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IV ETUDE DE L’EVOLUTION DES PRATIQUES ENSEIGNANTES ET DES RESSOURCES PEDAGOGIQUES

ENSEIGNANTES ET LES RESSOURCES PEDAGOGIQUES IV-3-1 Repérage de schèmes de gestion d’une situation didactique

IV- 1-2 Repérage d’invariants dans des pratiques enseignantes

Dans (§IV-1-1) nous avons analysé chacun des quatre protocoles en essayant de dégager, pour chacun deux, les qualités de pratiques qui ont émergé et celles qui ne sont pas apparues. Le travail que nous allons faire maintenant est une étude comparative des pratiques afin de déterminer des invariants. Nous allons étudier et comparer les OM et les OD proposées dans les ressources et celles réalisées par les enseignants dans leur classe. L’étude comparative des pratiques nous conduit aussi à essayer de cerner les liens entre le type de préparation des ressources et leur mise en œuvre en classe. Nous allons, enfin, essayer de dégager l’évolution de l’utilisation, par les enseignants, des ressources pédagogiques.

a) Etude des invariants : expérimentation germes de ressource/ressources structurées

Le premier constat est relatif à l’émergence de la qualité d’organisation des phases de

dénomination et de détermination des tâches des élèves. Cette qualité n’apparaît pas ou

émerge peu lors des séances utilisant des germes de ressources (§IV-1-1a et §IV-1-1b) et paraît, plus présente, avec les ressources structurées (§IV-1-1c et §IV-1-1d).

En étudiant cette qualité, on est surpris de la part importante de l’implicite dans les expérimentations avec les germes : en demandant aux élèves de faire tel ou tel exercice du manuel, le professeur fait comme si tous ses élèves avaient le manuel de la collection CIAM.

La première expérimentation :

1) P : Prenez vos livres et faites l’exercice n° 60 page 146.

La deuxième expérimentation :

9) P : Vous préparez l’exercice 19 page 39.

Or, bon nombre des élèves de la classe ne disposent pas de livres. De plus, ce manuel, auquel le professeur fait référence, n’est pas conforme au programme sénégalais. Cette fidélité à ce manuel n’est pas sans danger, les traces écrites dans les cahiers des élèves font plus référence au manuel CIAM qu’au programme de mathématiques du Sénégal. Par exemple, pour la première expérimentation, le programme sénégalais propose une utilisation des symboles " > ; < ; ≥ ; ≤ " alors que dans le programme harmonisé, l’utilisation de ces symboles n’est pas exigible.

Pour les ressources structurées, étant donné que chaque élève disposait d’une fiche, l’organisation des phases de dénomination et de détermination des tâches des élèves a été facilitée par le scénario qui précisait en plus à l’enseignant la tâche à faire.

Le second constat est relatif à l’émergence de la qualité d’organisation de situation pour

l’action

Lors de la première expérimentation (§IV-1-1a), le professeur n’ayant pas organisé des échanges ni avec ses élèves, ni entre élèves : il n’y a pas eu de débat favorisant la co-construction de savoirs mathématiques. Or, le problème est surtout de permettre aux élèves de construire leurs propres solutions : de tester des outils, d’en construire d’autres, de formuler des conjectures et d’en discuter entre eux, de chercher des exemples ou des contre-exemples. Les élèves n’apparaissent pas comme des créateurs qui peinent à produire des œuvres de qualité et leurs modes de validation apparaissent simples et, parfois, simplistes. Pourtant, pour Chevallard (1998) :

« Le moment d’exploration de tâche ti et de l’élaboration d’une technique relative à ti doit être au cœur de l’activité mathématique. L’élève, sous la conduite avisée du professeur, doit être un artisan laborieux qui élabore patiemment ses techniques mathématiques ».

11) P : C’est comme ça ? 12) Es : Oui.

13) P : Le suivant

14) E : L’ensemble A = {5 ; 5,5 ; 6 ; 9}.

15) P : C’est exact ? 16) Es : Non.

L’élève qui est au tableau reprend en mettant le signe ≤ . A = {5 ≤ 5,5 ≤ 6 ≤ 9} .

17) P : C’est ça ?

18) Es : Non, il faut mettre point virgule (à la place de l’inégalité). 19) E : A = {5 ; 5,5 ; 6 ; 9}.

20) P : C’est ça ? 21) Es : Non.

22) P : Va au tableau (Le professeur demande à un élève d’aller corriger la question toujours de son bureau).

23) P : Souligne les nombres qui sont plus grands que 4 (Le professeur demande à un élève de souligner au niveau de la première question les nombres qui sont plus grands que 4).

