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Les politiques visant à limiter les pertes de terres agricoles par artificialisation

4. Espace agricole, activité agricole et artificialisation des sols

4.4. Les politiques visant à limiter les pertes de terres agricoles par artificialisation

Le droit de l’urbanisme et le droit rural prévoient des mesures de protection des terres identifiées comme étant agricoles, dans le but de maintenir leur vocation agricole. Ces mesures peuvent être considérées comme efficaces, mais des faiblesses dans leur mise en œuvre et les exceptions prévues par la réglementation viennent en limiter la portée. La façon dont le droit et les politiques publiques peuvent limiter l’artificialisation des sols sont développées plus loin, mais il convient de s’intéresser d’ores et déjà à la façon dont le droit préserve la disponibilité des zones agricoles.

Le droit de l’environnement prévoit des mécanismes de protection qui se traduisent par la délimitation de zones à l’intérieur

desquelles l’artificialisation des sols est limitée voire proscrite. En cela, les espaces naturels se voient protégés, et ce, de manière plus stricte que les prescriptions qui accompagnent les zonages en droit de l’urbanisme. Leur emprise est croissante depuis les années 1970 et la protection qu’ils entraînent varie d’autant plus que leur nombre est grand.

Les zonages apparentés aux catégories I à III de l’UICN permettent d’assurer une totale inconstructibilité à court et long terme. Ils représentent 7 des 200 zonages environnementaux. Par ailleurs, des zonages de catégorie IV peuvent assurer la même inconstructibilité, mais il faut relever le faible impact des parcs naturels régionaux. En PACA par exemple, 8 % du territoire sont ainsi préservés du processus d’artificialisation.

La logique des zonages plus souples (qui, dans le cas de PACA, couvrent un espace 5 fois plus important, avec 43 % en moyenne des surfaces communales), suit un principe d’empilement dont l’accumulation permet de construire un gradient de protection autour des zones emblématiques.

Le droit de l’urbanisme et le droit rural ont également recours à la méthode du zonage. L’affectation de terrains en zone A

(agricole) par les plans locaux d’urbanisme est en soi une forme de protection, bien que cette affectation puisse être remise en cause lors du renouvellement dudit document. En outre, les Zones agricoles protégées (ZAP) (article L.112-2 du Code rural) et les périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) (article L. 113- 15 du Code de l’urbanisme) sont susceptibles de se superposer à la qualification des terres en zones A afin de consolider leur affectation. Créés par le législateur respectivement en 1999 et 2005, ces deux outils présentent un intérêt certain, mais demeurent insuffisamment mis en œuvre.

L’exemple du pôle métropolitain de Nantes Saint-Nazaire est cependant à mettre en exergue : les terres agricoles y sont particulièrement vulnérables du fait des faibles revenus et afin de les préserver, le département a mis en place un PEAN. Le PEAN des trois vallées est le plus important en France. Il couvre 17 000 hectares de terres agricoles sur le territoire de trois communes et joue le rôle de ceinture verte (Encadré 4-6).

Encadré 4-6 - Les frontières urbaines ou UGB (urban growth boundary) et les ceintures vertes

Les « Urban growth boundaries » (cf. chapitre 5), définissent une limite extérieure à l’extension de la ville pour une durée moyenne généralement longue, entre 10 et 20 ans et dans l’aire urbaine considérée, l’urbanisation hors des limites de l’UGB est proscrite. Les ceintures vertes procèdent d’une logique comparable avec une zone entourant la ville qui n’autorise que les usages agricoles ou le maintien en zone naturelle. Le modèle néerlandais combine politiques de préservation des espaces ouverts par le biais de réglementations de zonage, et planification nationale des zones d’expansion urbaine, incarnée dans des schémas relativement détaillés (Broitman & Koomen, 2015).

Par ailleurs, les zonages agricoles n’empêchent pas l’artificialisation des sols en leur sein lorsqu’elle est justifiée par l’usage agricole, et on observe une tendance à l’artificialisation croissante. Ainsi, la part des surfaces agricoles pour lesquelles un

ces régions, le rythme de construction de nouveaux ouvrages est à peine perturbé par l’évolution des aides à la production (quotas laitiers de 1984 ou réforme de 1992). La forte diminution du nombre de structures s’accompagne en effet d’un agrandissement constant des cheptels qui exigent le renouvellement des lieux de vie des animaux. 14 000 ouvrages sortent ainsi de terre chaque année entre 1980 et 1997. Sous l’effet de la restructuration, si le nombre de construction diminue, le volume de m² total lui ne faiblit pas et reflète une corrélation toujours forte entre restructuration agricole (notamment dans le secteur laitier) et artificialisation des sols pour usage agricole (qui est comptabilisée par Teruti, mais souvent pas par CLC). Par ailleurs, les serres et « abris hauts » sont comptabilisées comme surfaces agricoles par Teruti et CLC, alors qu’elles impliquent le plus souvent une artificialisation du sol.

