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Quelques leçons tirées des démarches de recherche-action avec les

4 Partie : L’environnement de l’exploitation

4.2 Les dispositifs de conseil à l’exploitation familiale

4.3.3 Quelques leçons tirées des démarches de recherche-action avec les

A partir des expériences présentées, il est possible de tirer des leçons en matière de dispositifs de recherche-action en partenariat avec les organisations de producteurs.

La prise en compte du temps

A partir des résultats obtenus, il apparaît nécessaire de conduire un approfondissement méthodologique pour la prise en compte du temps dans les démarches de recherche-action en partenariat avec les organisations de producteurs. La première étape de construction de la méthodologie pour une proposition de l’agriculture familiale, puis la forte rupture qui a été proposée montre toute la difficulté de s’entendre entre acteurs pour construire des objectifs partagés autour d’un langage commun. La durée est importante pour permettre aux crises d’éclater, aux stratégies des acteurs de se dévoiler, et aux solutions d’émerger montrant que le processus est une série de hauts et de bas que les acteurs doivent apprendre à gérer. En comparaison d’une présentation classique de la recherche-action marquée par des phases (diagnostic, programmation, réalisation, puis évaluation), s’inscrivant éventuellement dans des cycles successifs (Liu 1992, Lavoie et al. 2003), la trajectoire de la recherche-action est souvent non-linéaire et largement imprévisible suite aux nombreuses interactions entre les participants, à leur positionnement différent, à leur rythme propre d’apprentissage, etc. Finalement ce qui importe ce n’est pas tant de chercher à éviter ces ruptures que de prévoir les mécanismes qui permettent de les gérer et de construire les apprentissages.

La création de connaissances et le renforcement des capacités s’inscrivent donc dans un processus long. C’est la réflexion dans la durée à travers un processus de rationalisation qui permet de modifier sa représentation de son environnement (Hemidy et Cerf 2000). Cela pose la question de la capacité de conduire une recherche-action dans des pas de temps courts, souvent imposés par les financeurs ou les commanditaires. Cela pose également la question de l’inscription de la recherche-action dans « l’avant » qui annonce le questionnement et « l’après » qui inscrit les changements dans la durée.

La construction des dispositifs

Un autre point porte sur la réflexion sur la construction d’un dispositif qui mélange flexibilité pour s’adapter aux changements et solidité pour dépasser les crises. Le dispositif lui-même n’est pas donné au départ mais est construit avec les acteurs et peut évoluer en fonction des circonstances. Il est à la fois un moyen pour conduire la recherche-action et un enjeu de pouvoir entre acteurs qui ne veulent pas perdre leurs prérogatives. Ce n’est donc pas le dispositif en soi qui est important mais plutôt les règles de sa construction et de sa transformation. Albaladejo et Casabianca Eds (1997) parlent de pilotage d’un processus émergeant.

Dans le cas de la production d’ananas et de plantes ornementales, le pilotage a été assuré par une instance préexistante, le bureau de l’organisation, avec une participation de chercheurs. La définition d’objectifs réalistes et l’absence de crise majeure ont permis de mener à terme le processus malgré le temps court de la recherche-action en partenariat. Dans le cas de la proposition pour l’agriculture familiale, l’absence de comité de pilotage, idée réfutée par les membres du groupe de coordination car pouvant le priver de son autonomie vis-à-vis des institutions publiques et des organisations faîtières, a certainement été un handicap au départ

pour surmonter les difficultés qui ont surgi et faciliter les arbitrages (Chia, 2004). Cependant, dans ce cas, le comité de pilotage est né après la phase de rupture et a donné lieu à la création d’une commission au sein d’une organisation reconnue, qui a permis, à terme, l’installation d’un pilotage du processus plus nettement sous la responsabilité des organisations.

La définition des engagements de chacun des acteurs tout au long de la RAP représente un problème clé, dans des situations de fortes asymétries. Si le respect de ces derniers sont importants pour atteindre les objectifs fixés, ils ne peuvent en réalité se construire, ou du moins s’affermir, qu’au cours du processus au fur et à mesure que le degré de compréhension du problème s’accroît et que la confiance entre les acteurs s’installe. Cette constatation milite pour fixer en début de processus des engagements réalistes, et surtout fonction de la capacité réelle de chacun des acteurs pour les remplir.

Le rôle des organisations de producteurs

Akrich et al. (1988) évoquent l’importance à accorder dans l’identification des porte-parole pour construire la démarche et atteindre les objectifs fixés. Cette question est particulièrement vive dans le cas des producteurs tant il est fréquent d’instrumenter la participation paysanne sachant que « le pouvoir d’exprimer une opinion explicite, de susciter une demande sociale est très inégalement réparti dans la société, le chercheur devant être attentif aux difficultés de ceux qui n’on pas accès à la formulation » (Bourdieu 1997). Généralement, ce sont des représentants des producteurs qui participent aux recherche-action et parlent alors au nom de leurs groupes mais en mobilisant leur propre expérience, jouant ainsi le rôle d’interface entre leurs communautés et l’extérieur évoqué par Mercoiret et Berthomé (1995). Cependant cette forme de représentation n’est pas toujours suffisante car les problèmes abordés peuvent demander une solide connaissance technique issue d’une longue pratique (cas du travail sur les plantes ornementales et de celui sur l’ananas), et/ou des compétences pour débattre dans une réunion et faciliter l’établissement d’un consensus entre producteurs, et avec les autres acteurs. Ces porte-paroles doivent disposer, acquérir ou construire une légitimité aux yeux de leurs pairs, non seulement dans leur propre organisation mais aussi au niveau de l’ensemble des producteurs impliqués dans la recherche-action. Ils vont à leur tour influer sur la construction du dispositif et du collectif.

