• Aucun résultat trouvé

D’une organisation à l’autre

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 37-43)

Dans des environnements toujours plus incertains et turbulents, la vieille organisation pyramidale s’efface au profit de l’organisation en réseau. Dans celle-ci, le contrat l’emporte sur la contrainte, la responsabilité sur l’obéissance, le désordre sur l’ordre, le risque partagé sur la limitation du hasard, le projet sur la discipline, l’enjeu sur l’objectif quantifié, enfin l’information co-élaborée et échangée sur l’information diffusée et contrôlée.

Organisation pyramidale Organisation en réseau

Contrainte Contrat

Obéissance Responsabilité

Ordre Désordre

Limitation du hasard Risque partagé

Discipline Projet

Information diffusée et contrôlée Information co-élaborée

48 Pierre Veltz, « Superviser, entretenir, optimiser... Le travail-

communication », L’Etat des Sciences, Ed. La Découverte, 1991, p 39-40.

Dans l’ère économique de la production de masse, la rationalisation de la production permettait de réaliser des économies d’échelle, sources de profit. L’organisation pyramidale reposait sur un système d’information également pyramidal conçu pour contrôler la mise en œuvre de la planification. Redessinée sous forme de réseau, l’organisation s’insère dans un tissu de relations entre acteurs et environnement qu’elle transforme tout en étant elle-même transformée. Le système d’information s’organise lui aussi selon une logique réticulaire qui stocke, approvisionne et transmet. Et Joël de Rosnay de conclure à un changement de paradigme, à un saut culturel qui consiste au passage d’une pensée cartésienne, analytique, linéaire, séquentielle et proportionnelle vers une pensée systémique qui se réfère à un non-linéaire multidimensionnel.49

Dans une vingtaine d’années, explique Peter Drucker dans la Harvard Business Review, les grandes entreprises ressembleront davantage à un hôpital ou à un orchestre symphonique qu’à une entreprise industrielle classique50.

Avec des niveaux hiérarchiques réduits pour la plupart de moitié et un travail en petites unités de spécialistes ad

hoc, ces grandes entreprises, véritables organisations du

savoir auront besoin, à l’image des hôpitaux et des orchestres symphoniques :

49 cf. leçon 1, chap. IX.

50 Peter Drucker, « L’émergence de la nouvelle organisation » in Le

Knowledge Management, Harvard Business Review, Editions

ü d’une partition, ensemble d’objectifs simples et clairs traduisibles en autant de mesures possibles ;

ü d’une structure où chacun prendra la responsabilité de l’information (Qui dépend de moi pour quelle

information ? De qui est-ce que je dépends moi-même à cet égard ?).

Réaliste, Peter Drucker sait bien que ces organisations du savoir posent également leurs propres problèmes :

comment motiver et récompenser les spécialistes ; créer une vision qui puisse fédérer un ensemble de spécialistes différents ; concevoir une structure de management qui fonctionne à l’aide d’équipes ad hoc ; et s’assurer de la sélection, de l’initiation et de la mise en œuvre des futurs dirigeants.

L’un des enjeux majeurs du management est donc aujourd’hui le management du savoir, plus connu sous le terme anglo-saxon de Knowledge Management. Eclatées en unités autonomes (business units), devant se mouvoir dans des environnements complexes, condamnées à innover, constatant en général un accroissement du turn-over51, les entreprises cherchent à connaître, gérer

et développer les compétences et les connaissances qu’elles possèdent en leur sein, ont perdu ou doivent acquérir52. N’est-ce pas là le passage d’une organisation à

51 Passage d’une entreprise à l’autre, sorte de mercenariat qui était

moins fort quand les entreprises avaient un mode de management paternaliste

52 Voir en particulier l’ouvrage de Jean-Yves Prax : Le guide du

l’autre ? La façon dont les sociétés communiquent et gèrent

leur capital intellectuel est devenue aujourd’hui une source essentielle d’avantage concurrentiel 53.

