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Renseignement et intelligence stratégique

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 72-79)

Revenons à l’histoire secrète dont vous avez été le réseau. Finalement, l’information que vous avez trouvée, n’auriez- vous pu l’obtenir par des moyens légaux ? Par exemple sur des banques de données brevets ? Sans doute en partie92. C’est là toute la différence entre l’espionnage

92 Beaucoup d’informations sur les services de renseignement sont

d’ailleurs publiques. Voir le site de la DGSE, www.dgse.org , réalisé à partir de sources ouvertes. Il rassemble de nombreuses informations sur les services français (DGSE mais aussi DRM et DST). Mais

(illégal) et l’intelligence économique ou stratégique (légale). Bien entendu, certains domaines dits stratégiques doivent comporter une politique de secret. Mais il s’agit là de situations plutôt limitées. Ces logiques opposées se rejoignent au moins sur la nécessité de mettre en œuvre un dispositif intelligent, souple, autrement dit une stratégie-réseau.

Notons que l’intelligence économique93 n’est pas le seul

fait des entreprises tout comme l’espionnage n’est pas le seul fait des militaires. Certains groupes privés ont pratiqué ou pratiquent encore l’espionnage quand des militaires ou policiers utilisent des informations légales pour se renseigner. La filiation renseignement – intelligence économique, bien que partielle, existe bel et bien, ce qui n’est pas sans entretenir une confusion entre les deux communautés, confusion alimentée par les fantasmes mais aussi par des couvertures94 ou des

transferts bien réels.

Lorsque les Américains étudièrent l’option débarquement en Somalie, explique le Général Jean Pichot-Duclos, ils s’aperçurent que les dossiers de leurs Agences de renseignement étaient vides, la zone n’ayant jusqu’alors

attention ! Il s’agit là d’un site non officiel : à vous de faire le tri du vrai et du faux !

93 cf. chap. I

94 Si des experts du renseignement se sont reconvertis dans

l’intelligence économique, à l’inverse le monde de la défense s’intéresse à ses méthodologies. Par exemple, l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN) propose des cycles d’intelligence économique. Site : www.ihedn.fr

bénéficié d’aucune priorité de recherche de renseignement. L’Etat-Major se tourna alors vers Robert Steele (Ancien officier de renseignement des Marines qui avait créé une structure privée de renseignement baptisée O.S.S. ou Open Sources Solutions). En quarante huit heures, celui-ci put fournir un dossier opérationnel en consultant, notamment par Internet, tout son réseau de spécialistes de l’information ouverte ayant eu à connaître de la Somalie : journalistes, universitaires, chercheurs, géographes, économistes, etc. Il s’agissait donc d’un réseau ouvert tout entier contenu dans un carnet d’adresses tenu à jour soigneusement. Ainsi, allégé de toutes les procédures de protection d’informations publiques, Robert Steele se révéla-t-il plus rapide et performant que les lourdes machines étatiques disposant de réseaux institutionnels95.

Si l’intelligence économique (qui concerne les entreprises) ou stratégique (étendue à tout type d’acteurs) n’est pas de l’espionnage, elle relève bel et bien du renseignement. Pour vous convaincre de la différence entre les deux notions, composez le 12 sur votre téléphone : vous êtes en relation avec le service de renseignement de France Télécom mais ce n’est pas James Bond qui vous répond 96! Le renseignement et l’intelligence économique

ou stratégique partagent le même univers de la stratégie-

95Jean Pichot-Duclos, entretien avec les auteurs.

96 Pascal Jacques-Gustave, cours au DESS Intelligence Economique,

réseau97 et des méthodes communes de recherche,

traitement et diffusion de l’information. Par exemple, les logiques complémentaires de push et de pull. Si vous n’en êtes pas persuadé, imaginez cette autre histoire dont vous êtes une nouvelle fois le stratège-réseau.

