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Renforcer le rôle du système de justice pénale dans la prévention et l'élimination de la violence à l'encontre des enfants

Dans le document La question des âges en justice juvénile (Page 171-178)

DROITS DE L'ENFANT, PROTECTION CONTRE LA VIOLENCE ET JUSTICE

IV. Renforcer le rôle du système de justice pénale dans la prévention et l'élimination de la violence à l'encontre des enfants

Clairement, il est urgent de combler l'écart de gouvernance entre des standards internationaux des droits humains et la réalité de la protection des enfants au sein du système de justice juvénile. Il est impératif de promouvoir un changement qui aide à remplacer les réponses punitives par un investissement accru en faveur de la prévention, y compris à travers des initiatives d’appui à la petite enfance et dans un système d’un enseignement de qualité, orienté vers la réintégration sociale, et dédié à la promotion du sens de la dignité et de la valeur de l'enfant.

Cela signifie que le développement d'un système de justice adapté à l'enfant ne peut pas être mis en place de façon isolée. Il doit aller de pair avec la réalisation d'une vision plus ample, celui d'une société adaptée à enfant.

Une des caractéristiques d'une société adaptée à enfant est que les préjudices et les normes néfastes qui légitiment la violence à l'encontre des enfants devront être combattus. A cet effet, il devient particulièrement important de promouvoir un changement de paradigme, en passant d'une approche rétributive à une approche sensible aux droits de l'enfant, une approche qui exige une déconstruction des stéréotypes de genre et de cette perception de considérer filles et femmes comme des êtres subordonnés et inférieurs, dans leur famille ou leur communauté et au sein du système de justice.

Reconnaissant l'urgence de mettre en exergue ces préoccupations, mon Bureau a publié conjointement avec le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'Homme et avec le Bureau des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, un rapport sur la prévention et les réponses à la violence à l'encontre des enfants dans le système de la justice juvénile.13 Ce rapport présente d'importantes recommandations destinées à soutenir les efforts nationaux de mise en œuvre, en particulier pour sensibiliser l'opinion publique et renforcer les capacités des professionnels qui travaillent avec et pour les enfants ; aussi bien que pour établir un système de surveillance et d’évaluation qui permettent de prévenir la violence et de d’appuyer les enfants victimes, et pour combattre l'impunité.

12 Sustainable Development Goal 16

13

http://srsg.violenceagainstchildren.org/sites/default/files/documents/docs/A%20HRC%2021%2025_English.pdf

Pour atteindre ces objectifs, il faut agir de manière urgente dans quatre domaines : construire un système national solide de protection des enfants ; prévenir la criminalisation et la pénalisation des enfants vulnérables ; promouvoir les initiatives de justice réparatrice ; et établir rapidement des mécanismes efficaces de responsabilité.

a. Construire un système national solide de protection des enfants Premièrement, pour prévenir l'implication des enfants dans le système de la justice pénale et diminuer le risque d'actes de violence à leur encontre, il est essentiel de développer un système de protection des enfants qui soit solide et cohérent. Il faudra donc s’occuper des causes profondes que sont la pauvreté des enfants et leur exclusion sociale et leur assurer un accès effectif aux services sociaux de base, et de qualité, en évitant d'avoir des laissé-pour-compte. De plus, les personnes à risques doivent pouvoir bénéficier d’un soutien ciblé pour prévenir les situations où elles peuvent être exposées à la violence ou manipulées par des réseaux ou des organisations criminels.

Les ressources sont naturellement nécessaires pour faire avancer ce processus.

L'allocation des ressources pour la réalisation des droits de l'enfant n'est pas simplement un impératif des droits humains ; il s’agit en fait aussi d’une question de bonne économie. Investir dans la prévention est de fait moins onéreux et assure de meilleurs résultats que de promouvoir une approche répressive. Sous-investir dans les droits de l’enfant conduit à des couts très élevés pour la société, associés à faire face à une santé faible, à une éducation de pauvre qualité et à des comportements délictueux qui seront difficiles à réparer par la suite. En d'autres mots, l’absence d’investissement dans les actions de promotion des droits de l’enfant a un prix énorme et ses effets sont souvent irréversibles.

Par contre, avec des investissements durables dans des programmes de prévention, de nouvelles opportunités s'ouvriront pour réduire le risque des enfants à subir la violence et leur implication dans les activités criminelles.

