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Opérationnalisation du concept « politique publique »

EN MATIÈRE DE SANTÉ

2.1.1.1. Opérationnalisation du concept « politique publique »

Trouver une définition univoque et complète du concept politique publique est un exercice

peu aisé, compte tenu de son caractère pluridisciplinaire qui l’amène parfois à être appréhendé de diverses manières en fonction du contexte où il s’exprime : géographique, historique, socioculturel et disciplinaire. Cette notion, introduite dans le langage des sciences politiques et administratives européennes dans les années 70 comme traduction

littérale du terme public policy [LASSWELL, 1942]151 a rapidement donné lieu à une

multitude de définitions opérationnelles152.

La complexité qui entoure la définition et la structuration des politiques publiques trouve son explication dans le fait que ces dernières relèvent déjà d’un champ suffisamment vaste, conceptuellement et méthodologiquement instable dont les contours sont difficiles à circonscrire avec un certain degré de précision. Les politiques publiques se situent au confluent des dynamiques sociales, économiques, politiques, culturelles et historiques à partir desquelles elles empruntent leurs principales dimensions. Leur analyse relève par conséquent de domaines variés comme l’économie, la gestion, la sociologie politique, la science politique, etc. Les politiques publiques constituent de ce fait une matrice à

plusieurs entrées, et visent des objectifs variés dont la finalité est l’accomplissement de

l’être social [LASSWELL, 1942]153.

151 C’est en 1942 que Harold LASSWELL conçoit la Science de la politique (Policy science) comme une discipline distincte de la Science politique (Political science), LASSWELL affirme vouloir dépasser l’étude du politic qu’il considère comme l’étude « du gouvernement ou des associations qui essaient d’influencer le gouvernement », et préfère celle de la policy, à savoir « les décisions les plus importantes prises soit à l’échelon de la vie collective, soit à celui de la vie privée ». Ce qui l’amène dès 1970 à conceptualiser son modèle de la communauté d’analyse rationnelle à l’occasion du tout premier numéro de la revue Policy Science.

152 Dès le début des années 1980, une quarantaine de définitions surgissent et renforcent l’imprécision de ses contours ; car ces définitions diffèrent d’un auteur à l’autre, d’un organisme à l’autre et d’un contexte géographique à l’autre [THOENIG, 1985].

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Déjà, le concept « politique »154 ne se laisse pas facilement cerner. Certains prescrivent à

cet effet une définition minimale qui permet d’entrer dans le sujet sans trop en fixer les contours à l’avance, ce qui permettrait d’éviter l’enfermement ethnocentrique et d’atteindre un certain degré de généralité. Avant donc de se lancer dans un essai de définition du concept politique publique, il convient de distinguer les 3 sens qui peuvent

être attribués au mot politique en s’appuyant sur la langue anglaise.

La notion de politique désigne à la fois : (i) la sphère politique qui renvoie à l’ensemble

des acteurs et des institutions qui composent la cité (polity) ; (ii) l’activité politique qui

représente les relations de pouvoirs entre acteurs pour le contrôle de la cité (politic), et (iii)

l’action publique qui se rapporte à l’ensemble des interventions motivées et organisées de

manière cohérente par des acteurs individuels ou collectifs (policy). Cette dernière définit

donc les principales orientations d’une entité publique ou privée dans un domaine qui relève de la sphère publique. Elle trace le cadre général d’intervention dans lequel doivent s’inscrire toutes les actions à mener dans le secteur considéré.

La politique s’appuie sur les réalités nationales/locales et s’inspire des cadres de référence

internationaux. Dans son Traité de Science Politique, Jean LECA [1986]155 définit la

politique comme « l’ensemble des normes, mécanismes et institutions attribuant l’autorité, désignant les leaders, réglant les conflits qui menacent la cohésion de l’ensemble intérieur et organisant les relations avec l’extérieur (tout ceci avec plus ou moins de succès) ou encore l’instance où s’articulent depuis le début des rapports de

commandement – obéissance (le droit) et de puissance – soumission (la force) ». La

politique publique peut s’illustrer à travers un cycle organisé autour de 4 grandes étapes allant de la mise à l’agenda à l’évaluation, comme le montre le graphique 10 ci-après.