Vous êtes responsable de la veille stratégique d’une entreprise de taille moyenne qui navigue dans un secteur très concurrentiel. En d’autres termes, vous êtes chargé de coordonner le recueil, le traitement et la diffusion de toutes les informations permettant de surveiller l’environnement. Votre patron vous annonce qu’il doit rencontrer prochainement son homologue allemand et a besoin de tous les renseignements possibles sur son compte dans les quarante huit heures. Vous activez vos réseaux afin de le renseigner : coup de téléphone à l’ambassade de France à Berlin, mail au responsable de la filiale de votre groupe outre-Rhin, consultation du dossier de presse réalisé par le centre de documentation de l’entreprise, etc. Réactivité, stress et aléas sont les maîtres mots de cette logique. Votre correspondant à l’Ambassade est en congé mais, heureusement, le responsable de la filiale est à son poste. Il vous fait parvenir quelques informations… en allemand ! Horreur, le service de traduction est débordé et la personne responsable des imputations budgétaires qui vous permettraient de sous-traiter la traduction est en formation. Il vous reste le centre de documentation et…

97 La lettre spécialisée Le Monde du Renseignement développe depuis

plusieurs années une rubrique intelligence économique. Site : www.intelligenceonline.fr

Internet. Après une nuit blanche, vous rendez une synthèse à votre patron qui vous félicite. Vous avez adopté une logique pull qui consiste à mettre en œuvre un réseau ad hoc. A partir d’un problème donné, il s’agit

d’interconnecter toutes les ressources nécessaires et/ou d’activer ses réseaux afin de le résoudre.

La stratégie-réseau pull est sans aucun doute la plus pratiquée. Elle consiste à aller chercher l’information directement, par exemple en interrogeant un moteur de recherche. Il s’agit donc de tirer l’information comme on va tirer de l’eau d’un puits. A l’inverse, la logique push consiste à faire en sorte que l’information arrive d’elle- même, qu’elle soit poussée vers nous quand nécessaire, par exemple grâce à un profil bien renseigné98. La

première est guidée par le principe de réactivité et la seconde par le principe de pro-activité. La première peut être fulgurante quand la seconde travaille dans la durée. Si leurs logiques sont différentes, aucune de ces deux stratégies-réseaux n’est supérieure à l’autre. Très souvent même, si l’une des deux échoue, c’est en raison de l’absence de l’autre.

De nombreuses études concernant l’activité d’intelligence stratégique dans l’entreprise montrent que la stratégie- réseau push reste très limitée voire ignorée. Quand elle est évoquée ou imaginée, c’est souvent dans une logique

98 Sur Internet, remplir un profil consiste à indiquer ses centres

d’intérêt. Dès lors, dès qu’une information répondant à ce profil sera éditée sur le site visé, un signal nous préviendra de son existence ou nous l’enverra directement dans notre boite aux lettres.

instrumentale : quels outils (robots intelligents sur Internet par exemple) peuvent être mis en place pour obtenir des informations stratégiques ? Or l’idée qu’il est possible d’automatiser le processus de veille et de l’organiser avec quelques outils (press button) ou même quelques spécialistes de l’information ne va pas dans le sens d’un maillage des acteurs qui, seul, peut donner une véritable valeur ajoutée à l’information. Répétons-le : la compétence est individuelle mais l’intelligence est collective. Pourtant, la fonction « manager de réseaux » est souvent considérée comme secondaire et le spécialiste de l’interrogation de bases de données est mis en avant. Sans nier l’utilité du second, il est néanmoins évident que sa fonction ne répond pas aux enjeux : avoir une information sûre le plus rapidement possible. Car, à partir du moment où l’information circule et est relayée par quelques têtes de réseaux, la question est bien de canaliser ces flux vers le responsable de l’intelligence stratégique plutôt que d’aller chercher l’information là où elle est sans doute, peut-être, ou pas du tout.

Les systèmes intelligents sont donc ceux qui savent allier une stratégie-réseau pull et une stratégie-réseau push, c’est-à-dire ceux qui savent, à l’instar des services de renseignement, cultiver leurs réseaux. Le Japon, considéré

mythiquement comme un modèle d’intelligence stratégique permet de mieux appréhender la culture des réseaux et donc de comprendre les fondements stratégiques d’une stratégie-réseau.

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 72-79)