Selon des chiffres publiés aux USA, durant les deux dernières décennies, le nombre d'enfants victimes de crimes non mortels, y compris les cas de violence domestique, de viol et d'agression sexuelle, a chuté de 68%. Non moins important, cette baisse claire de la délinquance a coïncidé avec un déclin sensible des suicides d'adolescents, de harcèlement scolaire et d'abus physique et sexuel. Enfin, les enfants disent se sentir plus en sécurité à l'école et aussi moins prêts à s'engager dans des comportements à risque.

b. Prévenir la criminalisation et la pénalisation des enfants vulnérables

Passons maintenant à la deuxième dimension importante: le système de justice pénale ne peut être utilisé comme un substitut d'un système faible ou inexistant de protection des enfants. Il ne peut permettre la stigmatisation, la criminalisation et la poursuite des enfants les plus vulnérables de nos sociétés, des enfants qui ont besoin de soins et de protection, plutôt que d'être impliqués dans des situations de conflit avec la loi.

Les lois doivent décriminaliser les comportements de survie et les infractions d'état, comme la mendicité et le vagabondage; il faut respecter les droits des enfants à risque et leur assurer les soins dont ils ont besoin, tout en assurant le soutien nécessaire aux enfants qui souffrent de troubles mentaux ou qui sont dépendants de l’utilisation de drogues. Par ailleurs, il faut éliminer toute justification légale qui permet de tolérer ou d'autoriser la violence et la discrimination fondée sur le sexe, y compris en raison de motifs associés à la culture, à l’honneur ou à la religion. Les infractions prévues dans le code pénal ne doivent jamais permettre la discrimination en raison de l'âge ou du sexe.

Toutes ces mesures doivent être soutenues par un système universel d'enregistrement des naissances, qui fait encore défaut pour des millions d'enfants dans le monde, de manière à éviter le risque de d’appliquer aux enfants des mesures contraires aux droits humains ou développées pour les populations adultes.

Il est également important d'établir, par la loi, un âge minimal de responsabilité pénale, en conformité avec les instruments juridiques internationaux. Il est essentiel de réduire les mesures de privation de liberté aux situations où cette peine est vraiment un dernier ressort, et si ces circonstances strictes sont remplies, pour la période la plus brève possible.

De même, interdire toutes formes de violence et de punition inhumaines est de première urgence. Ainsi, on pourra donner une considération sérieuse à une Justice Juvénile de caractère restauratif et réhabilitatif, qui promeut les alternatives à la privation de liberté telles que la médiation, la diversion, la surveillance, le conseil et les prestations au profit de la communauté.

Ces différentes mesures sont aussi importantes pour prévenir la récidive.

Comme cela été souligné dans l'Etude des NU sur la violence à l'encontre des enfants, la récidive pour des enfants qui ont été placés en détention est de 50 à 70%, alors qu'elle n'est que d'environ 10% pour des enfants qui ont été placés dans des institutions de type familial ou communautaire

Il semble donc opportun d'offrir une seconde opportunité aux jeunes délinquants, dans un environnement sain et sécure, de manière à développer

leurs capacités et de leur permettre de bénéficier d’un processus de réintégration durable.

c. Promouvoir les initiatives de justice réparatrice

Dans beaucoup de sociétés, les valeurs de justice réparatrice, comme le soin, la réconciliation et le respect mutuel, ont depuis longtemps été utilisés pour résoudre des conflits et renforcer les liens communautaires. En promouvant une approche non-punitive, la justice réparatrice cherche à aborder les causes et les conséquences de l'infraction, tout en contribuant à établir la responsabilité pour le délit, en cherchant à réparer le tort causé par celui-ci. Basée sur le dialogue, la négociation et la résolution des conflits, la justice réparatrice aide à réconcilier le contrevenant avec la communauté et est guidée par l'intérêt supérieur de l'enfant.

Les processus de justice réparatrice peuvent être adaptés et mis en œuvre selon des modèles divers, comme la médiation, la conciliation, la conférence et des cercles de détermination de la peine. Ils s'appliquent aux enfants qui peuvent être victimes, témoins ou auteurs et promeuvent la réparation, le respect le renforcement des relations sociales ; ils peuvent être aménagés à tout stade de la procédure pénale et incluent la mise à disposition de services et de soin, comme l'éducation et l'apprentissage, de manière à éviter le risque de retour à des comportements à risques.

La justice réparatrice fournit une alternative à la privation de liberté des enfants et aide à préserver les enfants de la violence, des abus et de l'exploitation. Les enfants qui participent aux programmes réparateurs sont moins à risque de tomber sous l'influence de gangs et probablement de devenir les victimes de la violence armée. Ils démontrent aussi des taux significativement plus bas de récidive, comparés à d'autres groupes.

