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La rente foncière agricole, vecteur des changements d’affectation des sols

4. Espace agricole, activité agricole et artificialisation des sols

4.2. La rente foncière agricole, vecteur des changements d’affectation des sols

artificialisation, nécessite de recourir à un raisonnement en termes de différentiels de rente entre usages concurrents. Les modèles dynamiques de développement urbain s’intéressent aux facteurs expliquant la décision d’un propriétaire foncier de convertir une parcelle initialement à l’état agricole, forestier ou naturel en un terrain bâti. Le prix du foncier non bâti dans l’espace périurbain ou rural est égal à la capitalisation d’au moins trois composantes :

- La valeur de la terre agricole ou forestière - Le coût de la conversion

- Les rentes futures attendues

Dans un contexte d’information parfaite, les propriétaires fonciers vont choisir le moment optimal de conversion de leur parcelle, de manière à maximiser leur bénéfice net attendu. En négligeant les valeurs d’option, la décision de construire a lieu dès lors que les rentes attendues pour un usage urbain sont supérieures à la rente agricole additionnée des coûts de conversion.

Tout en gardant à l’esprit le très fort différentiel à l’unité de surface entre le foncier bâti et le foncier agricole (55 fois supérieur pour le bâti, 1,72 €/m² contre 95,5 €/m², Encadré 4-1), il y a lieu de s’interroger sur la façon dont se construisent les rentes foncières agricoles et sur les éléments qui les composent de façon à voir comment elles évoluent à mesure de l’avancée du front d’urbanisation ou de la densification du périurbain. La valeur de la terre reste en effet un élément déterminant dans les décisions des acteurs privés de convertir leur terrain agricole en terrain à bâtir, bien qu’il ne soit pas le seul pris en compte.

4.2.1. Facteurs internes à l'agriculture

La qualité d’usage des sols agricoles, bien que difficile à estimer, est prise en compte dans le calcul de la valeur de la terre. Cette qualité constitue un rempart solide contre l’artificialisation des terres agricoles et nécessite d’être préservée, bien que son poids varie fortement entre les régions et à l’intérieur des régions elles-mêmes. L’usage, le type d’agriculture pratiqué, etc. rendent la pratique plus ou moins dépendante des attributs biophysiques des terres (altitude, pente, qualité des sols). Le climat fait également l'objet d'une attention particulière. En France, des travaux couplent l'influence du climat sur le prix de la terre agricole et les choix d'usage du sol dans une analyse en termes de scénarios d'évolution à l'horizon 2050. En prenant en compte l'extension de l'urbain (+1 million d'ha), il apparaît que les cultures annuelles et les forêts progresseraient (respectivement de +1 et +1,5 million d'ha) au détriment des prairies et des cultures pérennes (respectivement -2,5 et -0,3 millions d'ha). Les effets du climat ne sont par ailleurs pas limités aux cultures annuelles ou aux prairies, et l’on observe des effets sur les choix des éleveurs et sur les choix d'autres cultures pérennes.

En revanche, le recours aux intrants n’est généralement pas capitalisé dans le prix de la terre. A l’inverse, la disponibilité de l’eau (souterraine ou irriguée) augmente les revenus espérés de la terre agricole et donc son prix. Il en est de même pour les investissements réalisés pour "améliorer" l’exploitabilité de la terre, tels que l’agrandissement de la taille des parcelles, des forages, ou les travaux de drainage.

Encadré 4-1 - L’effet relatif des signes de qualité

Les signes de qualité valorisent l'activité agricole, mais de façon équivoque. Les indications géographiques peuvent avoir un impact fort sur le prix de la terre, parfois supérieur à celui des éléments biophysiques. Dans la région de Bordeaux, l'effet des appellations d'origine contrôlée n'est cependant pas significatif, ce qui peut être expliqué par une incapacité à répondre de manière suffisante à la pression urbaine, via une hausse significative des prix des terres.

Enfin, dans une perspective de limiter la déprise agricole, il est communément admis que la stabilité des soutiens à l’agriculture (PAC, Agriculture biologiques, etc.), joue sur la valeur du foncier et pérennise les activités agricoles. Les quotas et permis de production impactent également le prix de la terre agricole, que ce soit les droits d'épandage, ou les limites en termes de nitrates. Inversement, les effets d'aménité qui augmentent l'offre de bénéfices écologiques peuvent générer des revenus additionnels de la terre.

4.2.2. Facteurs externes à l’agriculture

Parmi les facteurs externes à l’agriculture susceptibles d’avoir un effet sur la valeur de la terre et donc sur les opportunités de conversion des espaces agricoles, la proximité des espaces déjà urbanisés, mais aussi des espaces naturels doit être prise en compte. Egalement, l’effet des SAFER et des collectivités territoriales mérite d’être étudié.

