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3 Partie : L’appui aux exploitations

3.2 Le conseil à l’exploitation familiale pour renforcer les capacités des producteurs

3.2.3 Le renouvellement des méthodes et de la relation de conseil

Les principes du conseil à l’exploitation

Si on reprend l’affirmation d’Hatchuel et Weil (1992), qui considèrent que les outils n’ont de sens que par rapport à des démarches ou par rapport à une philosophie gestionnaire, il importe de comprendre le contexte dans lequel s’inscrit le conseil. Dans les années 60-70, la vulgarisation s’inscrivait dans un modèle diffusionniste des connaissances et des techniques, plaçant le conseiller en situation d’interface entre le monde de la recherche et celui des producteurs pour favoriser la transmission d’informations et le transfert de technologies. A partir de la fin des années 70, ce modèle est contesté car il ne permet pas de répondre aux besoins des producteurs, même si son application perdure encore dans de nombreuses situations.

Les expériences de conseil aux exploitations développées en Afrique de l’Ouest à partir des années 90 mettent l’accent sur de nouveaux principes. Elles s’efforcent de renverser la perspective, en vigueur depuis de nombreuses années, qui faisait du technicien, adossé aux systèmes de recherche, le vecteur central du transfert de technologies vers les agriculteurs. Le conseil à l’exploitation renforce la capacité du producteur à maîtriser le fonctionnement de son exploitation, à améliorer ses pratiques et à prendre de meilleures décisions. En ce sens, ces démarches visent à aller au-delà de la logique de la vulgarisation classique en dotant les producteurs de capacités à définir leurs besoins, à préciser leurs objectifs tant au niveau de leur exploitation que de leur famille, à maîtriser leurs actions et, plus largement, les

processus de gestion concernant leurs unités familiales de production. Les principes qui caractérisent ces approches ont été définis de manière collective avec des représentants paysans, des techniciens et la recherche, durant l’atelier sur le conseil à l’exploitation familiale de Bohicon (Dugué et Faure, 2001). Les principes fondateurs du conseil aux exploitations familiales (Cef) sont les suivants :

1. Le Cef est une démarche globale qui renforce les capacités des paysans et de leur famille à suivre leurs activités, analyser leur situation, prévoir et faire des choix, évaluer leurs résultats. Il prend en compte les aspects techniques, économiques, sociaux et, si possible, environnementaux de leurs activités.

2. Les familles rurales sont placées au centre de la fonction de conseil : le Cef a l’ambition d’englober leurs différentes activités (production agricole, transformation, commercialisation, autres activités génératrices de revenus), l’organisation du travail et la gestion des flux monétaires afin de faciliter l’atteinte des objectifs familiaux.

3. Le Cef repose sur des méthodes d’apprentissage (incluant formation, échanges d’expériences…) et d’aide à la décision (comme le suivi technico-économique des productions, le calcul de la marge brute, la gestion de la trésorerie, etc.), qui valorisent ainsi la collecte de données mais nécessitent une maîtrise minimale du calcul et de l’écrit.

4. Les expériences du Cef valorisent les savoirs paysans et s’insèrent dans des réalités paysannes : les producteurs engagés dans ces démarches font partie de réseaux d’échanges de techniques et de savoirs locaux, ils sont souvent membres, voire responsables, d’organisations paysannes.

5. Les expériences du Cef visent à construire des dispositifs d’appui aux producteurs avec une participation forte des organisations paysannes (OP) et une implication possible de nouveaux acteurs que sont les organisations non gouvernementales (ONG) ou les bureaux d’études. Elles cherchent à renforcer l’autonomie des producteurs et de leurs organisations par rapport aux autres acteurs.

Ces principes renvoient à (i) une posture qui prend en compte le système exploitation-famille conformément à l’approche globale de l’exploitation, (ii) l’importance de la co-construction du conseil entre les producteurs et le conseiller pour formuler les questions et identifier des solutions, en valorisant les savoirs locaux et renforçant les capacités des acteurs, et (iii) la gouvernance25 des dispositifs de conseil, avec une participation des organisations de producteurs dans cette gouvernance. Ce qui nous intéresse dans ce chapitre, c’est bien ce point sur la méthode qui favorise un renouvellement de la relation de conseil dans un contexte où les solutions standards pour des problèmes complexes dans un environnement incertain n’existent pas et où il est nécessaire de créer de nouvelles connaissances pour les résoudre (Lémery 2006). Les nouvelles méthodes impliquent des apprentissages tant des producteurs que des conseillers dans la mesure où elles modifient les savoirs à mettre en œuvre et transforment les relations entre acteurs.

