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Ce chapitre préliminaire nous a permis de jeter les bases contextuelles et historiques des analyses qui vont suivre, et d’assurer une meilleure compréhension des enjeux politico-économiques et institutionnels de l’évolution du système de santé au Cameroun. Elles permettent de confirmer que la relation entre la croissance économique et la réduction des inégalités sociales en santé n’est pas des plus simples à mettre en évidence dans la mesure où sa compréhension appelle à une bonne maîtrise des enjeux macroéconomiques et des antagonismes qui dérivent des représentations sociales de la santé, d’une part et, que les configurations prises par le système de santé sont une réaction institutionnelle à la triple influence des facteurs structurels, conjoncturels et de l’arbitrage fait entre le référentiel de justice et le référentiel marchand, d’autre part.

La lecture des politiques publiques de santé à travers les mécanismes d’allégement de la dette (PPTE, C2D, etc.) et l’hégémonie des politiques économiques visant essentiellement l’assainissement monétaire et financier vont grandement peser sur les cadres normatifs formulés par l’édiction internationale à travers les grands principes définis à l’échelle supranationale (Déclaration d’Alma-Ata – 1979 et Initiative de Bamako, 1987). Cette conjonction de facteurs a positionné les politiques publiques de santé dans un rapport asymétrique avec les politiques économiques et la déviation qui s’en est suivie a favorisé le passage d’une primauté donnée à l’équité égalitariste (équité) à une primauté donnée à l’efficacité économique (efficacité), hypothéquant les chances de réduction des inégalités en santé. Or, si on considère que les politiques de santé constituent une courroie de transmission privilégiée entre la croissance et le développement humain, ces deux modèles bipolaires de politique de santé (efficacité et équité) méritent d’être analysés de façon plus approfondie du point de vue de la philosophie sociale qui les fonde.

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Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer le maintien d’une distorsion entre une volonté affichée des décideurs publics, tant nationaux qu’étrangers, d’appliquer un modèle de politique publique, et la quasi-absence de concrétisation dans sa construction et sa mise en œuvre ? Une telle distorsion peut-elle aboutir à un dédoublement progressif d’identité du système en perpétuelle contradiction entre ce qui est prôné et ce qui est réalisé ? Pourquoi le référentiel sectoriel de la santé s’est-il trouvé en décalage avec le changement de référentiel global jusque-là caractérisé par trois modèles de politiques économiques – croissance et stabilisation (1965-1985), ajustement structurel (1985-1995) et depuis 1995, les politiques de réduction de la pauvreté et de la relance – qui mettaient en avant l’amélioration des conditions de vie des populations et un plus grand accès aux services sociaux de base pour les couches défavorisées?

MULLER affirme qu’un changement de référentiel (global) ne doit certainement pas expliquer, en lui-même, un changement de politique, mais que le changement de matrice

cognitive exprime ce changement : « l’émergence d’un nouveau cadre cognitif et normatif

(constitué de nouvelles valeurs/injonctions normatives, de nouveaux algorithmes) constitue l’indice d’une transformation de la politique et l’analyse de ce référentiel permet de questionner l’articulation entre le changement de la politique étudiée et un

changement plus global »142. Ces carences sont abordées dans notre travail à travers le

différentiel entre l’équité dans l’accès aux soins et l’efficacité dans la distribution des services, tout en explorant la responsabilité du modèle d’État social dans l’accentuation de ces inégalités.

Devant une situation du secteur de la santé soutenue par des structures verticales et standardisées, la défense d’une liberté individuelle inconditionnelle dans la réalisation du droit à la santé devient difficile à saisir face à la persistance des inégalités. L’analyse économique de la santé au Cameroun se révèle riche d’enseignements dans la mesure où elle permet de constater que la croissance ne profite pas aux pauvres, et n’a pas contribué à réduire les inégalités face à la santé. De 1961 à 1986, six plans quinquennaux ont été mis en œuvre avec des résultats très variables car, l’accent a été davantage mis sur le développement des infrastructures de base avec des objectifs sociaux portés sur la

142 MULLER P.(1995), « Les politiques publiques comme construction d'un rapport aux politiques publiques », Revue française de science politique, 2 (42), 219-234.

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densification de l’offre dans plusieurs secteurs sociaux dont la santé. L’abandon des plans quinquennaux au profit des PAS a entraîné de fait la disparition du cadre global de programmation des investissements de l’Etat. Ces nouvelles orientations (politiques dites d’ajustement structurel mises en place de 1986 à 1995), essentiellement de court terme, furent fortement préjudiciables au développement social malgré les tentatives de

facilitation, en ce sens que ces politiques visaient essentiellement la baisse des dépenses

publiques dans le secteur social, mettant en mal les objectifs de redistribution portées par les premières. Les politiques de relance et de réduction de la pauvreté lancées ces dernières années (depuis 1995) apparaissent comme un moyen de pallier cette carence en augmentant l’offre et en stimulant la demande à travers un cadre politique d’intervention dans le secteur social en prenant profit des transformations profondes du système de protection sociale.

Le recours à une approche compréhensive par le biais d’analyses quantitatives et qualitatives permettrait de mieux qualifier ces inégalités et de comprendre le jeu d’acteurs qui s’est exprimé au cours de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques publiques de santé. En revanche, même si ces analyses renseignent sur les inégalités, aborder les questions distributives en matière de santé sous l’angle de l’équité permettrait de mieux saisir comment les réformes économiques agissent sur les politiques de santé à partir des effets qu’elles produisent sur l’ensemble de la société. Les questionnements auxquels nous tentons d’apporter des éléments de réponses se resserrent autour des trois questions fondamentales suivantes:

1. Pourquoi (déclencheurs) et comment (dynamique) les politiques publiques de santé

sont-elles influencées et/ou transformées dans leur construction et leur mise en œuvre par les politiques économiques ?

2. Quels sont les effets/impacts du changement induit par le référentiel global (cadre

macroéconomique) sur le référentiel sectoriel qui exige une distribution de l’accès aux services de santé plus équitable ?

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3. Quels enseignements peut-on tirer de la connaissance des interrelations entre la

dynamique de réduction de la pauvreté et l’inaccessibilité persistante dans l’accès aux soins de santé pour une amélioration de l’évaluation des politiques publiques ?

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CHAPITRE 2

INFLUENCE DE LÉCONOMIQUE DANS LÉDITION ET LA