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Eviter l’artificialisation de certains espaces particuliers

8. Eviter l’artificialisation des sols ou réduire, voire compenser, ses effets

8.2. Des leviers pour éviter ou maîtriser l’artificialisation des sols

8.2.2. Eviter l’artificialisation de certains espaces particuliers

De nombreuses dispositions permettent de protéger les sols contre l’artificialisation, certains espaces étant mieux protégés que d’autres, notamment lorsqu’ils sont le support de productions. La prise en compte des particularités des sols dans le cadre des documents d’urbanisme peut permettre une artificialisation "raisonnée", et faute de pouvoir toujours l’éviter dans le cadre d’une anticipation reposant sur les évaluations environnementales, il faut se résoudre à en compenser les effets (cf. infra).

 La protection des espaces de montagne et littoraux contre l’artificialisation des sols

Outre le cas particulier des espaces protégés (parcs nationaux, réserves naturelles…), le droit de l’urbanisme permet de protéger certains espaces, dont les zones de montagnes et en particulier les terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières (C. urb., art. L. 122-9). Paradoxalement, la protection de ces activités autorise la consommation d’espaces agricoles, puisque restent autorisables "les constructions nécessaires à ces activités", mais également les équipements sportifs (ski), outre "la restauration ou la reconstruction d'anciens chalets d'alpage ou de bâtiments d'estive", ainsi que des extensions limitées "lorsque la destination est liée à une activité professionnelle

Les pays développés, mais aussi les pays émergents de façades littorales particulièrement convoitées, telles que les rives de la Méditerranée, se sont dotés de législations spécifiques au littoral. Elles reposent sur la mise en œuvre de principes similaires : la délimitation de zones non aedificandi (non constructibles), la construction perpendiculairement au littoral (dite "en profondeur"), et la protection de corridors verts notamment par la définition d'espaces remarquables. En France, la loi Littoral de 1986 est venue inscrire ces principes dans le droit de l’urbanisme, mais ses effets restent mitigés (cf. infra). Cette loi a également créé le mécanisme de protection des espaces dits « remarquables » en en restreignant l’usage et en préservant leur harmonie et leur intégration paysagère.

L’urbanisation autour des plans d’eau. Les parties naturelles des rives des plans d'eau naturels ou artificiels d'une superficie

inférieure à mille hectares sont protégées sur une distance de 300 m à compter de la rive ; y sont interdits toutes constructions, installations et routes nouvelles ainsi que toutes extractions et tous affouillements (L. 122-12 – pour les plans d’eau de plus de 1 000 ha, c’est la loi Littoral qui s’applique, la distance étant alors réduite à 100 m). Toutefois, la faible importance du plan d’eau peut justifier la non-application de ce dispositif. Certaines constructions sont cependant admises dans ces secteurs, liés à la production agro-sylvo-pastorale ou aux activités des lieux (gîtes, camping, équipements d’accueil et de sécurité…) (L. 122-13). D’autres constructions et aménagements peuvent être admis par dérogation, en fonction des spécificités locales. L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches des rives des plans d'eau intérieurs soumis à la loi Littoral est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau.

Les territoires ultramarins sont soumis aux mêmes lois que la métropole (loi Littoral, loi Paysage...), tout en étant adaptées

d’un point de vue des compétences, mais la difficulté réside dans leur application aux particularismes locaux, sociaux et environnementaux. C’est le cas à Mayotte, où coexistent dans la législation foncière, des droits coutumiers musulmans et le droit commun, aux logiques en partie contradictoires. Il en est de même en Nouvelle-Calédonie. Plus généralement dans les territoires ultramarins, les principes réglementaires de la bande de 100 mètres de la loi Littoral se superposent à ceux de la zone des 50 pas géométriques (81,2 m), qui connaît des spécificités législatives, naturelles et des enjeux socioéconomiques et patrimoniaux particuliers.

Ces dispositifs s'appliquant au littoral ont souvent été mis en place trop tardivement (parfois du fait de défaillances politiques et institutionnelles) au regard des dynamiques rapides et largement spontanées de l’artificialisation. Par ailleurs, les outils restent souvent au service de la promotion du développement économique plutôt que de la protection de l’environnement. Un bilan de la loi Littoral publié en 2007 faisait un constat mitigé de son application. S’il ne remettait pas en cause la légitimité d’une politique spécifique au littoral, bien au contraire, ce bilan pointait des défaillances dans son application et appelait à un renouveau de certaines dispositions. De nombreuses tensions existent autour de cette thématique entre les différents acteurs et 10 ans après ce bilan, et la réforme de la loi littoral est un levier d’action en faveur de la protection du littoral contre l’artificialisation.

