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3 Partie : L’appui aux exploitations

3.2 Le conseil à l’exploitation familiale pour renforcer les capacités des producteurs

3.2.1 Aide à la décision aux exploitations familiales

3.2.1.1 Aide à la décision individuelle

L’aide à la décision selon Roy (1992) est « l’activité de celui qui, par des voies dites scientifiques, aide à obtenir des éléments de réponse à des questions que se posent des acteurs impliqués dans un processus de décisions, en vue de favoriser un comportement des acteurs de nature à accroître la cohérence entre l’évolution du processus d’une part, les objectifs et le système de valeur au service desquels ces acteurs se trouvent placés d’autre part ». Dans ce domaine, l’auteur distingue trois positions fondamentalement différentes. La voie du réalisme considère qu’il existe une seule manière de bien poser un problème permettant d’identifier alors les bonnes solutions. La voie axiomatique s’appuie sur des concepts, des principes et des règles considérées comme vraies pour en déduire des

procédures et des normes servant de base à la prescription. La voie constructiviste construit des hypothèses et un problème pour en déduire des recommandations qui ne sont pas considérées comme des vérités.

Dans des situations complexes, comme c’est souvent le cas en agriculture, l’aide à la décision n’apporte pas de réponse directe, la bonne solution au problème posé par le Une thèse en sociologie, sous la direction du professeur M.. Haubert (Paris I), et pour laquelle j’ai contribué à l’encadrement, a permis d’approfondir le thème de la participation et les organisations de producteurs. Une autre thèse en économie avec l’ENSAM a traité des relations des organisations de producteurs avec les politiques publiques.

s acteurs, mais permet d’identifier les bonnes questions, de construire le problème, d’élaborer des recommandations. Elle accompagne et facilite la construction de la décision, et s’inscrit donc dans des démarches de conseil. Elle est finalement un complément à la formation qui permet d’acquérir des savoirs et des compétences, pour améliorer les processus de gestion20. Dans le conseil de nature tactique, notamment dans le cadre de la conduite d’ateliers, l’aide à la décision nécessite un travail préalable de formalisation des modèles d’action mobilisés par les producteurs pour que le conseil soit adapté à leurs modes de raisonnement. Il implique une écoute des producteurs pour comprendre les règles utilisées, caractériser les indicateurs qui font sens pour les producteurs, et donc construire le modèle d’actions pour ensuite le confronter avec d’autres connaissances afin de faire évoluer les représentations et enrichir les référentiels (Papy 1994). Dans ce contexte, les savoirs scientifiques et techniques mobilisés par le conseiller sont des éléments importants non pour les imposer comme des faits « vrais » mais pour les confronter aux autres savoirs.

Dans le conseil à l’interface du tactique et du stratégique (Hémidy et al. 1993), l’aide à la décision doit permettre d’améliorer la conduite des ateliers et des chantiers, et donc des modules qui sont gérés de manière autonome, et d’améliorer les coordinations entre ces modules conformément à la stratégie de l’exploitation. Dans ce contexte, d’après les auteurs, deux fonctions sont essentielles. Celle de diagnostic, qui sur la base d’indicateurs, confronte la situation de l’exploitation par rapport aux contraintes, et celle de vigilance qui informe le producteur sur l’environnement de l’exploitation sur la base de critères qui ont du sens par rapport à la stratégie de l’exploitation.

Dans le conseil de nature stratégique, l’aide à la décision n’est pas dans la prescription mais dans la construction d’un processus d’apprentissage croisé entre le conseiller et le producteur qui va permettre de reformuler un problème en questions manipulables, modifier les représentations des acteurs, et finalement faciliter la construction de la décision (Hemidy et Cerf 2000). Le conseil peut se concevoir comme une co-construction entre deux acteurs qui implique des échanges importants et la mobilisation de méthodes et d’outils reconstruits, au moins en partie, pour chaque opération de conseil (Cerf 2006). Le processus d’apprentissage doit s’accompagner d’un renforcement des capacités des acteurs (Maxime et Cerf 2002) en permettant la création et transformation de connaissances dans une perspective de résolution de problèmes. Cette approche s’oppose à une vision du conseil stratégique considérée comme trop réductrice (Minsberg 1990), vue uniquement comme un processus de planification où le producteur (alors parfois représenté comme un manager), définit des objectifs à atteindre, en tenant compte des contraintes et opportunités de l’environnement, et élabore un programme

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en fonction des forces et faiblesses de l’exploitation, qui se concrétise ensuite par la mise en œuvre d’actions.