La proximité aux pôles urbains, tout comme celle des infrastructures routières, constitue à la fois une menace et une

opportunité pour les activités agricoles. Elle peut être génératrice de nouveaux débouchés et conduire à une spécialisation de l’activité vers des produits à haute valeur ajoutée. Dans ce contexte, les programmes d’approvisionnement local des cantines scolaires (farm to school program) sont un levier non négligeable (Encadré 4-5). La ville ou la coexistence d’activités concurrentes dans un même espace peuvent être source de conflits d’usage et de gêne à l’activité agricole (fragmentation des espaces agricoles par les infrastructures de transport, restrictions sur certaines pratiques agricoles…). Parallèlement, la présence forte de populations non agricoles peut permettre le maintien de l’activité agricole en apportant un accès aux services et aux emplois. Mais, cette proximité peut aussi se traduire en termes de pression foncière et accentuer la vulnérabilité des terres agricoles si elles ne bénéficient pas d’une protection de type « Zone agricole protégée (ZAP) » ou « Protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) » (cf. infra).

Encadré 4-2 - Le syndrome d’impermanence

La proximité à la ville peut avoir des effets négatifs sur l'agriculture par la diminution de l'horizon temporel sur lequel se fondent les décisions des agriculteurs. Ce syndrome d'impermanence implique que les agriculteurs sous-investissent dans leur activité, ce qui contribue à en diminuer la valeur potentielle. Sachant que le changement d'usage est rarement réversible et que sa perspective est associée à une hausse de la valeur de la terre, les conditions favorables à l'apparition d'une valeur d'option sont réunies. La valeur d'option s'ajoute à la valeur de l'activité agricole, elle provient de la possibilité d'attendre l'arrivée de nouvelles informations sur la valeur urbaine de la terre avant de faire le choix de conversion ou de vente.

Les espaces naturels à proximité des terres agricoles présentent des effets de débordement, positifs ou négatifs, mais

généralement de moindre ampleur que les déterminants présentés ci-dessus. Les terres agricoles marginales vont être plus vulnérables face à l’abandon et à l’enfrichement, mais on peut considérer qu’une parcelle de terre agricole bénéficie des attributs des parcelles voisines par des effets d’externalité comme les espaces ouverts ou les services écosystémiques. Les

paysages et les habitats naturels influent positivement sur la valeur des terres agricoles. Les services écosystémiques fournis par les zones naturelles (lacs, rivières, forêts et zones de conservation) ont des effets positifs pour l'activité. Le développement du tourisme et des loisirs rendus possibles par les espaces naturels et forestiers, est aussi source de valeur pour l'agriculture, ce qui peut préserver les terres d’un changement d’usage.

En France, les mécanismes de protection de l’environnement peuvent diminuer localement la disponibilité de la terre, mais on n’observe pas d’effet direct sur l’activité agricole.

En revanche, le contexte institutionnel modifie sensiblement la valorisation de la ressource par l’agriculture. La sécurisation des droits de propriété et d'usage, tout comme le tracé du parcellaire joue un rôle sur le prix de la terre et sur la valorisation agricole. De manière intuitive, les coûts de transaction sont répercutés dans le prix de la terre, ce qui implique une plus grande rigidité du marché foncier, avec la non-réalisation de transactions potentiellement mutuellement profitables. Ces coûts de transaction peuvent contribuer à des distorsions dans l'allocation du foncier pour l'agriculture.

Encadré 4-3 - La valeur de la terre en France en 2015

Selon les comptes de patrimoine de l'économie nationale de l'INSEE, les terrains cultivés représentent une valeur de 481,5 milliards d'euros en 2015 alors que la valeur des terrains supportant des bâtiments est presque 10 fois supérieure (4 782,5 milliards d'euros). De forts différentiels existent toutefois au sein de ces deux champs statistiques tels qu’abordés par les comptes de patrimoine d'un point de vue macroéconomique. Le prix de la terre agricole libre varie entre 0,14 €/m² dans le Haut-Jura et 140 €/m² pour une vigne en Appellation d'Origine Contrôlée Premier Cru en Bourgogne (Nouvelles séries de prix des terres, SSP-SAFER). Les terrains actuellement convertis vers l'urbain ne sont par ailleurs pas directement comparables à l'ensemble des surfaces bâties. Le prix d'un terrain pour y construire une maison individuelle se situe entre 19 €/m² dans le Limousin et 200 €/m² en Île-de-France (Enquête sur le prix des terrains à bâtir, SOeS).

4.3. Les facteurs locaux de conversion ou de résistance à l’artificialisation

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