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Relecture des hypothèses de l’« ajustement par le haut » dérivées des RPP

EN MATIÈRE DE SANTÉ

2.1.2.2. Relecture des hypothèses de l’« ajustement par le haut » dérivées des RPP

La relecture des hypothèses de l’« ajustement par le haut » dérivées des RPP nous ouvre

une perspective permettant de comprendre l’alignement véhiculé par le concept de rapport

global-sectoriel, chaque secteur portant sa politique sectorielle. Certains éléments de

l’analyse cognitive donnent des outils qui permettent de mieux comprendre l’exigence

croissante de régulation entre les champs du global et ceux du sectoriel auquel l’Etat

moderne fait face afin de compenser la partition de la société en de multiples secteurs. Plusieurs éléments apparus dans les études peuvent ainsi être relus dans cette perspective,

sur la vision du monde se dégageant du référentiel global - principe de l’alignement –

illustrée par cette hypothèse qui nous invite à nous demander dans quelle mesure la reconfiguration des cadres de l’action publique en matière de santé s’est faite suivant une

dynamique globale qui exprime le dilemme entre l’efficacité et l’équité et qui pèse sur

l’accessibilité à la santé.

L’hypothèse de médiation a l’avantage de mettre en lumière la robustesse du travail effectué le plus souvent par des groupes spécialisés, de production de connaissances scientifiques (dimensions techniques, sociales, juridiques, économiques, etc.) ou politiques (anticipation des rapports de force sur le terrain, présence d’obstacles ou d’éléments favorisant la mise en œuvre des mesures envisagées, position des différents segments de l’administration, etc.) à la structuration des problèmes aux caractéristiques (avantages ou désavantages) propres aux différentes solutions envisagées. Elle donne également l’opportunité de focaliser l’attention sur les relations qui existent entre cette production de connaissances et d’« idées » et la structuration des rapports de force au sein des luttes politiques autour de l’imposition de la définition du problème et de l’éviction des solutions envisageables.

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La déclinaison de hypothèse de l’ajustement par le haut en hypothèses secondaires ou

spécifiques permet de voir, d’après NAHRATH [2003]194 « combien, derrière les combats

d’idées autour de la définition légitime du programme politico-administratif, des hypothèses de causalité et des groupes cibles, pour ne pas aller jusqu’aux instruments, se déroule également un combat politique pour la définition de la hiérarchie entre les différents acteurs, ainsi que pour la (ré)définition de l’identité collective de ces derniers

(notamment celle des groupes cibles) ». Dans le cadre de notre travail, nous nous

intéressons non seulement à la façon dont les conflits concernant l’accessibilité aux SSP se trouvent posés, mais aussi aux conditions et arbitrages qui garantissent l’assurance du droit à la santé. La question de la redéfinition du pouvoir médical véhiculant des visions très différentes de ce qu’est un professionnel de la santé, et de ce que devraient être ses droits et des devoirs envers la collectivité, devient de ce fait centrale et permet de s’intéresser non plus seulement à la manière dont les connaissances et les compétences sont créées, mais aussi à leur champ de capitalisation et leur utilité sociale.

La troisième hypothèse secondaire gagne en importante du fait qu’elle porte précisément sur les conditions d’émergence d’un nouveau cadre normatif et donc, d’une nouvelle politique publique. En attribuant l’émergence d’une nouvelle politique publique aux décalages, contradictions et incohérences existant entre les politiques sectorielles déjà en place, cette hypothèse est à la fois confirmée et incomplète. La multiplicité des relations entre champs et la diversité des positions des acteurs qui y sont engagés complexifient davantage les relations d’échanges, de collaboration et de confrontation entre les champs.

194 NAHRATH S. (2003), La mise en place du régime institutionnel de l’aménagement du territoire en Suisse entre 1960 et 1990. Thèse de Doctorat présentée à l’Université de Lausanne, 588 p.

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Tableau 5. Synthèse des hypothèses de médiation dérivées des RPP sur l’« ajustement par le

haut » [NAHRATH, 2003]195

Hypothèse principale Hypothèses secondaires

Hypothèse principale de la

médiation (ajustement par le haut) : Il y a changement de politique, c’est-à-dire

changement de référentiel au sein d’un secteur, dès lors que se modifie le rapport global-sectoriel (RGS) et se

développent des

désajustements, des décalages, voire des contradictions, entre, soit (1) le secteur en question et les autres secteurs de la société, soit (2) le secteur en question et le référentiel hégémonique au niveau de la société globale.

Hypothèse médiation 1 : Il y a changement au sein d’un

référentiel de politique publique dès lors qu’il y a rencontre entre (1) des modifications objectives du RGS et (2) une identification et un traitement de ces décalages au sein du RGS par un groupe de médiateurs capable de

construire son leadership au sein du secteur.

L’instauration d’un tel leadership découle d’un processus de luttes politiques entre différents groupes de médiateurs concurrents tentant d’imposer de manière hégémonique leur définition des modalités du traitement de ce problème.

Hypothèse médiation 2 : Tout changement de référentiel,

c’est-à-dire de politique, implique à la fois une modification des rapports de force et des rapports de hiérarchie entre les différents groupes agissant au sein du secteur, ainsi qu’une redéfinition substantielle de l’identité collective de ces mêmes groupes sociaux.

