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5 Les perspectives de recherche sur la coordination autour de la production au sein des

5.1 Questions anciennes et questions nouvelles

L’environnement de l’exploitation agricole dans les pays du Sud évolue rapidement avec, d’une part, un retrait progressif de l’Etat dans l’appui à l’agriculture, et d’autre part, une influence de plus en plus déterminante des industries de transformation et des circuits de la grande distribution dans la définition des modalités de production et d’accès aux marchés pour les petits producteurs. Ces changements traduisent une compétition accrue sur des marchés mondialisés, mais aussi des préoccupations grandissantes des consommateurs pour les caractéristiques des produits, en prenant plus ou moins en compte leurs impacts sur l’environnement et le travail dans le monde agricole. Ils impliquent l’acquisition de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire, notamment pour les producteurs et leurs organisations. De nouveaux modes de coordination entre producteurs, ou entre producteurs et acteurs en aval et en amont de la production, se mettent ainsi en place pouvant être de nature différente (marché, hiérarchie, contrat, négociation entre acteurs, système de solidarité non-marchand) et s’appuyant dans certains cas sur des cahiers des charges plus ou moins contraignants, plus ou moins négociés entre les acteurs en présence. Dans ce contexte, l’accès aux services est déterminant pour que les acteurs puissent répondre aux exigences du marché, dans le cadre de plus en plus fréquent d’un partenariat public-privé. Ces coordinations sont construites par les acteurs en fonction des stratégies de chacun d’entre eux et des ressources qu’ils peuvent mobiliser. Elles sont influencées par les caractéristiques du produit, les

exigences des acteurs en aval de la filière, du type d’acteurs impliqués, du degré de structuration des producteurs, et du contexte institutionnel.

La question des formes et de la nature des coordinations pose des questions nouvelles à la recherche pour évaluer suivant le type de coordination leur efficacité, leur efficience, et les conséquences sur l’équité (producteurs et autres acteurs) et la durabilité (environnemental, social, économique).

Dans le cadre de cette problématique plusieurs questions méritent une attention particulière : - Quelles sont les formes de coordination qui émergent en fonction des situations

caractérisées par le type de produit concerné et des processus de sa transformation, les acteurs en présence, les exigences du marché, et le contexte institutionnel ?

- Quelles sont les conséquences de ces différentes formes de coordinations sur les performances des exploitations et des organisations de producteurs, en intégrant une compréhension des processus d’inclusion ou exclusion ?

- Comment les producteurs et leurs organisations peuvent utiliser leurs marges de manœuvre pour influer sur les mécanismes de coordination, renforcer leur insertion dans les filières, et améliorer leurs résultats ?

- Comment les services aux producteurs et à leurs organisations peuvent se recomposer et adapter leurs méthodologies d’intervention pour améliorer les marges de manœuvre des producteurs et de leurs organisations ?

- Comment accompagner les acteurs pour promouvoir des coordinations qui permettent un accroissement de la valeur de la production, avec une répartition équitable, et dans une perspective de durabilité ?

Les travaux pourraient ainsi contribuer à une meilleure compréhension sur la manière dont les producteurs et leurs organisations peuvent influer sur la construction de règles qui régissent les relations au sein de filières, et comment ces règles influent sur leur fonctionnement et leurs résultats.

Ce questionnement s’appuie largement sur mes travaux antérieurs. Mais comme le souligne Ruben (2007), ce qui est important c’est de bien comprendre le croisement entre une action collective au sein d’une organisation de producteurs pour répondre aux besoins de ses membres et les interactions avec les autres acteurs pour assurer une forte insertion au sein d’une filière. Ce questionnement demande d’approfondir certains champs de recherche portant sur la construction des règles (élaboration et gestion des contrats, négociation des modalités de gouvernance, etc.) sur lesquelles s’appuient les coordinations, et notamment celles entre membres d’une organisation, et celles entre l’organisation et les autres acteurs (aval ou services), dans un contexte où les filières sont de plus en plus pilotées par quelques acteurs dominants avec une codification croissante des transactions par le renforcement des normes publiques ou privées. Il importe également d’analyser les conséquences de ces coordinations sur les résultats des activités des acteurs, et notamment des producteurs (impacts des normes, des contrats, ou des nouveaux mécanismes de service). En effet si la littérature permet de relativement bien comprendre les déterminants qui influent sur la construction des coordinations (les actifs spécifiques des acteurs, les risques perçus, la fréquence des échanges, etc.), elle contribue plus modestement à appréhender les conséquences de ces coordinations sur les acteurs, et notamment sur les producteurs en

mettant l’accent sur les processus d’inclusion ou d’exclusion, et à caractériser les marges de manœuvre de ces acteurs pour influer sur ces coordinations53.

S’il existe plusieurs équipes, en France et à l’international, qui abordent ces thématiques, peu d’entre elles se préoccupent de travailler sur les méthodes pour améliorer les coordinations et accompagner les acteurs dans un processus de résolution de problème, notamment en mobilisant les apports des sciences de gestion. En ce sens, travailler sur le renforcement des organisations de producteurs (capacités individuelles et collectives, processus de gestion) et sur l’amélioration des services (contenu, gouvernance, coordination entre services), permettraient aussi de mieux caractériser les possibilités d’accroissement des marges de manœuvre des producteurs au sein des filières.

Comme l’illustre la figure 8, cette caractérisation des différentes formes de coordination implique de centrer les recherches sur :

- les stratégies des acteurs, en se focalisant sur les producteurs et leurs organisations et sur ceux qui développent des échanges avec ces derniers,

- la nature des échanges entre ces acteurs en termes de flux de produits, financiers, d’information, etc.,

- les règles formelles et informelles qui régissent ces échanges, et donc en incluant dans l’analyse les contrats et les modalités de gouvernance

- les dispositifs institutionnels (ou arrangements institutionnels), incluant les services et les espaces de dialogue ou de négociation, qui permettent de réguler ces échanges ou de renforcer les capacités des acteurs, en incluant les questions de méthode d’intervention, de gouvernance, et de financement.

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Ce questionnement peut nécessiter également quelques approfondissements sur le fonctionnement de l’exploitation (évolutions récentes en fonction du contexte, nouvelles modalités d’organisation du travail au sein des familles ou entre groupes de producteurs, interrelations entre décisions individuelles et décisions au sein de réseaux socioprofessionnels, etc.).

Fig. 8 : Analyse des relations entre producteurs, organisations de producteurs, services, et acteurs de l’aval de la filière

Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre de l’économie et des sciences de la gestion, mais implique des apports d’autres disciplines, et notamment de la sociologie, dans le cadre d’une approche où les regards aux frontières des autres disciplines permettent des éclairages différents, et souvent novateurs, sur mes objets de recherche. Les apports de la nouvelle économie institutionnelle sont déterminants pour comprendre les institutions, en incluant l’analyse des coûts de transaction ou la théorie des contrats. Les sciences de la gestion donnent un cadre pour comprendre les processus de décision, pour analyser et concevoir des dispositifs de pilotage de l’action organisée (Hatchuel 2001), ou pour promouvoir des outils qui s’inscrivent dans une philosophie gestionnaire. La sociologie permet de mieux appréhender les stratégies des acteurs, les processus d’innovation et la construction d’action collective.

Fig. 9 : Positionnement théorique et thématiques abordées.