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La société en réseaux : une révolution globale

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 32-37)

Au cœur de cette révolution globale se trouve le facteur technologique. Par révolution des technologies de l’information, il faut entendre la convergence de la microélectronique, de l’informatique, des télécoms, de l’optoélectronique et même du génie génétique. Toutes ces technologies ont en commun de manipuler de l’information sous quelque forme que ce soit. Les machines électroniques et informatiques permettent de disposer d’une puissance de calcul non seulement sans précédent, mais selon la loi de Moore en augmentation permanente selon une fréquence accélérée39. Alors que le

cerveau humain serait le modèle de départ de

37 www.grand-voilier.com

38 Christophe Labbé et Olivia Recasens, « grand-voilier.com », Le

Monde, 10 mars 1999.

39 En 1965, Gordon Moore, l’un des fondateurs d’Intel, le n°1 des

microprocesseurs, montre que le nombre de composants présents sur une puce électronique double chaque année (plus tard tous les dix-huit mois).

l’ordinateur40 le premier est rapidement dépassé par le

second pour certaines fonctions comme la capacité de stockage ou la puissance de calcul. La machine assure des fonctions que l’homme lui-même n’est pas capable d’accomplir : il y a donc bien une rupture. Les centrales nucléaires ne pourraient fonctionner sans lui, tout comme un nombre toujours plus grand d’activités dites complexes. C’est pourquoi il est plausible de parler de révolution voire même de nouvelle ère.

Contrairement aux deux premières révolutions industrielles, celle de l’information ne joue pas tant sur la

puissance énergétique optimale que sur la vitesse et les rythmes. La révolution de l’information est, en effet,

synonyme de ruptures technologiques dans les capacités de renseignement (appréhension et capture de l’information), de calcul et plus largement de traitement et de simulation, de communication (temps réel, mobilité, interopérabilité…), d’accumulation et de stockage (capacité des mémoires et fiabilité du numérique), de précision (pré-positionnement, guidage et évaluation).

L’ère des réseaux ne se réduit pas à un changement de dimension technologique, loin s’en faut. A l’image des révolutions industrielles précédentes, la révolution est globale : technologique certes, mais également

40 Philippe Breton, « Le premier ordinateur copiait le cerveau

stratégique et politique41. Les liens existant entre ces

trois dimensions et l’avènement de l’ère des réseaux se retrouvent évidemment dans le management des entreprises. A l’initiative du quotidien Le Monde, cinq entrepreneurs français ayant joué un rôle décisif entre 1940 et 2000 ont posé leur regard sur le XXème siècle42.

Schématiquement, les années 50 où la centralisation est à son apogée correspondent à un faible développement de l’informatique, une faible influence de l’internationalisation et à une forte présence de l’Etat dans les entreprises. L’organisation en réseau fait une timide apparition avec l’essor industriel des années 60, notamment en raison de la nécessité d’implanter des filiales à l’étranger. Cette décentralisation se poursuit lentement dans les années 70, période de doute et de chocs pétroliers. L’informatique, essentiellement de gestion, est celle des gros systèmes. L’accélération se produit dans les années 80 avec l’arrivée de l’ordinateur personnel, un début de globalisation marqué notamment par la construction européenne. Mais ce sont les années 90 qui marquent l’avènement des réseaux : organisation

41 Nicolas Moinet & Pierre Fayard, La révolution de l’information :

stratégie ou réalité ?, Rapport LABCIS (Université de Poitiers) pour la

Fondation pour la Recherche Stratégique, décembre 1999.

42 « Cinq entrepreneurs posent leur regard sur le siècle », Le Monde, 4

avril 2000.

Les cinq entrepreneurs sont : Robert Fievet (Fromageries Bel) pour les années 1940-1955, Etienne Dalemont (Compagnie Française des Pétroles) pour les années 1955-1968, Paul-Louis Halley (Promodes) pour les années 1968-1981), Noël Goutard (Valéo) pour les années 1981-1991 et Bernard Liautaud (Business Objects) pour les années 1991-2000.

flexible, arrivée d’Internet, renforcement de la mondialisation43.

Dans son travail encyclopédique sur la société en réseaux44, Manuel Castells45 part de ce constat

fondamental : c’est désormais la logique du réseau qui envahit et structure notre univers. Pour la première fois dans l’histoire, l’unité première de l’organisation n’est pas un sujet, individuel ou collectif, mais le réseau. Avant cette révolution réticulaire, les faits pouvaient être rattachés à des centres : Etat, entreprise, groupe, individu. Désormais, ces centres sont des nœuds où se rencontrent - ou s’ignorent - de multiples flux d’information. Toute l’intelligence consiste à contrôler ces flux ou du moins une partie d’entre eux. Dans ce schéma, l’informatique distribuée induit des modalités d’organisation plus transversales et un management par projet où la disposition de l’information à la base doit être favorisée. Joël de Rosnay exprime cette révolution profonde en terme de perte de repères : Avec l’avènement

du traitement électronique des informations, de la numérisation des données et du développement des réseaux interactifs de communication, les références classiques volent en éclat. Aux trois unités (de lieu, de temps et de fonction) s’opposent la décentralisation des tâches, la désynchronisation des activités et la

43 Histoire parallèle : l’arrivée des femmes à des postes significatifs

dans l’industrie semble aller de pair avec cette évolution. Est-ce là une coïncidence ? Notre conception de la stratégie-réseau tendrait à nous faire penser que non (cf. leçon 9 du Chapitre IX).

44 Manuel Castells, La société en réseaux, Paris, Fayard, 1998. 45 Professeur de sociologie à l’Université de Berkeley – Californie.

dématérialisation des échanges. La société naissante s’organise en réseaux plutôt qu’en pyramides de pouvoirs, en cellules interdépendantes plutôt qu’en engrenages hiérarchiques, au sein d’un “écosystème informationnel” plutôt que par filières industrielles linéaires. D’où le désarroi des hommes politiques et des hauts fonctionnaires de l’Etat nourris d’évolutions quantifiables, proportionnelles et extrapolables, face au foisonnement multidimensionnel ou aux accélérations brutales des évolutions nouvelles. L’émergence d’un phénomène international de communication comme Internet, l’effet de surprise qu’il provoque et la volonté de contrôle qu’il suscite, illustrent de manière éclatante cette perte de repères…46

La révolution de l’information renforce le mode d’organisation en réseaux. D’une manière générale, celle- ci est l’expression d’un changement radical de la nature du travail. Pour Pierre Veltz47, le travail consiste de moins

en moins à produire directement mais à superviser, réguler, entretenir, optimiser, améliorer les processus et les systèmes. Dans l’organisation en réseaux, le travail- communication consiste à interconnecter ces ensembles plutôt que d’automatiser stricto sensu. La tâche se définit désormais par son objectif et non par son déroulement : le travail moderne mobilise des compétences (collectives) pour maîtriser des flux d’événements prévus et imprévus. Avec la division du travail, le problème central devient celui des interactions et de la coopération dynamique. La

46 Joel de Rosnay, « Ce que va changer la révolution

informationnelle », Le Monde diplomatique, août 1996, p 9.

communication (au sens fort) est ainsi la clé de la sécurité et de l’efficacité productive. Un individu, explique Pierre Veltz, n’appartient plus à une chaîne productive mais est connecté horizontalement et verticalement : La

tâche n’existe que comme nœud d’un réseau de coopérations dont la géométrie est variable, et qui ne peut fonctionner qu’avec des acteurs ayant un degré élevé d’autonomie.48

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 32-37)