Pour avoir du succès, cependant, la justice réparatrice a besoin d’une action durable. La législation doit clairement prévoir des mesures et des options qui aident les agents de police, les procureurs et les juges à écarter les enfants du système de justice. La formation effective aux droits de l'enfant et la législation pertinente doivent être promues pour tous les acteurs impliqués et soutenues par le développement nécessaire des compétences de dialogue, de maitrise des émotions et des conflits et tout en assurant la sécurité des enfants. Bien plus, des lignes directrices et des standards doivent être mis en place pour touts les intervenants de la chaine pénale juvénile, y compris les policiers, procureurs, juges, agents de probation, travailleurs sociaux, médiateurs et avocats.

La coordination entre des prestataires de services de la justice réparatrice et les acteurs de justice traditionnelle est essentielle, tant au niveau national que local;

les données, la recherche et l'évaluation de programmes de justice réparatrice sont cruciaux pour sauvegarder l'intérêt supérieur de l'enfant, promouvoir sa réintégration et prévenir la violence et la récidive; des ressources adéquates provenant des budgets nationaux et de la coopération bilatérale et internationale sont nécessaires pour soutenir ces programmes de justice réparatrice, pour investir dans le renforcement des capacités, pour consolider le système et promouvoir la promotion de ce type d'initiatives positives.

d. Etablir rapidement des mécanismes efficaces de responsabilité

La quatrième dimension que nous devons aborder est celle de disposer de mécanismes forts de responsabilité. Surveiller, contrôler, évaluer et visiter les centres de détention (y compris de manière inattendue) par des institutions indépendantes, est indispensable pour dissuader les actes de violence à l'encontre des enfants, pour instruite et enquêter les cas d'abus et pour établir la responsabilité des auteurs. De même il est crucial de prévoir mesures de recours et de réparation pour les enfants victimes.

Naturellement, pour que tout ceci fonctionne, la législation nationale doit être claire, avec un message explicite d'interdiction de toutes les formes de violence à l'encontre des enfants, même lorsqu'on l'envisage comme une forme de contrôle, de discipline, ou comme une punition. En outre, les enfants doivent avoir accès à des soins et conseils adaptés et sûrs et à des mécanismes de dénonciation et de plainte, sans aucun risque du mauvais traitement ou des représailles. Comme l'expérience nous l'a appris, ces mécanismes ne seront efficaces que si des efforts constants sont faits pour s'assurer qu'ils seront largement accessibles pour tout enfant, tout en assurant la confidentialité et offrant un suivi rapide et une aide durable aux enfants victimes.

Pourtant, dans toujours trop de pays, les soins et conseils adaptés et les mécanismes de dénonciation et de plainte ne sont toujours pas disponibles ou demeurent difficilement accessibles. Dans les cas où ils ont été établis, ils ne disposent pas des ressources nécessaires ni des compétences requises pour tenir compte des préoccupations des enfants et assurer les soins et la réintégration des enfants victimes. Par conséquent, les enfants manquent trop souvent de confiance dans les services existants et craignent la stigmatisation et le risque de représailles.

Selon une évaluation conduite par des enfants et pour utiliser leurs propres mots, les procédures disponibles semblent inutiles et inadéquates pour répondre à leurs besoins; le personnel des centres de détention est mal formé pour traiter des

enfants avec respect et entendre leur opinions; les plaintes sont écartées sans un minimum d'enquête exigée et lorsqu’elles sont considérées, cela peut conduire à une démarche très pénible pour l'enfant, et a l’imposition de mesures punitives qui pourront inclure son placement en détention en régime cellulaire.

Il est impératif d’établir des standards adaptés aux enfants et sensibles à la question du genre, qui puissent vraiment assurer la participation effective des enfants dans les procédures judiciaires et administratives, aussi bien que sauvegarder leur sécurité, leur vie privée et leur dignité à toutes les étapes de ce processus.

Les jeunes désirent améliorer la connaissance de leurs droits, de façon à garantir leur protection. Ils veulent des professionnels prêts à les écouter et à prendre leurs avis en considération, des personnes en qui les enfants peuvent avoir confiance et qui sont sensibles et empathiques.

La protection des droits de l'enfant, la solution pour les défis auxquels les enfants se voient confrontés au sein du système de la justice pénale et l'investissement dans la prévention et l'élimination de la violence à l'encontre des enfants, sont les clés du développement d'une justice adaptée à enfant et en réalité d'une société amie des enfants.

Si les recommandations émises plus haut, - qui sont ancrées dans le fondement normatif développé par la communauté internationale tout au long du temps - sont consciencieusement mises en application, il n'y a pas de doute qu'elles assureront la réalisation des droits de l'enfant dans l'administration de la justice et favoriseront la protection des enfants contre la discrimination et la violence, sous toutes leurs formes.

Dans le document La question des âges en justice juvénile (Page 171-178)