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L’APPROCHE RESTAURATRICE DANS LA JUSTICE JUVÉNILE

Dans le document La question des âges en justice juvénile (Page 196-200)

Fabrice CRÉGUT

Conseiller justice juvénile, Fondation Terre des hommes, Lausanne, Suisse

Plan de presentation Introduction

I. La réparation comme processus d’apprentissage

A. L’apport des neurosciences : la justice restauratrice et le développement de l’enfant

1. Les liens entre justice et neurosciences et leurs dérives potentielles

2. Les apports des neurosciences à la justice juvénile

B. Implications des différents aspects procéduraux sur la réparation 1. Le jeune au centre du processus de réparation

2. Les différents chemins qui mènent à la réparation

II. La réparation dans le système de justice : une question d’efficacité ? A. Une efficacité prouvée, mais toujours débattue

1. L’efficacité de la justice juvénile restauratrice en chiffres 2. La justice restauratrice face à ses détracteurs

B. La place de la justice restauratrice dans l’administration de justice juvénile

1. L’approche restauratrice : un modèle de justice juvénile marginal 2. L’incorporation de la réparation au sein de modèles complexes Conclusion

Bibliographie

Introduction

Qui n’a pas en tête l’image d’un enseignant qui demande à un de ses élèves de s’excuser d’avoir cassé le jouet de son camarade ? Lorsque cela est possible, bien sûr, on pourra même envisager de proposer à l’enfant de recoller l’objet brisé pour l’entendre dire, avec un soupir de soulagement, qu’il aurait aimé éviter son geste destructeur. En procédant ainsi, avec bienveillance, beaucoup d’adultes établissent un processus simpliste de réparation inhérent à l’apprentissage des enfants.

En matière de justice pour enfants, on ne peut évoquer la réparation sans penser à la justice restauratrice1. Dans sa forme la plus « pure », la justice restauratrice se distingue de la justice conventionnelle par le fait qu’elle ne considère pas la délinquance comme la transgression d’une norme établie, mais comme des préjudices sociaux émanant de conflits entre individus, que ceux-ci soient patrimoniaux (vol), physique (blessures) ou psychique (traumatisme) (Walgrave, 2002). La justice représente alors plus l’affaire de la communauté que celle de l’Etat. L’objectif devient donc de trouver une solution au problème causé, plutôt que d’imposer une souffrance proportionnelle à un dommage comme le voudrait une justice simplement répressive. Cette solution, la réparation, est le résultat d’un processus informel favorisant l’expression des sentiments et des émotions plutôt que le suivi de procédures légales préétablies.

Le processus de réparation est au cœur de la justice restauratrice telle qu’elle a été théorisée par ses découvreurs dans les années 70-90. Les pratiques restauratrices ne sont cependant pas apparues avec leur théorisation, mais des traces existent avant l’apparition de l’écriture, et ont été présentes depuis et sous différentes formes au cours des siècles (Gavrielides, 2011). Ces pratiques ont de plus été observées dans toutes les cultures et dans toutes les régions du monde (Commission for Crime Prevention and Criminal Justice CCPCJ, 2002). La justice restauratrice délivrée par la communauté en dehors de la justice conventionnelle proposée par l’Etat reste aujourd’hui très répandue dans les pays à revenu faible ou moyen, en particulier au Moyen-Orient, en Afrique, Amérique Latine et en Asie (Harper, 2011).

Si la plupart des auteurs s’accordent sur le fait que la justice restauratrice permet de résoudre les conflits entre individus, tous ne s’accordent pas sur la définition, la finalité et la portée de cette approche de la justice. Alors que Nils Christie et Howard Zehr, tout comme les standards internationaux2, s’accordent sur le fait

1 Nous ne ferons pas de distinction entre justice restauratrice, réparatrice ou restaurative dans cet article.

2 Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC), Résolution 2002/12: Principes fondamentaux concernant le recours à des programmes de justice réparatrice en matière pénale, 24 Juillet 2002, E/RES/2002/12, Consulté le 03/04/2016 : http://www.refworld.org/docid/46c455820.html

que la justice restauratrice se fonde sur la réappropriation du processus de justice par la victime et l’auteur de l’infraction, des auteurs, tel que Lode Walgrave, ont élargi le concept de justice restauratrice à ses buts, y incluant ainsi tous les processus de justice qui recherchent la réparation, sans nécessairement faire participer activement la victime et l’auteur (Perrier, 2010).

Cette distinction entre deux courants de pensée sur la justice restauratrice est fondamental puisqu’il questionne la définition de la justice restauratrice, qui n’est pas l’objet traité ici mais qui nous intéresse en ce qu’elle affecte les buts, les modalités et les résultats de la justice juvénile. Le débat sur la définition de la justice restauratrice n’est cependant pas clos et finalement, la pertinence d’enfermer cette approche dans une définition dogmatique est questionnable (Zehr & Gohar, 2003). Il demeure que la distinction entre ces deux courants de pensée mène à concevoir la justice restauratrice dans une acception pure – celle de Howard Zehr – faisant participer autant que possible l’auteur et la victime, et potentiellement tout autre membre de la communauté, et une acception maximaliste – celle de Lode Walgrave – qui considère que la justice restauratrice comprend toute approche de justice qui cherche à réparer les souffrances et les dommages infligés à la victime quelque-soit le processus utilisé.

La distinction est essentielle, puisque nous allons explorer les différents éléments de littérature et de pratique qui confirment que c’est le processus de la participation de l’enfant aux mécanismes de construction d’une réparation qui est fondamental dans l’atteinte des objectifs de la justice juvénile. Ces objectifs pourraient également être largement discutés, mais nous retiendrons des éléments proposés par les standards internationaux qui estiment que la finalité d’un système de justice juvénile est de « prévenir et maîtriser la délinquance juvénile en respectant les droits de l’homme et les droits de l’enfant3 », c’est-à-dire en assurant à l’enfant « un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci4 ».