Hypothèse médiation 3: On assiste à l’émergence d’un

nouveau programme d’action publique (i.e. une nouvelle politique publique) suite à la persistance de décalages, de contradictions ou d’incohérences entre des logiques sectorielles d’une ampleur telle que, malgré les tentatives des différents leaderships sectoriels pour les réduire, la cohésion sociale s’en trouve menacée. Dès lors la fonction de ce secteur en voie d’émergence consiste à prendre en charge ce problème collectif résultant des contradictions au sein ou entre des secteurs déjà existants et incapables de les régler par eux-mêmes.

195 NAHRATH S. (2003), La mise en place du régime institutionnel de l’aménagement du territoire en Suisse entre 1960 et 1990, op. cit.

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L’introduction d’hypothèses sur l’information ou sur les processus cognitifs de fabrication des politiques publiques et de prise de décision remet un peu plus en cause celle de la parfaite rationalité des acteurs. Sans l’abandonner cependant, nous formulons, à partir des

hypothèses initiales sus-évoquées empruntées à NAHRATH [2003]196, deux hypothèses

opérationnelles (p 127) sur lesquelles va se poser notre analyse qui mobilise une batterie d’outils et d’interactions dans un environnement peu délimité. L’analyse de la dynamique de changement institutionnel devient alors l’étude des trajectoires de toute construction politique dans sa dimension sectorielle. Ceci soulève une question centrale, celle de savoir si l’enchaînement des réformes observé dans le secteur de la santé participait à l’objectif d’adapter les politiques publiques aux enjeux et défis nés de l’évolution macroéconomique ou à un balbutiement dû à une définition incomplète, voire parcellaire des cadres de réponses.

Le référentiel sectoriel de la santé permet d’expliquer un certain nombre de logiques puisqu’il définit autant les principes qui les régissent que les missions conférées aux institutions de santé et de régulation du système qu’ils sont supposés piloter. Le décryptage de la genèse des politiques sanitaires se fera suivant la lecture qu’elles sont historiquement le produit de recyclages des programmes préexistants, ont de la peine à se construire suivant un processus autonome et sont souvent dépourvues des caractéristiques propres aux politiques sectorielles (absence de référentiel commun permettant de penser les situations et de structurer les interventions). L’expertise technique est en elle-même éclatée (démantelant la communauté épistémique des praticiens de la santé), car se situant entre différents « corps » administratifs, situation d’autant plus problématique qu’aujourd’hui le pôle économique se trouve paradoxalement renforcé par la diffusion du

nouveau référentiel global dit marchand, qui contribue à réinsérer les exigences

économiques au cœur des débats sur les politiques publiques de santé.

Les politiques publiques de santé seront donc décryptées avec un acquis théorique

« qu’elles ne relèvent pas d’une construction sociale de la réalité, d’un rapport entre un

système de sens et un système de pratique » dans la mesure où elles résultent d’une

mutation de pratiques sous l’influence des contraintes d’origine essentiellement exogène

196 NAHRATH S. (2003), La mise en place du régime institutionnel de l’aménagement du territoire en Suisse entre 1960 et 1990, op. cit.

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qui ont été déterminants dans l’évolution de l’inaccessibilité des populations aux soins de santé. Ceci permet de mettre en évidence les mécanismes en fonction desquels les cadres

cognitifs et normatifs, qui constituent le cœur de l’action publique – les référentiels –, sont

à la fois l’expression des contraintes structurelles et le résultat du travail sur le sens effectué par les acteurs. Cette thématique de la dynamique structurelle rejoint le projet théorique formulé dans le cadre de la théorie de régulation (TR) qui examine les règles de construction et de déconstruction des systèmes en insistant sur la cohérence entre le besoin social et la dynamique spatio-temporelle de reproduction.

De façon plus spécifique, en cherchant à dépasser la notion de l’accessibilité aux soins réduite à la capacité financière des populations à recourir aux soins (référence aux

principes de l’« ability to pay » et du « willingness to pay » énoncés par l’IB), nous

adoptons celle d’une accessibilité aux soins qui se veut plus générale suivant une hypothèse double : le premier volet postule que l’édition des politiques publiques de santé au Cameroun renforce un système d’inégalités sociales dans la mesure où elle met l’accent sur l’efficacité des services et moins sur l’équité dans l’accès universel à ces services. Ainsi, dans un contexte où maladies d’endémie et pauvreté se côtoient en permanence, les questionnements autour de la mise en œuvre des politiques publiques de santé peuvent être resserrés comme suit : dans quelle mesure les réformes du système de la santé ont-elles conduit à une reconfiguration des logiques d’actions en créant un effet de rapprochement avec l’objectif des SSP ?

Le second volet stipule que la définition politique du problème public (« policy

problem »), sa formulation (« policy design »), la programmation et les arrangements

politico-administratifs (« policy making ») y afférents sont déterminants dans la

minoration de l’équité au cours de la mise en œuvre. Autrement dit, quelle a été la part d’influence des interactions entre les institutions qui portent cette politique, les professionnels de la santé qui en assurent la mise en œuvre de première ligne et les communautés qui y sont assujetties ? Face à cette question, nous souhaitons montrer que les déviations récurrentes à l’égard des trajectoires supposées universelles trouvent leur origine au départ dans le jeu de relations qui s’exprime entre les acteurs et que l’évolution structurelle du système de santé censée propulser la rupture d’une dynamique et la création d’une autre se fait essentiellement au gré des conjonctures macroéconomiques

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pour aboutir à un dédoublement d’identité, amplifiant le désajustement avec les grands principes qui ont contribué à formuler la vision du monde en matière de santé (DAA, IB).

2.1.3. Cadre méthodologique et matériel utilisé