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L’encastrement social de la santé : vers un nouveau référentiel sectoriel en faveur de l’accessibilité ?

EN MATIÈRE DE SANTÉ

2.2. E XPLICATIONS DU CHANGEMENT DES POLITIQUES DE SANTÉ SUIVANT LES HYPOTHÈSES DE L ’« AJUSTEMENT PAR

2.2.1.3. L’encastrement social de la santé : vers un nouveau référentiel sectoriel en faveur de l’accessibilité ?

La compréhension de la dynamique de façonnement du référentiel sectoriel de la santé qui exprime une démarcation entre le modèle classique curatif et l’égalisation des chances d’accès et de traitement pour toutes les catégories permet, non seulement d’appréhender la construction d’un modèle plus social de la santé, mais aussi le degré de recentrage de la question de l’accessibilité aux soins dans le discours international. L’évolution de ce schéma comme référence internationale s’est faite progressivement autour des idéologies émergentes au fur et à mesure que les logiques d’action se construisaient (à travers les modèles de la santé présentés à la section précédente – 2.2.1.2.) pour régler la contrariété d’une efficacité immédiate et d’un pragmatisme de l’action en faveur de l’équité.

L’approche dénommée « promotion de la santé » définie dans la Charte d’Ottawa de

l’OMS [1986] offre un cadre théorique et d’intervention qui se veut global et cohérent, et conçoit les stratégies de manière synergique, prenant à témoin la multi-causalité des

déterminants de la santé en référence au modèle LALONDE. Cette Charte définit la

promotion de la santé comme « un processus qui confère aux individus et aux

populations les moyens de gérer ou d’améliorer leur propre santé ». L’interventionnisme

étatique ne devrait plus simplement être directif, mais accompagnateur, d’où l’émergence

des vocables d’enabling (facilitant) et d’empowerment (habilitant) qui confèrent aux

populations le pouvoir d’acquérir une autonomie et d’assumer leurs responsabilités en matière de santé. Cette approche se fonde sur l’objectif de réduction des inégalités de santé à travers une combinaison de mesures visant les déterminants et les mécanismes de formation des inégalités sociales de santé : actions en amont sur les déterminants de l’état de santé, et en aval sur la qualité de services et l’accessibilité aux soins curatifs et préventifs.

L’accès aux soins renvoie aux possibilités de parvenir à un état de santé optimal en bénéficiant de tous les accompagnements médicaux et médico-sociaux existants, qu’ils soient préventifs, curatifs ou promotionnels, ce qui intègre les notions de volume de soins, de trajectoires suivies et de qualité de soins reçus du système en place. La notion d’accessibilité intègre donc les comportements de recours thérapeutique ainsi que la

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capacité du système à offrir les différents services nécessaires à la santé et au bien-être de chacun. Face à un tel modèle, les actions sur les inégalités s’orientent vers des politiques publiques qui prônent la mise en place des dispositifs participatifs ou à assisse communautaire permettant de susciter la demande de santé et des interventions au niveau du système de santé permettant d’améliorer la quantité et la qualité de l’offre.

Les Chartes d’Ottawa (1986) puis de Jakarta (1997) ont permis aux instances internationales d’élargir la signification des concepts relatifs à la santé, pour les adapter aux évolutions sociétales et les traduire ultérieurement en mesures concrètes (tableau 6).

Ainsi, la santé, initialement comprise comme l’absence de maladie, se comprend

désormais comme « une ressource de la vie quotidienne, et non le but de la vie ; un

concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les

capacités physiques » [OMS, 1986]224. Les besoins des populations ne recouvrent plus

seulement des concepts pathologiques, mais aussi des indicateurs de santé positifs, une analyse des relations avec la communauté et l’environnement, un capital santé évolutif, etc.

Sans se départir complétement des valeurs d’efficacité et d’efficience, les deux Chartes qui marquent l’histoire de la santé publique mondiale restent basées sur le même appareillage théorique qui mobilise le système de santé ainsi que les déterminants médicaux et non médicaux de la santé pour permettre une meilleure compréhension des facteurs favorables à l’évolution de l’état de santé. Ce cadre a conduit, aux niveaux régional et national, à la définition des engagements qui vont guider les réformes en matière de santé, dont : la Charte de développement sanitaire faisant des SSP la stratégie

essentielle en vue d’atteindre l’objectif de Santé pour Tous en l'an 2000 (Alma-Ata,

1978) ; le développement des systèmes de santé à trois niveaux (Conférence de Lusaka, 1985) ; l’adoption du système de santé de district décentralisé (Conférence Interrégionale de l’OMS à Harare, 1987) ; la Déclaration sur la santé comme pierre angulaire du développement (Sommet des Chefs d’État de l’OUA, 1987) et la réorientation des SSP en tant qu’initiative de relance de la stratégie définie à la conférence d’Alma-Ata (Conférence de Bamako, 1987).

224 ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE – OMS (1986), Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. WHO/HPR/HEP/95.1. OMS, Genève, 1986.

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Tableau 6. Chartes de l’OMS pour la promotion de la santé

Charte d’Ottawa (1986) Charte de Jakarta (1997)

- Etablir une politique publique saine.

- Créer des milieux favorables à la santé.

- Renforcer l’action communautaire pour la santé.