Encadré 8-5 - Pour une politique intégrée du littoral : la Gestion intégrée des zones côtières (GIZC)

La GIZC est un outil de politique publique, que le Conseil de l’Europe porte depuis les années 1970. Elle a notamment fait l’objet d’une recommandation de l’Union européenne en 2002, mais force est de constater que sa mise en œuvre n’est toujours pas effective. La GIZC permettrait pourtant de composer avec les réglementations sectorielles qui s’appliquent sur le littoral en appréhendant globalement les éléments terrestres et aquatiques, et en prenant en compte l’exploitation des ressources avec les objectifs de protection de l’environnement. De fait, si la GIZC vise à répondre aux principes du développement durable, elle peine à se concrétiser du fait des profondes divergences d’intérêts entre les usagers du littoral, mais également de la dispersion des compétences institutionnelles (situées à des échelles territoriales multiples) et de la dilution des responsabilités qui en découle.

 La protection relative des sols supports de production agricole

Le droit aspire à préserver l’existence des sols à vocation agricole dans une perspective quantitative plus que qualitative, en d’autres termes la disponibilité des sols.

Dans les PLU peuvent être classées en zones agricoles dites "zones A" les secteurs de la commune, équipés ou non, "à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles". L’utilisation des sols doit donc correspondre à la vocation de la zone, et les autorisations de construire ou d’occuper le sol doivent respecter les dispositions du règlement de zone qui préserve cette vocation. Ce zonage a également des incidences sur les conditions de remise en état des sols à la suite de l’exploitation d’une installation classée. Cette protection de la disponibilité de sols à vocation agricole passe également par l’intervention des instances agricoles et assimilées lors de la définition du zonage par la commune ou l’intercommunalité : la Chambre d’agriculture est consultée dans le cadre de l’élaboration du SCOT ou du PLU, et le préfet peut désigner la direction départementale de l’équipement et de l’agriculture au titre des personnes publiques associées. L’approbation du PLU et son évolution (modification/révision/mise en compatibilité) ne peuvent également intervenir, lorsqu’elles se traduisent par une réduction des terres agricoles et forestières, qu’après avis de la Chambre d’agriculture, du

Centre régional de la propriété forestière et, le cas échéant, de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) dans les zones d’appellation d’origine contrôlée. Il ne s’agit cependant que d’une simple consultation. L’absence de document d’urbanisme opposable ne laisse pas le sol sans défense, puisque la règle de la constructibilité limitée interdit de construire en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune, à quelques exceptions près comme les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole et à la mise en valeur des ressources naturelles. En outre, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire peut refuser le projet ou ne l’accepter que sous réserve de prescriptions spéciales s'il est de nature, par sa localisation ou sa destination, à compromettre les activités agricoles ou forestières, notamment en raison de la valeur agronomique des sols ou de l’existence de terrains faisant l’objet d’une délimitation au titre d’une appellation d’origine contrôlée ou d’une indication géographique protégée.

Ces avis et autres consultations n’offrent cependant qu’un faible rempart face au changement d’affectation. La protection des terres agricoles doit donc passer par des mécanismes ad hoc. Ainsi en est-il des zones agricoles protégées (ZAP), qui relèvent de la compétence du préfet : dès qu’un changement d'affectation ou de mode d'occupation du sol altérant durablement le potentiel agronomique, biologique ou économique d’une telle zone est envisagé, l’avis de la Chambre d'agriculture et de la Commission départementale d'orientation de l'agriculture est requis, et il faut une décision motivée du préfet pour autoriser ce changement en cas d’avis défavorable de l’une d’elles (C. rur., art. L. 112-2). Ce régime permet donc de dépasser un horizon économique de court terme et de contrer la pression locale exercée sur les élus. La politique des zones agricoles protégées est cependant très peu appliquée.