La clé pour un conseil stratégique, dans un contexte de fortes contraintes, est d’appuyer le producteur à des moments décisifs, notamment ceux permettant le passage d’un stade à l’autre de la trajectoire de l’exploitation : opportunité ponctuelle pouvant être liée à une bonne récolte, opportunité conjoncturelle liée à l’émergence d’un nouveau marché, contrainte devenue insupportable justifiant un effort important de la part de la famille, pression sociale poussant au changement, etc.

Encadré 9 : Les groupes professionnels locaux

Pour travailler sur l’innovation et le conseil avec les producteurs il est nécessaire de mieux comprendre le tissu social dans lequel se forgent les représentations et donc s’élabore les décisions. Ce tissu social est composé d’acteurs individuels et collectifs en relation entre eux. Le concept de capital social permet de caractériser les réseaux entre acteurs, et en particulier la forme, la densité, et l’intensité des relations. Cette théorie considère que le potentiel de développement d’un individu ou d’un groupe est lié à son capital social (Coleman 1988). Darré (1996) montre que des réseaux de dialogue et de travail d’agriculteurs sont à la source de l’élaboration des savoirs. Ils se forment dans les communautés villageoises selon plusieurs principes parmi lesquels peuvent figurer la parenté, la proximité géographique, l’homogénéité des caractéristiques des exploitations ou des exploitants. Ces réseaux sont constitués de grappes de personnes ou « groupe professionnel local » ayant des échanges réguliers sur des questions liées à leurs activités agricoles et peuvent s’identifier sur la base d’un questionnement simple. La méthode passe par un inventaire :

• inventaire des lieux, des moments et des acteurs de la communication (qui discute des problèmes techniques avec qui, de quoi et où ?),

• inventaire des réseaux concrets d'entraide (pour faire quoi, où, comment ?),

• inventaire des formes d'acquisition de l'information (comment avez-vous connu, appris et maîtrisé une innovation technique ?).

Cette information est hiérarchisée puis représentée en diagrammes, réseaux, cartes et tableaux.

Une même personne peut appartenir à plusieurs groupes professionnels locaux, ce qui permet de les interconnecter dans un maillage plus ou moins dense suivant les situations observées. Comme tout groupe social, ce groupe produit des normes qui encadrent les façons de voir les choses et d’agir. Elles correspondent donc à la gamme du possible pour ses membres.

L’introduction d’une nouvelle norme est mise en débat au sein du groupe qui à travers un dialogue plus ou moins dense, la transforme, l’accepte, ou la rejette. Le groupe produit donc des connaissances pour savoir quoi faire et comment le faire. Mais tout le monde n’a pas la même position dans le groupe, certains disposants de plus de crédibilité que d’autres. Ainsi tout argument est évalué par les membres du groupe selon deux dimensions : sa valeur propre correspondant à son intérêt pour l’action selon les normes en vigueur dans le groupe et sa valeur sociale correspondant à la place occupée par celui qui énonce l’argument. Sous peine d’exclusion et donc avec un risque de perdre une partie de son capital social, les membres du groupe se soumettent à la norme. La capacité de dialogue au sein d’un groupe est fonction de la structure de ce groupe mais aussi de la densité des échanges avec d’autres groupes.

Dans ce contexte, appuyer un processus d’innovation pour répondre à des demandes des producteurs revient à améliorer la capacité de dialogue au sein des groupes professionnels locaux, pour produire des connaissances utiles pour l’action et donc à susciter les débats pour faire émerger des préoccupations et des désirs des membres du groupe, des problèmes traitables, puis pour identifier des solutions acceptables.