Enfin, dans un contexte de transition énergétique qui voit se développer des zones de production d’énergies renouvelables, les juridictions sont amenées de façon croissante à se pencher sur la question de la compatibilité des centrales photovoltaïques au sol avec l’affectation des terres à une activité agricole. Répondant à un besoin de clarification, une circulaire du Ministère de l’Environnement du 18 décembre 2009 prévoyait pourtant que « les projets de centrales solaires au sol n’ont pas vocation à être installés en zones agricoles, notamment cultivées ou utilisées pour des troupeaux d’élevage. Dès lors, l’installation d’une centrale solaire sur un terrain situé dans une zone agricole […] est généralement inadaptée compte tenu de la nécessité de conserver la vocation agricole des terrains concernés. Toutefois, l’accueil d’installations solaires au sol peut être envisagé sur des terrains qui, bien que situés en zone classée agricole, n’ont pas fait l’objet d’un usage agricole dans une période récente. » Une concurrence probable, mais mesurée, entre ces deux usages est à étudier.

4.4.2. Politiques de soutien à la production agricole, déprise et artificialisation des terres

agricoles

La politique de soutien à la production joue un rôle clé dans l’évolution du phénomène de déprise. L’augmentation des aides et des prix ralentit significativement le rythme de

disparition des exploitations agricoles et freine la restructuration du secteur agricole imposée par l’évolution du marché. Afin de démontrer l’effet d’une libéralisation totale

ou partielle, plusieurs scenarios d’évolution de la PAC ont été testés et une attention particulière a été portée sur leur impact en termes de déprise agricole. Ils prédisent une augmentation limitée de la déprise dans le cas d’une libéralisation partielle (- 0,16 % de SAU), et plus significative (-9 à 7 % de SAU) dans le cas d’une libéralisation poussée du secteur agricole. Les principales zones de déprise sont localisées dans les régions de montagne, et au sein de celles-ci, sur les versants escarpés alors que les vallées et les plateaux sont moins touchés. Ces zones ne correspondent pas aux zones les plus menacées par l’artificialisation (Figure 4-2).

Par ailleurs, certains détracteurs de la réforme du découplage des aides et de la conditionnalité des mesures agroenvironnementales avançaient l’hypothèse que la mise en place d’une gestion plus environnementale du foncier agricole entraînerait un abandon des terres. La pratique montre que ce n’est absolument pas le cas et on ne peut raisonnablement considérer ces politiques comme un préalable à l’artificialisation des sols.

Encadré 4-7 – Effets de modulation spécifique à certains contextes territoriaux : la montagne

Du fait des caractéristiques pédoclimatiques spécifiques à la montagne, depuis le début du XIXe siècle, 90 % des terres agricoles ont

été abandonnées dans les Alpes, 20 % dans les Préalpes, et jusqu’à 85 % dans les Pyrénées. L’artificialisation en montagne est inégale, mais il est clair que le phénomène de construction des résidences secondaires est un fort déterminant d’artificialisation. La vulnérabilité des exploitations agricoles en montagne est atténuée par des stratégies de diversification qui rendent ambiguë la nature du lien qui unit leur maintien au phénomène d’artificialisation. Le développement des revenus secondaires, issus principalement du tourisme est au cœur de cette question. Néanmoins, l’orientation vers une agriculture labellisée (AOP/IGP) renforce les exploitations, et en particulier celles en lien avec la production du fromage (à distinguer de l’agriculture de plaine).

En contexte urbain et périurbain, le développement d’exploitations labellisées ou intégrées dans des programmes de type

foodsheds de proximité leur permet de résister mieux que les autres. Mais, ces exploitations le plus souvent de maraîchage

Figure 4-2. Aires projetées de déprise agricole selon un scenario de libéralisation de l’agriculture et des politiques

ou d’élevage doivent engager des adaptations techniques importantes : conversion à l’agriculture biologique, construction de circuits de distribution directe ou de proximité, maîtrise des nuisances sonores et olfactives en cas de présence d’animaux d’élevage à proximité de zones résidentielles (gestion des flux d’animaux et délocalisation des bâtiments d’élevage). Une modification du système d’alimentation est souvent engagée avec une augmentation du fourrage au détriment du pâturage, ce qui peut devenir contradictoire avec les cahiers des charges des AOP/IGP.