L’espace agricole périurbain bénéficie de mesures particulières de préservation depuis 2005 (Loi relative au développement des territoires ruraux). Les départements peuvent délimiter des périmètres de protection autour des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) avec l'accord de la ou des communes concernées ou des établissements publics compétents en matière de PLU, après avis de la Chambre d'agriculture et enquête publique. L’intérêt du dispositif est que les terrains compris dans un périmètre défini ne peuvent être inclus ni dans une zone urbaine ou à urbaniser, ni dans un secteur constructible délimité par une carte communale, et que toute modification du périmètre ayant pour effet d'en retirer un ou plusieurs terrains ne peut intervenir que par décret. Une telle protection reste fragile, car dépendant du bon vouloir du Conseil départemental, et a un champ d’application assez flou : le terme "périurbain" ne permet pas d’identifier clairement ces espaces. On peut sans doute se fonder sur les aires urbaines de l’INSEE mais, pour certains départements, cette approche est réductrice et n’englobe pas toutes les zones de pression foncière.

Les politiques alimentaires et agricoles locales réinterrogent l’usage des outils de planification. La protection de l’agriculture périurbaine via des instruments de planification librement mobilisés par les communes, serait plus efficace que les PLU, notamment car ils signalent une gouvernance locale mobilisée autour d’un projet agri-urbain de développement agricole qui se traduit, ensuite, par une volonté de protection du foncier agricole. Cette mobilisation est un puissant levier juridique de protection des exploitations périurbaines, à condition qu’il intègre l’agriculture existante sur les territoires dans sa dimension multifonctionnelle.

 Préserver le foncier agricole par des outils fiscaux

Les éléments de réforme fiscale mentionnés précédemment visent avant tout à répondre aux difficultés d’accès aux logements en France, et non pas directement à une meilleure maîtrise de l’usage des zones naturelles et agricoles. Toutefois, l’atteinte du premier objectif peut servir celle du second.

Au bénéfice d’une fiscalité plus incitative, la mise sur le marché d’un plus grand nombre de terrains constructibles dans les zones urbaines ou d’urbanisation future peut diminuer la pression foncière dans des communes principalement couvertes par des zones naturelles et agricoles. Cet enchainement vertueux n’est possible que si les communes concernées appliquent une politique rigoureuse de préservation des espaces naturels et agricoles et que ces zones bénéficient d’une fiscalité fortement accommodante par une sectorisation des taux basée sur l’usage des sols (Comité pour la fiscalité écologique, 2013). On peut en effet craindre que dans des communes aux marges des espaces urbains, une fiscalité sur le foncier agricole assise sur la valeur vénale des terrains accélère les demandes de déclassement en terrains constructibles en raison du surcoût fiscal supporté par les exploitants. Dans un contexte où les collectivités pourraient voir dans le nouveau mode d’imposition une aubaine en termes de finances publiques, des effets pervers d’incitation à l’artificialisation pourraient alors apparaître. En France, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (2010) a instauré la taxe sur la plus-value immobilière assise sur la cession de terrains nus agricoles rendus constructibles à la suite d'une modification des documents d'urbanisme. Elle vise à lutter contre la spéculation sur le foncier agricole et, de ce fait, contre la disparition des terres agricoles, d’autant que son produit est affecté au financement des mesures en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs.

Cette taxe est applicable de plein droit sur la première cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles postérieurement au 13 janvier 2010, par un PLU ou une carte communale. Les cessions postérieures ne sont donc pas

Encadré 8-6 - La valorisation du foncier agricole aux Etats-Unis

Le gouvernement américain a autorisé les gouvernements locaux à appliquer une valeur d’usage aux terrains, c’est-à-dire qui reflète le revenu tiré de leur utilisation courante. Théoriquement, la taxation de la valeur d’usage permet de retarder la conversion du foncier agricole, et son effet est d’autant plus important que la différence entre les valeurs potentielles de marché et d’usage est elle-même élevée. Autrement dit, l’effet modérateur sur l’artificialisation va naturellement être maximum en périphérie proche des zones urbaines, là où cet écart est le plus grand, mais modeste en zones rurales loin des centralités urbaines.

Cependant, compte tenu des écarts de valorisation des terrains entre usages agricole et résidentiel à proximité des zones urbaines tendues, toute incitation fiscale en faveur d’un maintien agricole serait insuffisante pour modifier les comportements (The Mirrlees Review, 2011). Ces éléments ne plaident pas pour un abandon de tout traitement fiscal différencié des terres agricoles et naturelles. Ils soulignent simplement que l’incitation fiscale est à effets limités sans une politique de zonage ou de régulation stricte de la part des collectivités.

8.2.3. Densifier les espaces déjà artificialisés : une volonté affirmée, des effets bénéfiques

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