C’est bien parce qu’il était conscient de ce passage d’une organisation à l’autre que le groupe de travail réuni autour d’Henri Martre54 en 1993 au sein du

Commissariat Général du Plan a souhaité que naisse et se développe en France la notion d’intelligence économique55. Le recueil, le traitement et la diffusion de l’information utile déterminent désormais la compétitivité des entreprises, comme la puissance des Etats, note le

rapport. Aussi, certains pays – le Japon, l’Allemagne, la Suède, par exemple – ont-ils construit de véritables démarches d’intelligence économique, moteur de leurs succès commerciaux et de leur stratégie pour l’emploi. Mais que se cache t-il derrière ce terme d’intelligence économique ?

La notion d’intelligence économique implique le dépassement des actions partielles désignées par les vocables de documentation, de veille (scientifique et technologique, concurrentielle, financière, juridique et réglementaire…), de protection du patrimoine concurrentiel, d’influence (stratégie d’influence des Etats-nations, rôle

53 Pour tout savoir sur le KM, voir le portail réalisé par Jean-Marc

Blancherie : www.i-km.com

54 Président de l’Afnor, Président d’honneur d’Aérospatiale.

55 Commissariat Général du Plan, Intelligence économique et stratégie

des entreprises, Rapport du groupe de travail présidé par Henri

des cabinets de consultants étrangers, opérations d’information et de désinformation…). Ce dépassement résulte de l’intention stratégique et tactique, qui doit présider au pilotage des actions partielles et au succès des actions concernées, ainsi que de l’interaction entre tous les niveaux de l’activité : depuis la base (internes à l’entreprise) en passant par des niveaux intermédiaires (interprofessionnels locaux) jusqu’aux niveaux nationaux (stratégies concertées entre les différents centres de décision), transnationaux (groupes multinationaux) ou internationaux (stratégies d’influence des Etats-nations)56.

Réseau et stratégie sont omniprésents dans cette (longue) définition. La veille, la protection, l’influence ou le management de la connaissance sont à mettre en œuvre dans le cadre de stratégies-réseaux : constitution et utilisation de réseaux d’experts, de réseaux de sécurité, de réseaux d’influence ou de connaissance. La stratégie- réseau est au cœur de toutes ces notions : elle les relie sans les unifier, les réunit sans les englober. Elles sont toutes parties prenantes du mouvement vers l’intelligence collective et de la révolution des réseaux.

Dans la société en réseau, la ré-organisation implique une modification de l’espace-temps vécu. L’effet de ce que Pierre Fayard appelle le cocktail numérique57 consacre la

56 Ibid, p 17.

57 Le cocktail numérique mélange notamment les ingrédients

suivants : puissance de calcul, capacités de mémoires, standard unique pour les données sons et les images, télécommunications, connectivité des réseaux, vitesse et ubiquité.

suprématie de la dimension temporelle et redimensionne l’espace. Le processus de mondialisation est à l’œuvre selon une cadence sans précédent dans l’histoire et la diminution de la prégnance de l’espace favorise les processus de dé-territorialisation mais aussi de re- territorialisation. L’expansion du transport physique et l’immédiateté de la communication immatérielle accélèrent les relations d’interdépendance. Favorisée par la technologie, la mondialisation appelle effectivement en retour un développement considérable des réseaux télématiques et en particulier de la capacité de traitement des informations qu’ils véhiculent. Les systèmes sont désormais capables de traiter l’information en temps réel. Avec l’intelligence artificielle, il y a bien passage d’un monde à un autre.

Les réseaux se captent et se capturent les uns les autres selon un processus que Philippe Forget et Gilles Polycarpe nomment la loi des densités : toute zone de

densité de mouvement donnée capte les zones de densité plus faibles si elles parviennent à son contact 58 (…) En définitive, seule la notion de nœud devient pertinente. Tout réseau apparaît ainsi comme une constellation de nœuds productifs et distributifs (un ordinateur, un opérateur financier, une multinationale, par exemple) qui maillent des intervalles parcourus par des mobiles (biens matériels et immatériels, travailleurs et consommateurs, par exemple) représentant de la valeur, et qui y produisent une densité

Pierre Fayard, La maîtrise de l’interaction (l’information et la

communication dans la stratégie), Ed. 00h00.com, 2000.

de mouvement en croissance constante, sous peine d’être absorbés par un réseau dont la densité de mouvement sera plus élevée59.

Le passage d’une organisation à l’autre est intimement liée au passage d’un pouvoir coercitif à un pouvoir normatif.

Dans le document La stratégie-réseau. Essai de stratégie (Page 37-43)