- Acquérir des aptitudes individuelles.

- Réorienter les services de santé.

- Promouvoir la responsabilité sociale pour la santé. - Augmenter les investissements pour le

développement sanitaire.

- Développer les partenariats pour promouvoir la santé.

- Accroître les capacités des communautés et donner des moyens d’agir aux individus.

- Mettre en place une infrastructure de promotion de la santé.

2.2.2. La construction économico-dépendante de la politique publique (SSS) et la mise à mal du référentiel d’accessibilité

Comme un champ où se multiplient les rationalités pouvant s’affronter, l’analyse des politiques publiques se fonde sur des théories purement décisionnistes de l’Etat, qui considèrent la décision politique comme le résultat d’un choix rationnel entre plusieurs

options possibles [SUREL, 1998]225. Si l’on considère le processus d’élaboration des

politiques publiques comme l’occasion du déploiement des stratégies par les acteurs qui partagent des préférences théoriques et normatives souvent différentes, il est également opportun de le percevoir comme un enjeu de pouvoir au sens large. L’analyse des politiques publiques nécessite donc un effort de compréhension de la normativité qui s’impose à travers les schémas interprétatifs qui font référence dans le secteur. Parfois, on peut être amené à insister sur les processus non rationnels qui aboutissent à la décision politique et qui expliquent les évolutions asymétriques entre le global et le sectoriel.

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L’absence d’une instance formelle de concertation intra- et intersectorielle aux différents niveaux de la pyramide sanitaire et la faiblesse du rôle joué par l’Etat dans la régulation du

secteur226 figurent au rang des causes des changements peu mûris observés qui ont amené

l’action publique à s’aligner systématiquement aux priorités des dispensateurs d’aide et des mécanismes financiers internationaux. Il ne s’agit cependant pas de la cause unique, ni même probablement de la cause principale. Comme déjà passablement évoqué dans les discussions précédentes, les questions récurrentes de la distribution très inégalitaire des

soins, de la marchéisation de cette dernière et des effets négatifs qui en résultent,

expliquent le constat d’un éloignement progressif des principes originels de l’IB dont la mise en œuvre conserve un caractère inachevé.

La caution du référentiel dans ce cadre découle de regroupements issus de deux types de relais : l’économie de la santé, productrice d’un langage le plus souvent d’obédience néoclassique (porté par la communauté financière internationale), et l’édiction internationale (diffusée par les organisations internationales qui promeuvent le développement humain) génératrice de chiffres et du corpus théorique en faveur de l’accessibilité. La production de modèles et d’argumentaires par ces derniers met en place des ressources théoriques d’élaboration des politiques publiques tout en fabriquant les outils des réformes (les changements institutionnels). Nous nous positionnons sur un châssis analytique qui a l’avantage de faciliter non seulement la compréhension des métalangages des représentations marchandes qui pèsent sur le référentiel sectoriel, mais

aussi de leurs interactions avec le « sens commun réformateur » véhiculé par les

institutions considérées comme étant légitimes au regard de l’objectif poursuivi (l’Organisation Mondiale de la Santé dans notre cas). L’approche de l’ajustement par le haut nous amène à centrer notre analyse sur les lieux d’élaboration de la SSS comme modèle de politique publique, et non sur la réinterprétation et la traduction par les acteurs locaux. Les interviews sur le terrain à travers une grille d’analyse exploratoire concourent donc uniquement à valider les critiques auxquelles le processus politique est soumis. Les

226 Le consensus est presque acquis sur l’absence d’un pilotage et d’une coordination véritable du secteur, actuellement cadré par la SSS. Le document de SSS prévoyait la mise en place d’une cellule de pilotage d’appui technique au Minsanté, organe qui n’a vu le jour à mi-parcours (2006), L’effectivité de cette structure et son opérationnalité ne se font pas encore ressentir, ce qui reste dommageable pour l’ensemble des acteurs. Le cadre conceptuel de pilotage méthodologique et programmatique annoncé n’a été validé qu’en 2008. La multiplication des comités visant à formaliser divers aspects de la réforme du secteur traduit également le peu d’appropriation et la faible capitalisation des études réalisées par les différents partenaires.

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débats qui ont mis en scène les acteurs se situent au niveau des fora qui sont des lieux où

la confrontation de représentations « se déroulent autour d’enjeux et de règles

d’argumentation spécifiques » [JOBERT et THERET, 1994]227 qui dans le cas présent

peuvent être assimilés à une forme de communautés de politique publique.

L’approche des « communautés épistémiques » offre un cadre d’analyse pertinent en ce sens qu’elle s’attache au processus par lequel le consensus est atteint au sein d’un domaine d’expertise donné, et à partir duquel la connaissance consensuelle est diffusée à d’autres

acteurs [HAAS, 1992]228. C’est pourquoi nous essayons de déterminer quelles

connaissances font l’objet d’un consensus au cours du processus politique (policy process)

et dans quels cercles se produisent et se diffusent des convictions partagées qui vont l’influencer. L’objet est de répondre à trois questions spécifiques : Qui sont les médiateurs et comment sont-ils amenés à exercer leur rôle de médiation? Quels sont les ressorts des conflits auxquels ils se confrontent? Quels moyens ces supposés médiateurs mobilisent-ils pour gérer les frictions à l’épreuve?