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L’intelligence stratégique du Japon

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 80-84)

Dans le domaine de l’intelligence stratégique, le Japon est considéré comme un modèle ou, à tout le moins, comme un exemple. S’il y a dans cette admiration une part d’idées reçues ou de mythe non négligeable, force est de constater que ce petit pays a su mettre en œuvre des stratégies-réseaux d’une redoutable efficacité. Le technoglobalisme que nous allons présenter en est le symbole.

Pour le rapport fondateur de l’intelligence économique en France99, le Japon est effectivement le premier pays a

avoir fait de l’information un levier de compétitivité en la considérant avant tout comme une ressource collective et non comme une ressource individuelle. Cette vision se retrouve chez des auteurs anglo-saxons. Dans

Competitive intelligence, Larry Kahaner consacre un

chapitre entier au Japon - How the japanese perform

competitive intelligence - avant d’aborder les autres pays

dans un chapitre intitulé : Competitive intelligence in other

99 Intelligence économique et stratégie des entreprises, Commissariat

Général du Plan, Rapport du groupe de travail présidé par Henri Martre, La documentation française, février 1994.

countries. Pour lui, il y a le Japon et les autres.100. Cette

supériorité est largement due à la capacité japonaise à travailler en réseau.

L’intelligence stratégique apparaît comme un facteur de compétitivité déterminant du Japon. Dans la phase de rattrapage, lorsque ce « petit pays » a décidé de se hisser au niveau des puissances industrielles. Dans l’après- guerre ensuite lorsque, vaincu, l’économie apparût être la seule voie possible (tolérée par les Américains) de renouveau. Aujourd’hui enfin, alors qu’il doit en particulier gérer sa position de deuxième puissance économique mondiale, asseoir son influence en Asie et surpasser la crise. Pour devenir une puissance économique mondiale, et avec une forte volonté d’indépendance, le Japon a donc élaboré et mis en œuvre des stratégies au moyen d’un dispositif intelligent d’acquisition-intégration de l’information. Walt Shill, un associé du cabinet de conseil en stratégie Mac Kinsey, n’a-t-il pas expliqué que si les compagnies de commerce japonaises avaient pris en 1995 un avantage sur les entreprises américaines dans les échanges commerciaux avec la Chine, c’était avant tout grâce à leur market

intelligence capability 101 ?

Le dispositif japonais rassemble de nombreux acteurs, connus ou méconnus. Parmi eux, il y a évidemment le

100 Larry Kahaner, Competitive intelligence, New York, Simon &

Schuster, 1996.

101 The Journal of Commerce Knight-Rider/Tribune Business News -

mythique MITI, emblème de l’intelligence économique avec le JETRO, organisme sous sa tutelle. Mis en place dans sa forme actuelle au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour superviser la reconstruction du Japon102, le Ministère du Commerce International et de

l’Industrie est souvent qualifié par les occidentaux de « super-ministère ». Il est vrai que le MITI a la responsabilité de la politique industrielle et des politiques d’importation et d’exportation toutes trois stratégiques pour un pays qui ne dispose pas de matières premières. Mais ainsi que le note François Grout, ancien attaché scientifique à l’ambassade de France à Tokyo, la communication d’informations entre entreprises, primitivement organisée par le MITI, fonctionne aujourd’hui d’elle-même via les associations professionnelles, sociétés savantes et autres clubs. Dans ce système, il faut noter que le Professeur d’Université joue un rôle central. Les transferts immatériels (information, savoir-faire) s’opèrent souvent par l’envoi de personnel chez des sous-traitants ou des clients. Malgré une concurrence parfois très dure, les grandes entreprises conservent cette volonté d’ouverture, aidées en cela par le fait que le nombre d’industriels majeurs par secteur est quasi fixe.103

102 Sa première naissance date de 1925 lors de la scission des

ministère de l’Agriculture et du Commerce. Pour une histoire détaillée du MITI, se reporter en particulier à l’ouvrage de Chalmers Johnson, MITI and the Japanese Miracle (the Growth of Industrial

Policy, 1925-1975), Tokyo, Tuttle edition, 1986.

Les sogo shosha*, sociétés de commerce international

intégrées, sont au cœur de la stratégie-réseau du Japon. Ainsi que le note Daniel Haber : Aucune entreprise au

monde n’a, autant qu’une sogo shosha, la conscience du caractère vital, presque sacré, de l’information et la capacité de mettre sur pied un système aussi performant. Au total des neuf sogo shosha, c’est un réseau de plus de mille bureaux qui rassemble, en permanence, des informations de base sur chaque produit, chaque marché, chaque élément du contexte économique, social, politique dans lequel le bureau opère. Si on ajoute que, dans chaque siège social, un pourcentage élevé de cadres a la responsabilité de traiter ces informations, au niveau de la firme, du groupe de produits, de la division, du département d’affaires, des sections, on a la vision d’un système de traitement de l’information qui n’a pas d’équivalent privé et qui, sans aucun doute, rivalise, dans le domaine économique et commercial, avec les systèmes d’Etat (C.I.A. et autres).104

Les Think Tank sont des organismes de recherche

d’informations qui réalisent des études mono ou multi clients. Le NIRA (National Institute for Research

Advancement), parfois appelé « Think Tank des Think

Tank » édite un annuaire mondial des Think Tank

* Itochu, Sumimoto Corp., Marubeni, Mitsui Corp., Mitsubishi Corp.,

Nissho-Iwai, Tomen, Nichimen, Kanematsu

104 Daniel Haber, Les sogo shosha (comment les Sociétés de Commerce

International japonaises gèrent le Monde), Paris, Economica, 1993, p

40-41. D. Haber est Directeur général de l’Institut de Recherche du Commerce International

publics105. Dans le secteur privé, les deux plus

importants sont le Mitsubishi Research Institute (MRI) et le

Nomura Research Institute (NRI). A titre d’exemple, le MRI

compterait plus de cinq cents enquêteurs et chercheurs. Dans chaque secteur, une petite équipe de trois enquêteurs recueille des informations à partir de banques de données et de contacts personnels. En général, ces enquêteurs connaissent à eux trois, les cent personnes qui comptent dans le secteur dont ils ont la charge. Pour faire fonctionner les réseaux, les deux principales méthodes utilisées sont le hearing (rassembler les gens clés sur un sujet autour d’une table) ou la formation et la conduite de comités d’étude autour d’un Professeur d’Université réputé.

Bien entendu, cette liste est loin d’être exhaustive, l’une des caractéristiques du dispositif japonais étant l’existence d’une myriade de petites structures, parfois redondantes et en concurrence. Néanmoins l’efficacité du dispositif d’acquisition-intégration est assurée par une réelle connexion entre l’information et la décision qui trouve ses racines dans une culture du renseignement encore bien présente et une forte synergie public-privé.

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 80-84)