154 Politique dérive du grec Polis qui renvoi à la cité ; Politeia désigne l’art de gérer, d’administrer la cité, de vivre en société.

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Graphique 10. Le cycle d’une politique publique

Source :adaptée deKNOEPFEL et al., 2001156

a. La politique publique comme champ de problématisation de l’ordre politique et social

L’expression politique publique repose sur deux notions fondamentales : celle de l’Etat et

celle de son programme d’action. ARON [1975]157 lui accorde un sens qui renvoie à « un

programme, une méthode d’action ou l’action elle-même d’un individu ou d’un groupe

concernant un problème ou la totalité des problèmes d’une collectivité ». Dans un autre

sens, la politic s’appliquerait au domaine dans lequel rivalisent ou s’opposent les diverses

policies, se présentant comme un jeu mettant aux prises les individus ou groupes ayant

chacun leur policy, c’est-à-dire dotés d’objectifs, d’intérêts et de philosophies de la vie

publique le plus souvent divergents ou contradictoires. L’idée d’une résolution des

problèmes (problem solving) relève pour Harold Dwight LASSWELL [1970]158 de ce qu’il

nomme « le règlement des conflits fondamentaux » d’une société humaine. Car pour lui,

156 KNOEPFEL P., LARRUE C.,VARONE F. (2001), Analyse et pilotage des politiques publiques, Bâle, Helbling & Lichtenhahn, 2001.

157 ARON R. (1975), Démocratie et totalitarisme. Paris, Gallimard, 1965, cité in coll. « Idées », 21-22.

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les problèmes ne sont pas obligatoirement ceux d’une opérationnalité immédiate et purement technique, mais renvoient à la compréhension des enjeux sociaux.

L’imprécision de ses contours oblige donc à un effort de conceptualisation qui, par nature, est nécessairement subjectif. Son insolubilité dérive de sa vision stato-centrée, ce qui

amène Jean-Claude THOENIG [1978]159 à militer pour une substitution lorsqu’il évoque le

concept d’action publique. Dans un sens comme dans l’autre, ce qui fait débat, c’est

l’existence d’une politique publique comme un ensemble cohérent d’actions concertées qui se concentre sur des objectifs, des moyens et de leur adéquation en considérant ces actions comme à priori légales (suivant sa conception wébérienne) et résultant d’un processus décisionnel démocratique. La mise sur agenda correspondrait à la phase durant

laquelle une problématique passe au stade de problème public. Dès lors, il convient de

rechercher des solutions à ce problème160.

Yves MENY et Jean-Claude THOENIG [1989]161 définissent la politique publique comme

« un programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou

gouvernementales dans un secteur de la société ou un espace géographique : la santé, la

sécurité, les travailleurs immigrés, etc. ». Ils attribuent au concept cinq éléments

particuliers :

159 THOENIG J-C. (1978), Etude sociologique des organisations, La Recherche en Sciences Humaines : bilans et perspectives. Paris, CNRS, 128-131.

160 Selon Guy PETERS [1978] toute politique publique s’inscrit dans une logique de policy problem, c’est-à-dire la manière dont elle se pose aux décideurs politiques. Son analyse passe par 7 critères :(1) La définition du problème qui permet de savoir de quoi il s’agit et où il se situe (santé, éducation, habitat…), elle détermine la décision publique à trois niveaux : sémantique (définition des programmes), stratégique (configuration des acteurs) et systémique

