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7. Les spécificités de l’artificialisation des littoraux

7.4. Les spécificités de la gouvernance du littoral

Sur les littoraux comme ailleurs, la politique du laisser-faire a longtemps dominé, conduisant à une artificialisation peu contrôlée, structurée par les opportunités foncières et par des facteurs géographiques comme la proximité du littoral, des centres urbains et des axes routiers, ou la topographie. Cette situation reste de mise dans de nombreux pays, notamment en voie de développement.

 La mise en place d'une réglementation

Les pays développés, mais aussi les pays émergents de façades littorales particulièrement convoitées, telles que les rives de la Méditerranée, se sont dotés de législations spécifiques au littoral. Elles reposent sur la mise en œuvre de principes similaires : la délimitation de zones non aedificandi (non constructibles), la construction perpendiculairement au littoral (dite "en profondeur"), et la protection de corridors verts notamment par la définition d'espaces remarquables. En France, la loi Littoral de 1986 est venue inscrire ces principes dans le droit de l’urbanisme, mais ses effets restent mitigés. Cette loi a également créé le mécanisme de protection des espaces dits « remarquables » en en restreignant l’usage et en préservant leur harmonie et leur intégration paysagère.

En outre, du fait de la qualité environnementale de certains espaces littoraux, les protections classiques du droit de l’environnement s’y appliquent particulièrement. Elles peuvent être le fruit soit de conventions internationales (Unesco, Ramsar…), soit de législations nationales. On y trouve ainsi par exemple des parcs nationaux (Port-Cros), des réserves naturelles (Camargue) et des parcs naturels marins (Côte d’Opale). Par ailleurs, depuis sa création en 1975, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres mène une politique foncière d’acquisition qui vise à la protection du « tiers naturel » du littoral français (en 2017, il en est propriétaire de 13%).

Les territoires ultramarins sont soumis aux mêmes lois que la métropole (loi Littoral, loi Paysage...), tout en étant adaptés

d’un point de vue des compétences, mais la difficulté réside dans leur application aux particularismes locaux, sociaux et environnementaux. C’est le cas à Mayotte, où coexistent dans la législation foncière, des droits coutumiers musulmans et le droit commun, aux logiques en partie contradictoires. Il en est de même en Nouvelle-Calédonie. Plus généralement dans les territoires ultramarins, les principes réglementaires de la bande de 100 mètres de la loi Littoral se superposent à ceux de la zone des 50 pas géométriques (81,2 m), qui connaît des spécificités législatives, naturelles et des enjeux socioéconomiques et patrimoniaux particuliers.

 Une réglementation pas toujours efficace

Ces dispositifs ont souvent été mis en place ou appliqués trop tardivement (parfois du fait de défaillances politiques et institutionnelles) au regard des dynamiques rapides et largement spontanées de l’artificialisation du littoral. Par ailleurs, les outils restent souvent au service de la promotion du développement économique plutôt que de la protection de l’environnement. De fait, la planification urbaine est souvent accusée de suivre après coup les tendances spontanées et de distribuer les droits à construire en adaptant les zonages et la réglementation, au lieu de constituer un véritable outil d'aménagement. De plus, la multiplicité des réglementations entraîne une superposition des périmètres de gestion. Un bilan de la loi Littoral publié en 2007 faisait un constat mitigé de son application. S’il ne remettait pas en cause la légitimité d’une politique spécifique au littoral, bien au contraire, ce bilan pointait des défaillances dans son application et appelait à un renouveau de certaines dispositions. De nombreuses tensions existent autour de cette thématique entre les différents acteurs et 10 ans après ce bilan, un texte de réforme a bien été proposé mais sans pour autant aboutir.

De fait, même lorsqu'elle existe, la réglementation exerce un effet moins structurant que les facteurs économiques classiques (Encadré 7-4). Les effets de la réglementation apparaissent ainsi contrastés, entre encouragement et contrainte de l'urbanisation, protection de l'environnement et abandon de l’agriculture, "gel" du développement des territoires littoraux et report de l’urbanisation vers l'arrière-pays.

Les zonages établis pour la planification urbaine ou la protection de l’environnement participent à l’augmentation des prix du

foncier, par leur effet de restriction de l’offre, et par le surcroit de valeur conféré par les aménités, notamment paysagères, liées aux espaces naturels protégés. L’effet des réglementations est tout aussi ambivalent. La loi de défiscalisation immobilière (loi Pons, 1986) appliquée dans les DOM s’est, par exemple, traduite sur les marchés fonciers par un double phénomène de morcellement et de reventes spéculatives, qui a affecté les espaces agricoles et naturels.

Encadré 7-4 - L'exemple du Pays de Brest

Bien que contestés, les effets de la protection du littoral peuvent s’avérer efficaces comme le montre l’exemple du Pays de Brest. La première figure (Figure 7-2) montre l’emprise foncière acquise par le Conservatoire du littoral dans le Pays de Brest. 23% des terrains de la bande côtière (0-100 m) y sont désormais soustraits à l'urbanisation : l’objectif du Tiers naturel n’est pas encore atteint, mais il devient tangible.