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La gouvernance peut-être définie comme l’ensemble des règles et pratiques qui permettent aux acteurs impliqués dans un dispositif de prendre des décisions concernant le dispositif

Encadré 12 : Le rapport de prescription

Dans le processus d’aide à la décision le conseiller ou l’expert tient une position particulière et il importe de caractériser cette relation de conseil entre le conseiller et le conseillé. Hatchuel (2001), dans le domaine des sciences de gestion, parle de rapport de prescription entre deux individus en faisant référence à l’interdépendance des savoirs (le contenu de la prescription) et des relations (la nature du rapport entre les individus)26 et montre qu’il existe un continuum des rapports de prescription : la responsabilité opérationnelle, la responsabilité fonctionnelle, les maîtrises d’ouvrage et d’œuvre, l’animation, l’assistance, la facilitation, l’accompagnement, la consultation, la préconisation, etc. Par ailleurs, il indique (1995) que la relation de conseil (une des formes du rapport de prescription) fait référence à trois types logiques. La prescription de fait permet d’attester ou de certifier un produit, une entité ou une activité. La prescription sur un processus technique permet d’éclairer le choix du demandeur, en lui apportant des savoirs inconnus, en ouvrant le champ du possible et en réduisant les incertitudes. La prescription de jugement permet d’influer sur les critères qui permettent de justifier les choix et pas seulement sur les aspects techniques.

Dans le cadre qui nous intéresse, seules les deux dernières logiques concernent le conseil à l’exploitation. En situation d’avenir incertain mais aussi de faible disponibilité en informations techniques et économiques, le rôle du conseiller en agriculture n’est pas tant de transférer des savoirs et d’identifier des solutions que d’accompagner le producteur dans la construction de réponse à un problème.

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3.2.3.1 La méthode de conseil

Cerf et al. (2000) définissent une méthode de conseil comme un ensemble d’éléments méthodologiques devant aider le conseiller à mener avec le producteur un processus d’analyse et de transformation d’une situation, c'est-à-dire un processus de résolution de problème. Selon les auteurs une méthode apporte au conseiller (i) des éléments conceptuels et des instruments pour construire une représentation du problème pris au sens large (question à résoudre, orientations à définir, projet à élaborer,…) puis à concevoir des solutions, (ii) des éléments qui vont l’aider à associer le producteur au processus et donc à piloter la relation de conseil. Parmi les éléments conceptuels, il importe de distinguer ceux qui concernent le domaine lié au problème à résoudre et ceux qui organisent l’activité du conseiller lors de la mise en œuvre du conseil.

La dimension qui s’attache à la résolution du problème et celle relative à la conduite de la relation de conseil sont dépendantes car la co-production du conseil nécessite une participation active du producteur à l’élaboration du conseil à toutes les phases (formulation du problème, identification de solutions, mise en œuvre et suivi des actions). La méthode favorise un apprentissage croisé, des producteurs et des conseillers, qui remettent en question leurs savoirs pour construire de nouvelles connaissances tout au long du processus.

Un travail d’appui aux expériences de conseil aux exploitations en Afrique de l’Ouest a permis de caractériser les éléments de méthode, mobilisés pour mettre en œuvre une nouvelle relation de conseil. Cette dernière s’appuie sur des outils mis à la disposition des conseillers. Tab. 16 : Outils pour les conseillers

Représenter un problème et construire une solution

Piloter la relation de conseil Connaître son milieu Conseiller les

producteurs Maîtriser les techniques d’animation et de formation Programmer et structurer son travail

Zonage

Typologie d’expl. Références locales sur résultats d’expl. Système

d’information sur marchés

Outils de gestion utilisés par les

producteurs: Vigilance Diagnostic Aide à la décision Conduite de séances en groupe Conseil individuel Visite au champ Expérimentation paysanne Echanges entre producteurs Guide du conseiller (prescription27) Programmation des activités avec les producteurs

Evaluation

participative des activités

Si la méthode de conseil modifie la relation de conseil pour donner un poids plus fort à la co-construction du service, tant le tableau précédent que l’encadré sur les principes fondateurs du

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La prescription relative à la méthode de conseil est la façon dont les concepteurs de la méthode la décrit et définit son usage.

conseil à l’exploitation familiale, mettent en exergue la dimension importante de la formation dans la démarche, ce qui se justifie notamment par le faible accès des ruraux à l’éducation et à l’information mais aussi par l’importance donnée au renforcement des capacités des producteurs. D’autre part, la co-construction du conseil nécessite des conseillers expérimentés et formés dans ce sens, mais aussi des producteurs soucieux de s’engager dans une telle démarche, ce qui peut exiger de leur part un effort pour sortir d’une relation plus classique de dominance28. L’analyse du conseil en situation dans les différents pays montre qu’il existe plusieurs types de conseil en fonction des demandes des producteurs mais aussi de l’histoire institutionnelle des dispositifs de conseil, mettant en évidence plusieurs manières d’envisager la co-construction :

• Approche par la formation : l’accent est mis sur la formation des producteurs qui en tirent des enseignements pour leur exploitation

• Approche modulaire : le diagnostic de l’exploitation est co-construit puis en fonction des problèmes identifiés, le conseiller met en œuvre des outils standardisés par type de problème pour résoudre le problème,

• Approche par la construction : le diagnostic et les solutions sont toujours co-construits.

Cette typologie n’est pas sans rappeler celle proposée par Minsberg (1990) quand il compare, dans le domaine du conseil, les organisations qu’il qualifie de professionnelles mettant en œuvre des procédures standardisées sur la base d’un diagnostic de la situation de leurs clients, et les organisations qu’il qualifie d’innovantes mettant en œuvre des processus nouveaux pour répondre à des besoins spécifiques de leurs clients.