24) E : L’élève souligne de 5 à 9.

0,001 ≤ 1,5 ≤ 1,75 ≤ 3 ≤ 3, 7 ≤ 4, 022 ≤ 5 ≤ 5,5 ≤ 6 ≤ 9.

25) P : C’est ça ? 26) Es : Non.

27) P : Qu’est-ce qui manque ? 28) Es : Monsieur…

29) P : Toi (le professeur désigne un élève). 30) P : Ecrit 4,022 et 4 et compares-les. 31) E : 4 ≤ 4,022.

32) P : Donc vous corrigez.

Dans la seconde expérimentation (§IV-1-1b), le professeur, bien qu’ayant favorisé les échanges entre élèves sur les solutions proposées, a rencontré des difficultés à mettre en œuvre la situation de débat. Dès les premières minutes de la séance, on s’aperçoit qu’il a du mal à concilier une gestion collective de la classe avec son désir de discuter, individuellement, avec les élèves. Il envoie un élève au tableau, tout en continuant de discuter avec les autres de leurs solutions et cela durant 3 minutes.

12h00

1) P : Pape Yassine Touré est là (un élève qui était absent la séance précédente) ? 2) E : Oui.

3) P : Tu as un billet d’entrée ? (le billet d’entrée est une autorisation d’entrée en classe délivrée par les surveillants chargés de la discipline dans l’établissement, pour les élèves disposant de justificatif d’absence).

4) E : Non.

5) P : Vas en chercher.

6) P : Toi, craches ce que tu as dans ta bouche. 7) E : Comment ?

8) P : Craches ce que tu as dans ta bouche.

9) P : Vous préparez l’exercice 19 page 39 (il s’agit d’un exercice de la collection CIAM). 10) E : Qu’est ce qu’on fait (un élève pose la question au professeur).

11) P : Activité géométrique.

12) P : Toi au tableau. (Le professeur circule à travers les rangées, regarde les productions des élèves et demande à un élève d'aller au tableau. Pendant presque 3 mn celui-ci reste au tableau, ne sachant que faire, il recopie l’exercice. Le professeur, pendant ce temps, continue son tour de classe, regarde les productions des élèves, vérifie les résultats etc.).

13) P : Il y a trop de bruit dans la classe, soit vous vous taisez, soit vous sortez. (Le professeur continue de regarder les productions des élèves).

12h5mn

Le désir de faire débattre ses élèves et les difficultés qu’il a pour organiser le débat fait passer, parfois, le professeur à côté des points essentiels. Il est important, dans les petites classes, que le professeur corrige ou fasse corriger des fautes grammaticales mais cela ne doit pas lui faire oublier les objectifs de son enseignement. La proposition, « (D) n’est pas médiatrice de [AB] parce que la distance AI n’est pas égale à la distance IB », n’est vraie que si I est sur la droite (D). Cette condition méritait d’être soulignée tout autant que la formulation de la négation en français.

34) P : C’est parce que la distance AI n’est pas égale à la distance IB. 35) P : Ecris ça au tableau.

36) E : L’élève écrit « exercice 19 page 39 » ; figure 1. (D) n’est pas la médiatrice de [AB] parce que la distance AI ne t’égale pas à la distance de IB.

38) P : Qu’est ce qu’il doit dire ? 39) Es : N’est pas égale.

40) P : Je n’ai pas entendu, tu répètes.

41) P : Tu peux continuer ta phrase ? La distance n’est pas égale…

42) E : N’est pas égale que la distance de IB (l’élève efface et écrit « n’est pas égale que la distance de IB »).

43) P : C’est correct ? Il dit que la distance AI n’est pas égale que la distance de IB.

44) E : Non, on dit « la distance AI n’est pas égale à la distance IB » (l’élève rectifie et écrit « exercice 19 page 39 » ; figure 1. (D) n’est pas la médiatrice de [AB] parce que la distance AI

n’est pas égale à la distance de IB).

Ces difficultés liées à la gestion des activités des élèves dans la classe peuvent être, en grande partie, prises en charge par des ressources structurées. Le scénario d’usage de chaque ressource est conçu avec des étapes et chaque étape avec des objectifs, les acteurs, leur rôle, le type d’organisation pour la classe et la durée. Au-delà de l’organisation du travail qu’il propose, le scénario permet à l’enseignant de disposer d'un baromètre qui lui donne des indications sur le temps nécessaire pour chaque étape.

b) Etude des invariants : préparation individuelle/préparation en groupe

La qualité qui apparaît, surtout après une préparation en groupe, est l’organisation de situation pour l’action. Les expérimentations que nous avons suivies semblent indiquer qu’avec une préparation en groupe, le professeur devient plus audacieux, il accepte de débattre avec ses élèves, il prend des risques. On note, d’ailleurs, que le niveau d’instrumentalisation devient plus intéressant après un travail en groupe. Dans la deuxième expérimentation, par exemple, (extrait ci-dessous) alors que le type de tâches était d’identifier une médiatrice, le professeur change l’activité en demandant aux élèves de placer le milieu d’un segment en utilisant la règle et le compas. Cette modification du type de tâches facilite pour les élèves la construction d’une nouvelle connaissance sur la médiatrice.