(constitution d’un système d’actions) ; (2) La solution du problème qui dépend de son caractère aigu ou chronique. Il est d’autant plus difficile à résoudre politiquement qu’il touche à des valeurs morales et fondamentales ; (3) La complexité ou la simplicité politique ou programmatique du problème qui renseigne sur les acteurs impliqués et sur les programmes envisagés, sur le rôle de la politic dans la policy, sur les arguments utilisés par les acteurs pour convaincre ; (4) La magnitude du problème qui nous renseigne sur sa place dans les préoccupations de l’Etat, sur les ressources à mobiliser pour le résoudre, sur son impact au niveau de l’opinion publique ; (5) La divisibilité ou non du problème qui renseigne sur ses effets liés, sur sa multisectorialité, etc ; (6) La monétarisation, c’est-à-dire les ressources à mettre en œuvre pour résoudre le problème ; (7) La portée du problème : les problèmes politiques simples sont plus faciles à résoudre que les problèmes interreliés pour lesquels la résolution est plus complexe.

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i. un contenu, autrement dit les produits générés par l’ensemble des ressources mobilisées ; En d’autres termes, le travail gouvernemental produisant des résultats

concrets, ce qu’en anglais on désigne parfois du nom d’output ou d’outcome.

ii. un programme établi à moyen ou long terme dans lequel s’intègrent les actions menées, des éléments de décision ou d’allocation dont la nature est imposée par les actions gouvernementales à leur environnement, énoncé comme une règle verbale (discours) ou écrite (loi, circulaire). La coercition – dont l’autorité publique a l’exclusivité – est un facteur structurel qui sous-tend l’action gouvernementale ;

iii. une orientation normative qui correspond aux finalités et aux préférences

déterminées par les décideurs publics ; elle désigne un cadre assez général d’actions qui n’exclut pas la prise en compte des stratégies ponctuelles ou isolées. Il convient cependant de noter que toutes les politiques publiques ne sont pas fondées sur des perspectives explicitement définies ;

iv. un facteur de coercition dans le sens où la nature autoritaire investie par le gouvernement lui confère une légitimité ; elle affecte, par son contenu, son impact, un certain nombre d’individus, de groupes ou d’organismes dont l’intérêt, la situation ou le comportement s’en trouvent modifiés ;

v. un ressort social, c’est-à-dire l’ensemble des individus, groupes et institutions qui entrent dans le champ de cette intervention publique ; elle est normative car elle doit atteindre des objectifs pour satisfaire à des intérêts.

Un tel guide théorique s’accorde avec la démarche pragmatique qui n’est toutefois pas facile à respecter dans la pratique, lorsque l’on se retrouve confronté à des situations concrètes. De nombreux auteurs différencient les notions de « politique publique » et de « programme d’action gouvernemental », car l’inconvénient de cette approche est de ne rien dire de la genèse sociale des politiques publiques. Cette vision met également en exergue le confinement au stato-centrisme dans l’action publique, en considérant l’État comme un acteur rationnel (obéissant aux principes de transitivité des préférences et d’adéquation des moyens aux fins). Pourtant, l’approche stato-centrée repose sur 2

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postulats essentiels : (i) l’homogénéité des États, appréhendés comme des acteurs unitaires et ; (ii) la nature de leurs préférences, qui apparaissent soit déterminées de manière exogène au système politique, soit définies par le produit des jeux politiques domestiques [HOOGLE et MARKS, 2002]162.

b. La politique publique comme champ de conceptualisation de l’action collective

S’inspirant à la fois des approches néo-marxiste et néo-corporatiste, Pierre MULLER et

Yves SUREL [1998]163 ont utilisé l’approche de référentiel pour tenter une lecture

constructiviste des politiques publiques. Ils prescrivent alors que : « faire une politique, ce

n’est donc pas résoudre un problème, mais construire une nouvelle représentation des problèmes qui met en place les conditions sociopolitiques de leur traitement par la société

et structure par là même l’action de l’Etat ».

