes en français

Comme la présente étude vise principalement les occurrences isolables en anglais (cf. la section 4.2), seules les occurrences isolables en français faisant l’objet d’une comparaison à une ou des unités de l’anglais étudiées ont été analysées en détail. Cependant, afin de pouvoir effectuer ces comparaisons, toute occurrence isolable en français a dû être repérée, se voir attribuée une occurrence-type et, le cas échéant, une catégorie. Ce faisant, des tendances sont ressorties quant aux catégories et aux unités fréquentes faisant l’objet

d’alternance codique en position isolable en français, en particulier par rapport aux catégories et unités fréquentes en anglais. Le tableau 5.1 présente les catégories fréquentes identifiées en français et en anglais. Le nombre d’occurrences associées à chaque catégorie est indiqué ainsi que le pourcentage du total des occurrences isolables dans le FAC pour la langue en question (n = 461 en français, n = 954 en anglais) que cette catégorie représente. Pour que la comparaison soit juste, seules les occurrences isolables en anglais repérées dans le corpus FAC ont été prises en considération.

Ainsi, on voit que les locuteurs étudiés du corpus FAC ont recours à l’alternance codique en français et en anglais, quoiqu’à des fréquences différentes, pour des catégories comme yeah / yes / yep et ouais / oui, des marqueurs pragmatiques, des expressions exclamatives, des formules, des termes de relation familiale et des marqueurs de position épistémique. Le nombre de catégories communes entre l’anglais et le français est probablement au moins en partie un artefact de la restriction à des occurrences en position isolable, qui donne

TABLEAU 5.1 :LES CATÉGORIES FRÉQUENTES DES OCCURRENCES ISOLABLES EN ANGLAIS ET EN FRANÇAIS, CORPUS FAC SEULEMENT

Nom de la catégorie (français) Exemples des unités types incluses dans la catégorie occurrences correspondant à la catégorie (FAC seulement) Nom de la catégorie (anglais) Exemples des unités types incluses dans la catégorie # occurrences correspondant à la catégorie (FAC seulement) # % occ. isol fr. # % occ. isol. angl. marqueurs

pragmatiques là, pis, mais, ben, 215 46,6 yeah / yes / yep yeah, yes, yep 174 18,2

ouais / oui ouais, oui 55 11,9 chiffres eighty-one, eight years, nineteen fifty

60 6.3

expressions

présentatives ça, y avait, on avait 38 8,2 marqueurs pragmatiques

so, now, anyway, but, well

59 6,2

pronoms d’insistance

(pronoms détachés) moi, toi, nous autres 35 7,6 expressions exclamatives

holy boys!, oh my word!, oh geez! 48 5,0 formules (« chunks ») venu au monde, dans le bois 33 7,2

right / that’s right / is that right right, that’s right, is that right? 46 4,8 termes de relation familiale matante, mononcle,

pépère, mémère 32 6,9 formules (« chunks »)

matter of time, room and board, back at it 27 2,8 expressions

exclamatives voyons, mon dieu 17 3,7 termes de relation familiale

first cousins, grandfather,

mom 16 1,7

marqueurs de position épistémique

sais pas, pour moi,

pas au courant 12 2,6 marqueurs de position épistémique oh I see, I think so, I wouldn’t know 14 1,5

prépondérance à des unités qui sont plus propices à l’insertion ou à l’isolation syntaxique et discursive. Il est probablement aussi dû en partie à la situation de communication plutôt immédiate et informelle et à la nature de l’enquête, en particulier aux thématiques abordées (la vie quotidienne, les expériences personnelles). Ces facteurs rendent plus prévalentes des unités qui aident à structurer la conversation (yeah / yes / yep, ouais / oui, et autres marqueurs discursifs, les marqueurs de position épistémique) ainsi que des unités relevant de la famille (associée à la vie quotidienne), des émotions (associées à la subjectivité et les expériences personnelles) et des formules et expressions courantes (associées à l’oral spontané).

Cependant, il est intéressant de noter que, malgré le nombre total moindre d’occurrences isolables en français dans ce corpus (461 par rapport à 954 en anglais), plusieurs catégories ressortent qui ne sont pas fréquentes en anglais, voire pas présentes du tout : les expressions présentatives et les pronoms d’insistance. Dans le cas des expressions présentatives, Leclercq (2009) suggère qu’elles permettent de soulever une partie de l’ambiguïté inhérente dans les verbes conjugués au présent en français, en ancrant l’énoncé dans une situation spécifique (tandis qu’en anglais, on peut se servir du présent progressif [–ing] pour cet ancrage). Elle remarque, par conséquent, que l’emploi des présentatifs est beaucoup plus fréquent en français qu’en anglais, voire obligatoire, lors de la narration. De fait, le corpus FAC contient beaucoup de narration, en ce que les locuteurs racontent des événements vécus. Cependant, l’interprétation de Leclercq (2009) simplifie excessivement la signification et les emplois des présentatifs en français (sans parler de la signification des formes verbales en anglais; voir à ce sujet Hirtle, 2007), et ses données ne lui permettent pas de comparer des présentatifs en français et en anglais. Il serait intéressant de se pencher plus en détail sur la question des visées référentielles traduites par des présentatifs en français à l’oral (comme l’a fait Rabatel, 2001 pour l’écrit) et une éventuelle comparaison avec les présentatifs en anglais présents dans le corpus, ce qui dépasse toutefois les objectifs de la présente étude.