90) P : Cessez de bavarder et vous prenez la correction.

Le professeur écrit au tableau (il ajoute des questions au problème): Considérons la figure 3 :

a) Que représente le point I ? Explique ta réponse.

b) Soit une droite (D1) passant par I et perpendiculaire à [AB]. Que peux-tu dire de la droite (D1) ?

91) P : Pour la première question, on vous demande d’expliquer votre réponse. La seconde question vous dites : Que représente (D1) ?

92) P : Faites les questions et travaillez dans le silence.

M [ ]

101) P : Tu reprends la figure 3 au tableau (il s’adresse encore à l’élève qui est au tableau).

M [ ]

106) P : Comment tu as fait pour placer le point I ?

M [ ]

122) P : Toi, au tableau (un autre élève est envoyé de nouveau au tableau). L’élève mesure le segment et essaye de prendre la moitié.

123) P : Tu vérifies avec le compas si tu as le milieu. L’élève vérifie et ça ne marche pas.

M [ ]

125) P : Au lieu de prendre la règle et de mesurer, est-ce qu’il n’y a pas une autre méthode qui est plus rapide ?

M [ ]

130) P : On va utiliser le compas (un autre élève est envoyé au tableau). 131) P : Avec le compas, comment placer le milieu ?

Dans la quatrième expérimentation (§IV-1-1d), en phase d’institutionnalisation, une autre initiative est prise par le professeur : il utilise la transitivité de l’égalité pour montrer que N est un point du cercle alors que la fiche élève propose l’utilisation de la médiatrice du segment [ON].

Conclusion

La conclusion à tirer des quatre expérimentations pourrait être résumée par le mot « assurance ». Il faut attendre les deux dernières expérimentations et les comptes-rendus de S1 (Annexe 6) pour comprendre les raisons du « retrait » de l’enseignant lors de la première séance.

A l’invite « indiquer les suggestions que vous avez à faire sur la ressource et sur la formation » que nous lui avons faite sur la fiche de compte rendu d’expérimentation, le professeur répond :« la ressource m’a donné plus d’assurance pour aborder mon TD donc si

je pouvais en disposer pour mes cours ce serait formidable » (Annexe 6 ; cr3 et cr4). Au début des expérimentations, le professeur n’était pas sûr de lui, il évitait les interactions avec les élèves, il se méfiait. On peut constater qu’il était en retrait pendant 37 minutes (§IV-1-1a). On aurait dit qu’il se réfugiait derrière son bureau pour se protéger des élèves, de leurs interrogations et de leurs sollicitations. C’était sa façon habituelle de faire son cours. Le danger, c’est que, « dos au mur », il réagit d’autorité « 5 est bien un décimal parce qu’on a dit que l’ensemble IN est inclus dans l’ensemble ID ». Il n’essaye pas de décrypter le message de l’élève ni de comprendre ses difficultés, il joue de jeu de la sécurité.

Le travail en groupe sur une ressource (§IV-1-1d), l’appropriation de la ressource qui en résulte, le fait d’être accompagné par cette ressource pendant la séance, a permis au professeur d’être actif dans la classe, d’observer ce que font les élèves, d’apprécier, discuter, de s’interroger sur leurs difficultés. Il prend plus « d’assurance », il réoriente son travail pendant la séance afin de mieux réorganiser la construction du savoir en jeu. Dans cette situation, on dirait que le professeur, prenant conscience des limites de son projet, provoque une bifurcation de la situation pour faciliter la construction du savoir en jeu. Le résultat au niveau des élèves est encourageant : ils sont actifs.

Si, l’assurance provoquée par un accompagnement avec une ressource pédagogique semble être une condition nécessaire pour que le professeur puisse interagir avec les élèves, l’organisation des apprentissages demande du professeur de nombreuses connaissances, devant être toujours disponibles. Or, ces connaissances ne se construisent que dans la durée. Les résultats des expérimentations montrent que deux types d’activités sont nécessaires pour les dispositifs de formation à construire : la formation autour de la conception de ressources structurées pour la classe et le travail collaboratif à la base de cette conception.