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2 Partie : Stratégies des producteurs et processus de décision

2.4 Un modèle de pilotage de l’exploitation

A ce stade du mémoire, il me paraît intéressant de formaliser le fonctionnement de l’exploitation sur la base des résultats des travaux présentés antérieurement, en élaborant un modèle du pilotage de l’exploitation.

La théorie du comportement adaptatif montre l’importance d’identifier le projet du producteur à partir de sa représentation de la situation pour comprendre sa stratégie et donc ses décisions. Or cette identification peut-être plus ou moins aisée, et peut-être encore plus dans certaines situation africaines. Quelques producteurs éprouvent de grandes difficultés à se projeter dans l’avenir, notamment dans le cadre d’exploitation ayant peu de marges de manœuvre suite à un manque de terre, de force de travail, ou de trésorerie. Certaines phrases de producteurs expriment clairement cette difficulté : « faire une prévision de mes récoltes peut compromettre la production en attirant le malheur », « Pourquoi prévoir si loin alors qu’on ne sait pas d’où viendra l’argent pour se nourrir demain ? ». A l’inverse d’autres producteurs expriment facilement leur projet à long terme en prévoyant la croissance de leur cheptel, en envisageant l’accroissement de leurs terres, ou en programmant les moyens pour financer l’acquisition de leurs matériels. Le conseil à l’exploitation doit d’abord permettre de réaliser un travail sur les représentations débouchant sur une explicitation plus claire des projets de chacun pour pouvoir identifier des stratégies de développement possibles.

Sur les bases des travaux d’Hemidy et al. (1993), on peut considérer que le pilotage de l’exploitation porte sur l’articulation entre les décisions stratégiques permettant de s’approcher du projet du système « exploitation-famille » et les décisions tactiques qui permettent la conduite des activités dans le pas de temps court qui est, dans les cas étudiés, celui de la campagne agricole. Dans cette perspective le producteur gère différents modules12 de façon autonome et la mise en cohérence de ces modules au regard de la stratégie générale s’opère par la définition de contraintes fixées par le producteur. De ce fait la planification s’opère moins par un programme d’action, comme c’est le cas pour la gestion de chaque module, que par la gestion des contraintes considérées comme autant de points de repère ou d’indicateurs d’évaluation de l’action.

Modules et contraintes

Le nombre de modules et le poids des modules dans les prises de décision sont fonction de l’exploitation, notamment de la structure de l’exploitation (situation familiale, équipement, surface, etc.), des objectifs du système « exploitation-famille », et de la représentation qu’à le producteur de sa situation. La hiérarchie entre modules, opérée par le producteur, est révélatrice de ses priorités et de sa représentation des marges de manœuvre de l’exploitation (Soler 1990). Certains modules sont protégés, c’est-à-dire qu’ils sont jugés prioritaires et que les décisions seront peu affectées par des changements de l’environnement, et seulement un niveau élevé des contraintes amène le producteur à modifier le programme prévisionnel mis en œuvre dans le cadre du module. Dans le cas des exploitations étudiées, on peut penser à la question de la sécurité alimentaire, avec son module « alimentation » qui prévoit le maintien d’une quantité minimum de céréales à produire et stocker par personnes. D’autres modules servent de tampon et permettent les ajustements nécessaires pour absorber les perturbations et

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limiter les risques, comme c’est le cas du module « élevage » avec la vente d’animaux en cas de besoins financiers ou d’achat en cas de bonnes récoltes.

Les modules sont décrits par des variables qui sont autant de critères qui servent à prendre des décisions. Le tableau suivant présente, en première approximation et dans la situation de l’ouest du Burkina Faso, les principaux modules et leur poids suivant le type d’exploitation. Tab 9 : Modules constitutifs de l’exploitation et importance selon le type d’exploitation au Burkina Faso

Modules Variables clés Culture

motorisée Traction animale Culture manuelle Cultures Coton Cultures vivrières XXX XX XXX XXX XX XXX Elevage Bovins de capitalisation

Autres

XXX X X

main d’œuvre Hommes adulte Femmes et enfants Salariés XXX XXX XX XXX XX X XXX X Terre Acquisition XXX XX X

Financement Crédit équipement Crédit intrant Trésorerie annuelle Epargne XXX XX XX XX X XXX XX X XXX X Equipement Animaux de trait

Tracteur Autres X XXX X XXX X Alimentation Stock greniers

Vente XXX XXX XXX XX XXX X - : sans objet, X : peu important, XX : important, XXX : très important

Les contraintes sont également fonction de l’exploitation. Elles peuvent être exprimées explicitement par le producteur ou être implicites et se dégager d’une analyse du fonctionnement de l’exploitation. La figure suivante illustre les principales contraintes qui permettent de gérer la coordination entre modules dans le cas d’exploitations motorisées au Burkina.