Dans le contexte africain l’accent est généralement mis sur le conseil en groupe (Faure et al., 2004), comme ce fut d’ailleurs le cas dans les années 60-70 en France avant que le conseil individuel ne prenne progressivement le pas. Le conseil en groupe se justifie par (i) la création d’une dynamique de groupe favorisant les échanges entre producteurs, (ii) la réduction du coût du conseil, notamment dans sa dimension de formation, (iii) le développement d’une relation de conseil qui met l’accent sur l’animation et moins sur l’expertise. La constitution des groupes pose la question de leur plus ou moins grand croisement avec les réseaux locaux existants, comme les identifie Darré (1996), pour assurer un réel accompagnement des dynamiques d’innovation.

Le conseil individuel se développe cependant progressivement dans certains pays pour (i) aborder des problèmes spécifiques à l’exploitation, (ii) respecter la confidentialité de certaines données, (iii) permettre au conseiller de mieux s’ancrer dans les réalités paysannes à partir de la connaissance intime de quelques cas particuliers. Sa limite est bien sûr le coût du conseil qui interdit toute généralisation.

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Par exemple, dans le cas d’une expérience au Nord-Cameroun la méthode de conseil prévoie de consacrer plusieurs mois pour établir des relations de confiance et pour mettre les producteurs en position d’exprimer des

3.2.3.2 Le conseiller

Le renouvellement des méthodes de conseil pose les questions du profil et de la formation des conseillers qui doivent acquérir de nouvelles compétences29. Quand ceux-ci ont été formés dans un autre cadre d’intervention, ils peuvent résister au changement car ils perdent leurs fonctions techniques et doivent construire une nouvelle légitimité, comme le signale Lémery (2006) dans le contexte français, ceci pouvant très facilement s’appliquer aux situations africaines. Cependant, la définition du profil du conseiller peut varier en fonction du point de vue des acteurs comme l’ont montré les travaux de l’atelier de Bohicon en 2001 (Faure et al., 2004). Les producteurs privilégient des conseillers proches du milieu rural pour faciliter le dialogue producteur/conseiller et pour mieux maîtriser les orientations du conseil (thématique, programmation des activités, etc.). Les opérateurs de développement privilégient les compétences acquises par les conseillers lors de cursus académiques, vues comme une garantie dans la délivrance d’un service de qualité. Ce débat pose clairement la question de la participation des producteurs, ou de leurs organisations, dans la sélection des conseillers, ou pour le moins dans la définition des profils, pour que ces derniers aient les capacités pour répondre aux attentes des producteurs.

Tab. 17 : Profil et fonctions du conseiller : les points de vue des producteurs et des opérateurs de développement.

Le point de vue des producteurs Le point de vue des opérateurs de développement

Les fonctions

Sensibilisation au Cef. Formation des producteurs. Animation de groupe.

Analyse des données et restitution. Conseil individuel Accompagnement d’initiatives issues du groupe. Idem producteurs. + fonction de facilitateur. Les qualités et le profil requis

Personne connue des paysans, ayant des attaches et des pratiques paysannes.

Capable de travailler sur le terrain. Niveau d'études supérieur à la quatrième mais pas au-delà du niveau Bac.

Aptitude à l'animation rurale. Capacité d’écoute et d'analyse. Capacité à travailler en équipe. BEPC + 3 ans d'études agricoles ou Bac + formation agricole complémentaire. Source : atelier de Bohicon (2001), repris dans Faure et al. (2004)

Le développement des compétences des conseillers repose à la fois sur des processus individuels (prise de conscience, travail réflexif sur sa propre activité) et sur des processus organisationnels qui contrôlent la succession des rationalisations, c’est-à-dire les processus par lesquels les connaissances et les relations sont remaniées (Hatchuel 2001). Dans le domaine du conseil, ceci implique, au-delà de la formation de base des conseillers pour

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Une compétence peut être définie comme des savoirs mis à l’épreuve en milieu professionnel, c’est-à-dire des savoir-faire.

maîtriser les méthodes et outils du conseil, (i) une réflexion des conseillers sur leurs pratiques et les évolutions possibles, (ii) une capacité institutionnelle pour apprendre à partir des expériences et adapter les méthodes, ce qui ne va pas toujours de soi. Cette double exigence renvoie aux concepts énoncés par Argyris (1995) quand il évoque l’apprentissage organisationnel (les organisations apprennent également) et l’apprentissage en double boucle (changement fondé sur une remise en question des valeurs qui dirigent les stratégies d’action). Dans le cas des expériences menées en Afrique de l’Ouest, des programmes de formation des conseillers ont été élaborées dans chaque pays, que nous ne présenterons pas dans ce document. L’atelier de Bohicon de 2001 a été l’occasion de mener une réflexion collective avec certains conseillers, représentants d’organisations, et gestionnaires de dispositif sur les méthodes de conseil et sur le métier de conseiller pour en tirer des enseignements et identifier des pistes d’amélioration, contribuant ainsi à une activité réflexive.

3.2.4 Perspectives de recherche en matière de conseil à l’exploitation