Dans le cas de la production de plantes ornementales et dans celui de l’ananas, les représentants de producteurs avaient une longue expérience dans le mouvement paysan et une maîtrise des questions relatives à leur domaine professionnel ou à leur organisation. Très rapidement, ils ont pu engager un dialogue fructueux avec la recherche pour identifier les problèmes puis les questions traitables. Dans le cas de la proposition pour l’agriculture familiale, les critères fixés collectivement pour identifier les représentants de producteurs pouvant participer à la recherche-action, n’ont pas été suffisants pour créer dès le départ un collectif. C’est à la fois la position de quelques représentants qui s’est affermie au cours du temps, le document rédigé par le producteur sur l’agriculture familiale et le statut de son auteur, reconnu comme un leader historique, qui ont changé radicalement la dynamique de construction de la proposition. Finalement, la réussite de cette recherche-action est pour partie le fruit d’une rencontre fortuite entre un représentant désireux de défendre des positions alternatives, un technicien qui accepte de prendre des risques par rapport à sa propre hiérarchie, et un chercheur porteur d’un projet qui lui est propre, montrant que le processus est un construit qui chaque fois est à la fois original et en partie imprévisible.

Le renforcement des capacités des producteurs participants à la recherche-action est un point important pour s’assurer d’une réelle participation paysanne. Cet accompagnement spécifique est nécessaire pour réduire les asymétries entre acteurs par un accès à l’information et à la formation (à travers des ateliers, des échanges d’expériences, etc.), faciliter ainsi le dialogue et améliorer la confiance entre les acteurs. Mais cette participation paysanne ne peut-être effective que si l’information et la formation des représentants de producteurs sont complétées par des mécanismes de communication avec les membres des organisations impliquées pour conduire un débat interne, pour alimenter et valider le processus en cours (réunions en Assemblée Générale dans le cas des plantes ornementales et de l’ananas, réunions avec les organisations de base dans le cas de la proposition pour une agriculture familiale). En ce sens il est important d’affirmer que les « restitutions sont des instruments privilégiés de partage et d’apprentissage, aussi bien des chercheurs et des autres acteurs, qui ne constituent pas un évènement ponctuel en fin de recherche-action ou d’une boucle de recherche-action mais sont un processus qui s’insère dans la démarche de recherche-action » (Chia et al., 1991). Cependant ces restitutions doivent être complétées par d’autres outils de formation et de communication adaptés aux besoins des producteurs.

Les résultats obtenus

Afin de répondre aux attentes des producteurs, soucieux de trouver des réponses concrètes à leurs interrogations, la recherche-action en partenariat se doit de déboucher sur des résultats tangibles. Dans les deux premiers cas analysés, il s’agit de différents itinéraires techniques possibles dont la mise en œuvre dépend des objectifs, moyens et contraintes des producteurs. Dans le troisième, il s’agit d’une proposition d’agriculture familiale avec des mécanismes pour négocier sa mise en place. Dans les trois cas, le rôle du document écrit (cahier des charges ou proposition) revêt une forte importance. Il joue le rôle d’objet intermédiaire, au sens de Vinck (1999), objets matériels permettant de communiquer, de créer du sens, et d’organiser et stimuler les débats. Cependant il ne doit pas se confondre avec le but de la recherche-action en partenariat qui vise, entre autres, la résolution d’un problème. La recherche-action en partenariat peut déboucher sur des innovations socio-techniques qui font sens pour les producteurs. Elle peut également déboucher sur des innovations institutionnelles comme la création de nouvelles règles régissant les relations entre acteurs.

Certes les recherche-action en partenariat n’ont pas débouché sur la résolution du problème identifié à l’origine (mise en place d’une planification de la production de Maginata Verde, certification EurepGap des exploitations, nouveaux mécanismes de promotion de l’agriculture familiale) car trop ambitieux, soit par rapport au temps fixé, soit par rapport aux moyens disponibles, ou soit par rapport à sa complexité. Cependant la recherche-action a toujours permis de transformer le problème initial en questions traitables, de construire des objectifs communs compatibles avec les savoirs mobilisables et les contraintes opérationnelles. En ce sens, les connaissances produites lors de la recherche-action en partenariat sont des « savoirs actionnables », au sens de savoirs valables scientifiquement et pouvant être mis en œuvre dans la vie pratique (Argyris 1995). Ces apprentissages ont débouché sur la reconnaissance de nouveaux itinéraires techniques pour répondre aux exigences du marché ou sur une nouvelle organisation dans le cas de la proposition pour une agriculture familiale avec la création d’une instance paysanne (UNICRESE) chargée d’assurer les relations entre les organisations et de porter la proposition.

Les processus d’apprentissages engendrés ont été significatifs. Ces apprentissages permettent avant tout de modifier les représentations des acteurs sur leur propre situation. C’est de ce changement que peut s’initier un changement durable des pratiques. Ainsi, dans tous les cas,

les organisations de producteurs ont pu initier une réflexion collective sur la mise en place de nouveaux mécanismes de coordination pour résoudre le problème d’une production homogène de Maginata Verde, pour obtenir une certification EurepGap des exploitations, ou pour négocier des politiques agricoles et une structuration du monde agricole plus favorable à l’agriculture familiale.

5 Les perspectives de recherche sur la coordination