3.2.1.2 Aide à la décision et réseaux sociaux

La décision au sein de l’exploitation n’est que rarement le fait d’un seul individu. La partie 2 de la HDR a mis l’accent sur le système « exploitation-famille » pour expliquer comment les autres membres de la famille y participent amplement. Les travaux menés avec L. Foy (2000), en collaboration avec l’INRA (B. Lémery), sur les réseaux locaux dans la zone ouest du Burkina Faso, montrent que la décision des producteurs est également fortement liée à leur appartenance à des groupes sociaux qui échangent en leur sein, notamment sur les techniques et les processus de gestion. Ces réseaux informels, constituant des groupes de dialogue à l’échelle du village, ont une configuration qui dépend de l’origine ethnique de la communauté (allochtone ou autochtone), de la structure familiale (élargie ou restreinte), de la persistance de la relation hiérarchique aîné/cadet, ou de la constitution de groupes de travail au sein d’une même classe d’âge. Les pratiques en vigueur au sein de l’exploitation sont certes en partie transmises par l’observation de l’aîné au cadet, mais les nouveaux savoirs et les nouvelles techniques ne se sont évaluées, reconstruites puis éventuellement mises en œuvre qu’à travers une mise en dialogue au sein de ces groupes qui peuvent être restreints à quelques individus, se centrer sur la famille élargie ou s’étendre à des producteurs partageant les mêmes préoccupations. En ce sens les groupements villageois (GV) ou les groupements de producteurs de coton (GPC), mis en place par les structures de développement, deviennent progressivement des lieux de débat sur les questions liées à la production cotonnière et céréalière qui peuvent recouper les groupes de dialogue existants. L’étude montre qu’il n’y a pas forcément adéquation entre les producteurs jugés par leur pairs comme ayant des compétences techniques, notamment en matière de culture cotonnière, et les producteurs étant des nœuds de réseaux, c’est à dire identifiés comme ayant, par rapport à la moyenne des individus, des échanges plus fréquents avec un plus grand nombre de producteurs. La connaissance de ces réseaux est donc une nécessité pour développer des activités de conseil à l’exploitation afin de développer des interactions positives entre ces groupes de dialogue, avec leurs mécanismes de mise en débat des savoirs et des techniques, et les activités de conseil.

Encadré 10 : Le rôle et les caractéristiques des outils de gestion

Pour l’aide à la décision les apports des sciences de la gestion sont déterminants dans la mesure où elles visent une analyse et conception des systèmes de pilotage de l’action organisée (Hatchuel 2001) en plaçant les processus de rationalisation, d’apprentissage et l’instrumentation de ces processus au cœur de leur projet. Dans ce contexte, les outils de gestion jouent un rôle particulier et sont une formalisation de l’action organisée (Moisdon 1997). Selon l’auteur « ils constituent un ensemble de raisonnements et de références reliant de façon formelle un certain nombre de variables issues de l’organisation (production, prix, quantité, qualité, calendrier, etc.) et destinées à instruire les divers actes classiques de la gestion : prévoir, décider, contrôler ». L’outil de gestion fait référence (i) à un support matériel, (ii) aux processus de recueil de l’information qui alimentent l’outil, (iii) aux règles d’interprétation des résultats des mesures et d’agrégation des informations. Pour Hatchuel et Weil (1992) ils s’appuient sur une vision simplifiée des relations entre acteurs et renvoient à une philosophie gestionnaire qui donne à l’outil sa signification. David (1998) propose une classification des outils de gestion selon deux axes, les relations entre acteurs d’une organisation d’une part, et les connaissances élaborées par cette organisation d’autre part. Il suggère également de prendre en compte le degré de précision et de formalisation de ces outils.

Un outil de gestion vit toujours plusieurs existences, car il révèle et représente le fonctionnement de l’exploitation, il crée et véhicule des connaissances, il oriente et norme les comportements. Les outils peuvent être plus ou moins sophistiqués, allant de ratios mettant en relation un petit nombre de variables à des modélisations mathématiques, en passant par des tableaux de bord plus ou moins complexes. Les outils de gestion constituent des synthèses, comportant une part irréductible de convention, et toujours susceptibles de paraître imparfaits à un esprit rigoureux. Ils sont à la fois locaux et synthétiques. Selon Moisdon (1997) ils disposent de certaines qualités comme la flexibilité pour s’adapter aux changements, la simplicité pour être facile d’usage, la fragilité pour disparaître quand le problème est résolu, l’interactivité pour faciliter les rétroactions entre action et choix, la discutabilité pour favoriser les échanges entre acteurs, la décentralisation pour indiquer qu’ils s’emploient à différents niveaux de décision.