De fait, la construction sur le littoral est effectivement de plus en plus contrainte, même en dehors de ces zones protégées. L’attraction exercée de prime abord par le littoral, en l’absence de mesures de protection, tend à s’atténuer fortement dès lors qu’une réglementation est mise en place. La seconde illustration (Figure 7-3) montre l’évolution du statut des parcelles foncières entre 1968 et 2009. Elle montre que, dès le milieu des années 1970, la construction résidentielle est de plus en plus contrainte sur le littoral. L’analyse réalisée permet même d’affirmer que les mesures réglementaires (lois et documents d'urbanisme) ont effectivement réduit de moitié le risque de construction des parcelles dans la bande littorale de 100 m.

Désormais, la proximité des infrastructures (routes, services) ou celle des zones bâties préexistantes exercent une influence bien plus déterminante sur la construction résidentielle, que la proximité de la mer.

 La nécessité de mettre en œuvre la Gestion intégrée de la zone côtière (GIZC)

La GIZC est un outil de politique publique, que le Conseil de l’Europe appelle de ses vœux depuis les années 1970. Elle a notamment fait l’objet d’une recommandation de l’Union européenne en 2002, mais force est de constater que sa mise en œuvre n’est toujours pas effective. La GIZC permettrait pourtant de composer avec les réglementations sectorielles qui s’appliquent sur le littoral en appréhendant globalement les éléments terrestres et aquatiques, et en prenant en compte l’exploitation des ressources avec les objectifs de protection de l’environnement. De fait, si la GIZC vise à répondre aux principes du développement durable, elle peine à se concrétiser du fait des profondes divergences d’intérêts entre les usagers du littoral, mais également de la dispersion des compétences institutionnelles (situées à des échelles territoriales multiples) et de la dilution des responsabilités qui en découle.

7.5. Conclusion et leviers d’action

L’artificialisation du littoral répond donc aux déterminants que l’on retrouve sur l’ensemble du territoire, mais ces derniers s’exercent de façon accrue. Il en est de même des impacts environnementaux, qui présentent des spécificités. En revanche, il peut être surprenant de noter que les espaces littoraux ultra-marins ne présentent pas de particularités qu’on ne retrouve en métropole, du moins du point de vue des réponses en termes d’aménagement. La richesse en biodiversité, la vulnérabilité face au changement climatique et les particularismes sociétaux, appellent toutefois à des réactions spécifiques de la part des pouvoirs publics. L’artificialisation du littoral pourrait y être mieux cernée, à la fois dans sa mesure, mais aussi dans ses impacts.

La mesure de l’artificialisation du littoral.A l'échelle locale, l’observation de terrain, l’analyse diachronique de photographies Figure 7-2. Les terrains du CEL dans le Pays de

plus diffuses. Mais pour des territoires plus larges, les analyses doivent recourir à des images de moindre résolution spatiale, ne permettant que d’identifier les formes d’artificialisation les plus massives et étendues. L'urbanisation diffuse, si répandue sur le littoral, n'est alors pas détectée, ni les effets des activités récréatives pratiquées dans la nature sans infrastructures spécifiques. L’extension réelle l’artificialisation du littoral reste donc difficile à mesurer.

La discrimination des impacts de l’artificialisation. Certaines altérations des milieux résultent de combinaisons complexes

des facteurs qui rendent difficile l’établissement de relations causales. L’évolution des zones humides, par exemple, dépend à la fois de causes naturelles (accrétion, subsidence) et de causes anthropiques, directes (drainage, remblais et poldérisation) et indirectes (artificialisation des bassins versants, pollution).

Les capacités de restauration des milieux. Des études de terrain ont montré que certains écosystèmes littoraux présentent une forte capacité de résilience suite à un stress, mais aussi de nombreux cas de milieux côtiers qui n’ont pas résisté à leur artificialisation. La difficulté consiste alors à déterminer si l’absence de résilience est due à une fragilité intrinsèque ou à des perturbations trop intenses.

L'évaluation des coûts et bénéfices de l’artificialisation. Les conséquences de l’artificialisation ne sont pas forcément

négatives, loin s’en faut. Par exemple, le développement touristique peut constituer une source de nouveaux revenus économiques pour la population locale, voire un facteur de protection de l’environnement et des paysages littoraux dès lors qu’ils sont considérés comme ressource touristique. Dans ce cadre l’évaluation des coûts et bénéfices de l’artificialisation constitue un outil de gouvernance utile. Généralement menés par des économistes, ces travaux s’appuient notamment sur des méthodes de coûts hédoniques (ou propension des usagers à payer pour un service offert, notamment par l’environnement) ou d’évaluation des services écosystémiques. Cependant, ces évaluations restent complexes à réaliser, donc difficiles à partager avec l’ensemble des acteurs concernés par un projet d’artificialisation de gestion. Les principales réserves qui leur sont opposées sont à la fois conceptuelles (peut-on évaluer monétairement l’environnement ?) et méthodologiques (comment s’assurer de l’exhaustivité et de l’objectivité de l’évaluation ?).

8. Eviter l’artificialisation des sols ou réduire, voire compenser,

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