Finalement, s’intéresser à la réparation dans le domaine de la justice juvénile revient à se demander comment la réparation contribue à atteindre les objectifs de la justice juvénile ? Est-elle efficace à le faire ? Quels devraient en être les mécanismes ? et plus largement quelle est la place de la justice restauratrice dans un modèle de justice juvénile ? Nous ne pourrons pas répondre de façon exhaustive à toutes ces questions, mais chercherons à établir des pistes de

3 Observation Générale n°10 du Comité des Droits de l’Enfant.

4 Article 40 par. 1 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant.

réflexion avec les apports des sciences contemporaines, les expériences et les réflexions les plus récentes.

Pour ce faire, nous nous intéresserons d’abord aux derniers développements des sciences dures qui confortent l’idée que le processus d’élaboration d’une réparation en face à face avec la victime et le suivi de sa mise en œuvre constituent le noyau central de processus d’apprentissage du jeune en conflit avec la loi (I). Les effets que ces processus peuvent avoir sur le jeune varient selon les différentes méthodes de justice restauratrice utilisés et nous en aborderons certains aspects procéduraux. Nous verrons que ces processus restauratifs tirent leur force de l’attention portée en premier lieu aux acteurs impliqués, l’auteur et la victime et de la dynamique par laquelle ils aboutissent, dans un dialogue basé sur le ressenti et l’échange de perceptions, à une réparation. Nous considérerons ensuite le manque de reconnaissance relatif de la justice restauratrice dans les systèmes de justice juvénile contemporains, malgré la convergence des études criminologiques qui démontrent son efficacité (II).

Nous verrons que la réparation pourrait se retrouver au centre de systèmes de justice potentiellement complexes, reconnaissant par exemple les mécanismes de justice coutumière, et pourtant adaptés aux enfants.

I - La réparation comme processus d’apprentissage

Dans cette partie, nous allons envisager comment le processus restauratif agit sur l’enfant en conflit avec la loi comme un processus d’apprentissage, de façon bien plus pertinente que ne le ferait une peine d’emprisonnement, et comment les neurosciences ont permis de confirmer cette hypothèse déjà mesurée par les sciences criminelles (A). Nous verrons ensuite comment les différents processus restauratif impliquent l’enfant dans une démarche de réparation (B).

A. L’apport des neurosciences : la justice restauratrice et le développement de l’enfant

1) Les liens entre justice et neurosciences et leurs dérives potentielles Plusieurs disciplines en sciences humaines ont cherché à expliquer les liens entre justice et développement de l’enfant, que ce soit en sociologie du droit ou en psychologie. En psychologie, la théorie de l’attachement a, par exemple, démontré qu’il existe des liens entre privation d’attention parentale dans les premières années de vie et occurrence de la délinquance à l’adolescence (Bowlby, 1969). En sociologie du droit, la théorie de l’humiliation réintégrative5 soutient qu’une désapprobation des actes délinquants tout en respectant l’auteur

5 Traduction approximative de l’anglais « reintegrating shaming ».

et en le soumettant à des rituels de pardon et de réparation permet de prévenir la délinquance, plus que la stigmatisation ne saurait le faire (Braithewaite, 2002).

Ces disciplines ont cependant été rattrapées par les sciences dites « dures », et les développements récents en matière d’imagerie médicale du cerveau ont fait entrer les neurosciences dans le débat sur la prévention de la délinquance juvénile.

Le lien entre la justice juvénile et les neurosciences existait déjà pour les enfants en conflit avec la loi atteint de troubles et de maladies mentales. Sans que cela n’implique de lien de causalité entre le fait que les enfants en conflit avec la loi soient plus disposés que les autres à commettre des infractions, des études ont montré que les enfants en conflit avec la loi présentent plus de symptômes, troubles et maladies mentales que la population générale des enfants (Perler, 2015). Ces résultats ont ainsi permis d’influencer les politiques pénales en offrant des services thérapeutiques spécifiques à ces enfants, et lorsque cela était indiqué, en atténuant leur responsabilité pénale.

Il parait cependant important d’établir ici une mise en garde contre une dérive de l’utilisation des sciences médicales dans la justice juvénile qui tendrait à chercher à guérir un enfant « atteint de délinquance », comme si il était atteint d’une maladie, à travers une approche promouvant le tout thérapeutique.

Comme le rappelait l’ancien Ministre de la Justice français Robert Badinter, « la délinquance n’est pas une maladie » (Le Monde, 8 Septembre 2007).

Au mieux, les partisans d’une approche thérapeutique de la justice juvénile tendent à penser que celle-ci devrait s’accompagner d’un processus de socialisation. D’un autre côté, les partisans de la justice restauratrice acceptent qu’un processus uniquement restaurateur puisse avoir ses limites s’il n’est pas accompagné d’un processus thérapeutique dans certains cas (Johnstone, 2002).

Une fois ces précautions prises, il est intéressant de s’intéresser aux dernières découvertes dans ce domaine. Le développement progressif de l’imagerie médicale par résonnance magnétique au cours des 20 dernières années a en effet permis de mettre en lumière les liens existant entre le fonctionnement biologique du cerveau et les comportements, sans intervention intrusive dans le corps humain (Walsh, 2011). Ces innovations scientifiques commencent seulement à influencer l’administration de la justice juvénile et devraient le faire de plus en plus dans les années à venir.

2) Les apports des neurosciences à la justice juvénile

Si les sciences criminelles ont observé depuis longtemps que l’âge avait un lien direct avec le passage à l’acte illicite qui se traduit par une surreprésentation des

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