4.5. Conclusions et leviers d’action

S’il est clair que l’artificialisation des sols a des effets sur les espaces agricoles, ceux-ci doivent être examinés tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Sur le plan quantitatif, on observe des pertes irréversibles de surfaces agricoles. Si l’artificialisation des sols y joue un rôle souvent considéré comme prépondérant, ces pertes sont aussi dues au phénomène plus classique de déprise agricole liée aux cessations d’activité agricole. Ces dernières donnent lieu à d’importants flux de changements d’affectation des sols entre sols agricoles et sols forestiers et naturelles touchant des terres potentiellement moins productives et plus réversibles. Traduire ces flux en perte de production de biomasse agricole n’est pas chose aisée. Tout au plus, peut- on tenter d’évaluer la perte de capacité productive due à l’artificialisation de terres agricoles. Même si les pertes de terres agricoles par artificialisation concernent des sols de bonne à très bonne capacité productive, les pertes de production qu’elles pourraient engendrer, sont, pour une large part, compensées par une intensification accrue de la production de biomasse sur les autres terres agricoles. Sur un plan plus qualitatif, certaines des formes prises par l’artificialisation, comme le mitage ou la fragmentation des territoires agricoles par l’habitat ou certaines infrastructures de transport, démultiplient les zones de contact entre l’agriculture et les territoires artificialisés, ce qui procure des gênes et nuisances réciproques entre résidents et agriculteurs et peut perturber l’organisation de l’activité et du travail agricole. Sur ces questions, l’état des lieux de la littérature scientifique souligne davantage des besoins de recherche en la matière qu’il ne permet de tirer de conclusions.

Cela étant dit, dans la perspective de limiter les pertes de terre agricoles à moyen et long terme, afin de préserver les capacités de production agricoles de la France et éviter d’entraver le travail des agriculteurs, des leviers d’action existent.

Dans un premier temps, les décisions conduisant à l’artificialisation des sols agricoles prennent insuffisamment en compte la qualité des sols visés par les projets de conversion. Par conséquent, il est difficile d’estimer l’exact impact de l’artificialisation des sols sur l’agriculture, qu’il s’agisse des quantités produites, mais aussi de l’environnement agricole plus largement. Un important et principal levier d’action réside dans l’amélioration des connaissances des sols agricoles en France, à l’échelle de la parcelle. Ce levier est cependant conditionné par l’acceptation d’une définition de la notion de qualité des sols. Dans un second temps, il ressort des analyses statistiques une faible réversibilité des sols agricoles devenus imperméabilisés, la réversibilité des sols artificialisés concernant presque exclusivement les sols enherbés, nus ou simplement stabilisés. C’est bien cette catégorie d’artificialisation qu’il conviendrait de mettre en avant dans les suivis d’occupation du sol pour évaluer plus précisément son impact sur l’agriculture. En effet, à long terme et dans un contexte de changement climatique, cette réversibilité est centrale dans la mesure où des études montrent que les usages agricoles localisés peuvent être amenés à évoluer, du fait de la disponibilité de la ressource en eau et de l’évolution du climat. Si l’artificialisation des sols agricoles est décidée, les projets d’aménagement devraient prendre en compte et privilégier cette réversibilité future.

Les politiques de zonage apparaissent comme un outil au fort potentiel, mais leur mise en œuvre ne semble pas toujours être suffisamment efficace pour maitriser l’artificialisation des sols agricoles. De ce fait, se pose la question du bon échelon de gouvernance des terres agricoles. L’intercommunalité semble en l’occurrence plus appropriée, mais avec le maintien voire le renforcement d’un contrôle qui s’effectuerait à l’échelon supérieur : la région ou l’Etat. Les hypothèses de renforcer, d’une part, l’outil de réserves foncières, et, d’autre part, la fiscalité sur la vente de terres agricoles devenues constructibles sont deux leviers qu’il conviendrait d’étudier davantage. À défaut d’une taxation adaptée, ou d’un système de capture de la rente agricole comme aux Pays-Bas, une utilisation plus fréquente des « Zones d’aménagement différé », permettrait de limiter les effets d’anticipation des aménageurs.

Enfin, tous les types d’agriculture n’offrent pas les mêmes capacités de « résistance » face au phénomène d’artificialisation des sols. Dans un contexte périurbain avec une forte pression foncière, l’agriculture de niche, mais aussi l’agriculture intégrée dans un système d’alimentation territorialisée (SAT), s’avèrent plus pérennes que l’agriculture conventionnelle. La gouvernance participative et locale est alors centrale.

5. Stratégies de localisation des ménages et construction de logements

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