JOBERT et MULLER [1987] proposent l’abord des politiques publiques à partir de leur signification sociale. Se dotant du concept de référentiel pour analyser les idées et les intérêts présidant l’action publique, ils distinguent deux niveaux qui interagissent et qui

ont leur propre logique de reproduction. Le référentiel global (RG) qui est une image

sociale, une représentation globale de toute la société autour de laquelle vont s’ordonner,

se hiérarchiser les différentes représentations sectorielles d’une part et, un référentiel

sectoriel (RS) qui peut se définir comme la représentation que l’on se fait du secteur ainsi

que de sa place et de son rôle dans la société, d’autre part. La dynamique entre le global et

le sectoriel ou Rapport global-sectoriel (RGS) conditionne la manière dont les politiques

publiques vont se construire et se déconstruire suivant les impératifs du secteur et du

global. En ce sens, l’analyse des politiques publiques permet de comprendre l’« Etat en

action » et en interaction avec différents groupes [HASSENTEUFEL,2008]164.

162 HOOGLE L.,MARKS G. (2002), « The Types of Multi-Level Governance », Cahiers européens de sciences po, n°3, 2002.

163 MULLER P., SUREL Y. (1998), L'analyse des politiques publiques, Montchrestien, Paris.

164 HASSENTEUFEL P. (2008), L’Etat mis à nu par les politiques publiques, dans B.BADIE et Y.DELOYE (dir), Le temps de l’Etat. Hommage en l’honneur de PierreBIRNBAUM, Paris, Fayard, 311-329.

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Sur un autre registre, en s’intéressant aux rapports entre les pouvoirs publics et les groupes

sectoriels défendant leurs intérêts particuliers, PierreMULLER [2000] met en relief le jeu

de relations entre les différents acteurs et décrit les politiques publiques comme « un

processus de médiation sociale qui modifie l’environnement culturel, social ou

économique d’acteurs sociaux, en général saisis par une logique sectorielle »165. Il

s’éloigne ainsi de la simple dimension fonctionnaliste pour une approche néo-institutionnaliste qui formule explicitement la relation acteur/structure de manière à rester en compatibilité avec une sociologie compréhensive de l’action, se rapprochant ainsi de la

théorie wébérienne [WEBER, 1971]166 qui postule que « la compréhension de la réalité

historique et sociale se fait à partir du sens subjectivement jugé par l’agent, ce que la

sociologie pourrait expliquer comme étant les déterminants de l’action » [SCHLUCHTER,

2005]167.

Certains auteurs insistent davantage sur le rôle procédural (notamment la gouvernance publique) des politiques publiques dans la régulation de l’ordre social, car, les politiques publiques se fabriquent dans des lieux bien définis et avec des règles particulières. Ces 2 dimensions (gouvernance et régulation) confèrent aux politiques publiques un rôle de légitimation qui passe nécessairement par la reconnaissance par les citoyens de principes

et de normes. Les politiques publiques se confèrent donc un rôle de « maintien d’un ordre

social durable passant par leur acceptation par des sujets capables de jugements »

[JOBERT etMULLER, 1987]168. Les processus politiques sont dans ce sens compris comme

« la médiation des sphères au sein d’une société », suivant l’expression de CAILLE

[1981]169 qui assimile la politique publique à « un rapport des sociétés à leur propre

indétermination et un mode de liaison de divers ordres ».

165 MULLER P. (2000), « L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l'action publique », Revue Française de Science Politique, 50 (2), 189-207.

166 WEBER M.(1971), Economie et Société, trad. française, Paris, Plon.

167 SCHLUCHTER W. (2005), « Action, ordre et culture. Eléments d’un programme de recherche wébérien », Revue française de sociologie, 4, 653-683.

168 JOBERT B., MULLER P. (1987), L’Etat en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, PUF, 242 p. 169 CAILLE A. (1981), « La sociologie de l’intérêt est-elle intéressante », Sociologie du Travail, no4.

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Les politiques publiques sont dans cette logique guidées par une approche plus holistique et portent des solutions structurelles contrairement aux interventions publiques qui sont généralement planifiées pour faire face à une situation donnée, dans la plupart des cas conjoncturelles et brèves. Elles passent nécessairement par une certaine régulation du marché, l’adoption des mesures et la mise en place d’un système adapté avec la participation de l’ensemble des acteurs (Etat, secteur privé, organisations de la société civile, collectivités locales et ménages) sous le leadership de l’autorité établie.