Dans le cas des pronoms d’insistance, il n’y a à ma connaissance pas d’études comparatives entre le français et l’anglais. De façon générale, cependant, on peut constater que dans l’usage général il est plus habituel, c’est-à-dire plus fréquent, de produire des pronoms détachés en français oral qu’en anglais oral et dans un plus grand nombre de positions dans l’énoncé. On peut penser, par exemple, à la fréquence et à la saillance relative des phrases comme En tout cas, moi, j’aime pas ça par rapport à Anyway, me, I don’t like that, ou encore Je pense pas, moi par comparaison à I don’t think so, me. Cela pourrait indiquer que les pronoms détachés du français constituent une ressource permettant d’insister sur la subjectivité et sur la position énonciative que prend le locuteur par rapport à ses propres paroles, ressource qui n’est pas disponible de la même façon dans le code anglais. Encore ici, une analyse fine de ces unités en français serait nécessaire pour déterminer les habitudes d’usage, y compris les visées référentielles exprimées, chez les locuteurs étudiés.

TABLEAU 5.2 :LES MARQUEURS PRAGMATIQUES ISOLABLES EN FRANÇAIS ET EN ANGLAIS,

COMPARAISON INDIVIDUELLE

Marqueur (français) # occurrences61 Marqueur (anglais) # occurrences

116 so 14

pis 39 now 10

ben 17 anyway 10

parce que 12 but / yes but 7

mais 12 you know / y’know 6

bon 7 too 5

ça fait (que) 6 well 5

ça 5 see 4

astheure 4 of course 3

hein 3 if / and if 2

avec 1 like 2

ici 1 because 1

pour moi 1 first of all 1

tout d’un coup 1

Une autre observation que permettent les résultats du tableau 5.1 est la prévalence des marqueurs pragmatiques en français, qui dépassent en fréquence même la catégorie yeah / yes dans le corpus FAC. À des fins de comparaison, le tableau 5.2 présente les marqueurs individuels qui constituent la catégorie en français et celle en anglais. On voit que la prévalence des marqueurs pragmatiques en français faisant l’objet de l’alternance codique est principalement due à la fréquence élevée de là, pis, et ben. Les marqueurs pragmatiques feront l’objet d’une analyse plus détaillée ci-dessous (voir la section 5.5), mais on peut déjà remarquer que, de façon générale, les plus fréquents en français sont ceux qui permettent d’exprimer des sens qui ne sont pas lexicalisés de la même façon en anglais : là peut se traduire entre autres par now, then, et there, en plus de sa fonction en tant que « ponctuant de la langue » (Vincent, 1993), dans laquelle il sert à démarquer des groupes prosodiques; pis peut se traduire par and et then ou encore par so what?; et ben peut se traduire par well, mais peut aussi contribuer à des marqueurs composites, par exemple, ah ben oui! dont le sens ressemble of course.

Globalement, alors, cet aperçu de l’alternance codique vers le français observée dans le corpus permet déjà de confirmer l’hypothèse qui sous-tend la présente étude : lorsqu’ils parlent en anglais, les locuteurs étudiés du corpus FAC se servent de certaines ressources en français qui leur permettent de traduire des visées référentielles qui seraient moins facilement traduisibles en anglais. De plus, le fait que ces unités sont employées dans des contextes variés suggère que l’alternance codique dans ces cas ne relève pas d’un problème de

61À la différence des marqueurs pragmatiques observés en anglais, les marqueurs pragmatiques en français sont souvent eux-mêmes composés de plusieurs formes constituant elles aussi des marqueurs pragmatiques (par exemple, pis là, et

pis, mais bon, non mais, etc.). Une seule occurrence peut alors correspondre à plusieurs formes récurrentes identifiées à

l’intérieur de la catégorie. Ainsi, les chiffres rapportés dans cette colonne s’additionnent à un total qui dépasse le nombre total d’occurrences repérées correspondant à la catégorie.

connaissances lexicales ou d’accès lexical. Autrement dit, les locuteurs semblent en effet se servir de l’alternance codique comme stratégie d’expression.