Le producteur alterne donc des moments centrés sur l’opérationnel, dans le cadre d’un module, et des moments centrés sur les questions stratégiques à des moments clés de l’année. Dans le cas des exploitations analysées, trois moments sont importants pour le producteur pour mener une analyse plus stratégique de son exploitation :

• En août quand s’effectue le recensement des besoins en intrants pour la campagne suivante, à la demande de la société cotonnière.

• En décembre au moment des récoltes, et notamment celle du coton, pour préciser la capacité d’autofinancement ou le niveau d’endettement qui vont influer sur la campagne suivante.

Fig 4 : Modèle de pilotage de l’exploitation avec ses modules et ses contraintes. Cas d’exploitations disposant d’un tracteur au Burkina Faso

Stratégie : offensive/défensive Module cultures Coton Cultures vivrières Module élevage Bovins capitalisation Autres Module équipement Animaux de trait Tracteur Autres Module financement Crédit intrants Crédit équipement Trésorerie annuelle Epargne Réseau contraintes :

Revenu minimum de X FCFA pour consommation et coûts de production

Garantir autosuffisance alimentaire par une surface vivrière min de X ha/pers Valoriser d’abord la main d’œuvre familiale avant d’investir dans équipement Limiter les charges variables pour ne pas dépasser X % du produit brut

Financer à X % les intrants par le crédit

Maintenir une épargne avec X bovins

Conserver une réserve foncière de X ha pour contrôler l’intensification à base d’intrants

Module main d’œuvre Hommes adulte Femmes et enfants Salariés Gestion opérationnelle Module terre Acquisition Module alimentation Stock greniers Vente Moments clés :

Recensement des besoins en intrants Récoltes, dont coton

Décision au sein de la famille

La présentation du modèle de pilotage de l’exploitation semble indiquer que les décisions sont prises par un individu, le chef d’exploitation en l’occurrence. Or l’exploitation est plus complexe et se comprend dans le système « exploitation-famille». Dans certaines situations étudiées, notamment dans les exploitations en culture manuelle de l’ouest du Burkina Faso, l’organisation familiale est effectivement fondée sur la famille restreinte (un homme marié, sa ou ses femmes, leurs enfants) avec une participation modérée des femmes et des enfants aux travaux agricoles mais aussi aux prises de décision. Dans le Sud du Togo, la femme dispose d’une forte autonomie dans l’organisation du travail agricole, la conduite de ses parcelles, et l’utilisation des revenus de la vente des récoltes. Au centre du Togo, les dépendants (femmes mariées et hommes célibataires) au sein d’une exploitation fondée sur la famille restreinte disposent de parcelles indépendantes cultivées après le temps dévolu au champ commun. L’exploitation fondée sur la famille élargie (plusieurs ménages travaillant ensemble) est un modèle très fréquent au nord du Togo et quasiment généralisé dans les exploitations mécanisées au Burkina Faso. La prise de décision (organisation du travail, prévision de dépenses, développement de nouvelles activités, etc.) devient alors plus complexe et le fonctionnement de l’exploitation nécessite des modalités spécifiques d’organisation.

Cette dimension a été étudiée plus spécifiquement dans le cas des exploitations motorisées montrant une relation positive entre, d’une part la formalisation dans la répartition des responsabilités et dans les mécanismes de concertation au sein de l’exploitation, et d’autre part les résultats techniques et économiques de l’exploitation. Cette organisation peut être variable mais inclut à des degrés divers une répartition des rôles entre les hommes adultes (chef d’exploitation coordonnant l’ensemble des activités de l’exploitation et gérant la caisse, chef des greniers assurant la distribution des céréales aux ménages, chef de travaux programmant les chantiers et gérant la main d’œuvre salariée, tractoriste souvent non marié s’occupant de tout le matériel, secrétaire relevant les recettes et les dépenses). Elle peut prévoir également un conseil de famille qui se réunit régulièrement pour définir les assolements, programmer les grandes dépenses liées à l’activité agricole ou au projet familial, définir les investissements, préciser les attributions de revenus pour chaque actif, etc.. Dans ce contexte, les mécanismes de la décision au sein de l’exploitation s’apparentent plus aux mécanismes de décision collective et l’activité de conseil doit en tenir compte en cherchant à associer d’une manière ou d’une autre les différents acteurs concernés.

2.5 Quel devenir pour les recherches sur les exploitations