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Les relations roumano-suisses dans la première moitié de 1940

Chapitre 3 : LE DÉFI DES NEUTRALITÉS ROUMAINE ET SUISSE (mai 1938-

B. Les particularités de la neutralité helvétique

II. L’adaptation des relations économiques roumano-suisses à l’épreuve de la guerre

4. Les relations roumano-suisses dans la première moitié de 1940

En décembre 1939, le ministre suisse en Roumanie rapporta aux autorités fédérales, à Berne, des pressions diplomatiques exercées par les Allemands sur le gouvernement de

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AFB, E 7110 (-), 1967/32/1795, Mémoire de la Société roumaine Simex S.A., à l’attaché de la Légation suisse, Zuber, Bucarest, le 11 octobre 1939.

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AMAE, Probl. 70-71, Elvetia/vol 1, Notice sur les réglementations de paiements…, Bucarest, le 2 novembre 1939, p. 1.

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AFB, E 2400/7, Rapport de gestion de la Légation de Suisse en Roumanie, pour l’année 1939. 284

Ibidem, E 7110 (-), 1967/32/1795, Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil fédéral, le 10 novembre 1939.

Bucarest afin de faire augmenter les exportations de bétail et des céréales sur le marché allemand285. Cela toucherait indirectement les intérêts suisses lorsque le gouvernement roumain se déciderait à introduire des mesures protectionnistes, telle la limitation des exportations vers d’autres pays. Le ministre suisse observa que les Britanniques avaient acheté d’importantes quantités de produits pétroliers, mais les Allemands se préparaient à augmenter leurs importations, grâce au rétablissement du transport par rail à travers les régions polonaises286. R. de Weck s’attendait à ce que les intérêts suisses fussent à nouveau touchés par l’offensive économique allemande sur le marché roumain. Il entrevit clairement le moment où le pétrole constituerait la seule monnaie d’échange dans les relations roumano- allemandes287.

A plusieurs reprises, les Britanniques organisèrent des actions de sabotage pour empêcher le ravitaillement de la machine de guerre allemande en produits pétroliers roumains. R. de Weck fut aussi informé de leurs plans visant à la destruction des raffineries de pétrole roumaines et à la destruction des chalands pétroliers allemands288. Quant aux Allemands, ils accusaient les services secrets britanniques et demandaient au gouvernement de Bucarest d’assurer la sécurité des gisements et des usines pétroliers.

Malgré les pressions diplomatiques et économiques allemandes sur le marché roumain, la Suisse devint un des principaux partenaires commerciaux de la Roumanie. Durant le premier trimestre de l’année 1940, elle était le 4e importateur de céréales de Roumanie, après l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne. Mais la capacité suisse d’achat restait en dessous des disponibilités roumaines d’exportation289. En échange, la Roumanie était devenue un des principaux fournisseurs des produits agricoles et pétroliers de la Suisse.

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Ibidem, E 2300/vol. 103, R. de Weck, Rapport politique no 47 de la Légation suisse, Bucarest, le 13 décembre 1939, pp. 1-2. 286 Idem. 287 Ibidem, p. 2. 288 Idem. 289

Finante si industrie (17), an VIII. Bucarest, le 28 avril 1940, p. 525. Dans le premier trimestre de l’année 1940, les exportations roumaines de céréales se dirigèrent comme suit : l’Allemagne 123 074 tonnes ; l’Italie 114 840 tonnes ; la Grande-Bretagne 60 905 tonnes ; la Suisse 17 882 tonnes ; la Grèce 13 918 tonnes ; la Hongrie 6631 tonnes.

Les principaux fournisseurs de la Suisse, 1939-1940290 (valeur en mio de frs)

Au début de 1940, Hermann Neubacher, ancien maire de Vienne, fut nommé « chargé spécial » des affaires économiques auprès de la légation allemande à Bucarest. Afin de stimuler les intérêts roumains pour le commerce avec l’Allemagne, il proposa au ministre roumain de la Dotation de l’armée, Victor Slavescu, d’adopter le principe des échanges «armes contre pétrole », soit l’achat d’armement allemand (antichars, artillerie lourde, avions, artillerie antiaérienne, armes automatiques) en contrepartie de produits pétroliers roumains, au prix d’achat d’octobre 1939291. Lorsque le ministre roumain déclina l’offre allemande, Neubacher ordonna l’arrêt des exportations allemandes d’armement vers la Roumanie. L’impact psychologique sur les milieux gouvernementaux roumains fut immédiat292. La même tactique sera ensuite appliquée à la Suisse. Afin de l’obliger à signer un nouvel accord économique et à arrêter les livraisons de guerre vers les Alliés, le Reich allemand lui coupa toutes les fournitures de charbon293.

Sous la menace de la force, le gouvernement roumain accepta la signature d’un accord économique provisoire avec l’Allemagne, le 7 mars 1940. Fin mars, la Grande-Bretagne (39%) restait encore le premier client du marché pétrolier roumain, alors que l’Allemagne (9%) n’occupait que la troisième position, après l’Italie (10%) et avant la France (4%)294. Les Français se montrèrent irrités et accusèrent les dirigeants roumains d’avoir accepté, malgré leur politique de neutralité, de livrer du pétrole aux Allemands295. Pour leur part, les milieux

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Cf. Rapports annuels de la statistique du commerce suisse 1939-1940. Direction générale des douanes, Berne; La statistique historique de Suisse. Zurich, Chronos, 1996.

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HILLGRUBER, A.: op. cit., p. 119. 292

Idem. 293

BONJOUR, E.: op. cit. (VI), p. 205. 294

Finante si industrie (22), an VIII. Bucarest, le 9 juin 1940, p. 657. 295

BIBESCU, Martha : Jurnal, op. cit., p. 161.

FROMENT ORGE MAÏS ESSENCE,

BENZOL

PETROLE Argentine 8,7 Argentine 9,6 Argentine 14 Roumanie 11,4 Indes néerland. 8,8 Canada 19,8 Danemark 2,4 Roumanie 0,5 Indes néerland. 5,9 Roumanie 7,7 Hongrie 12 URSS 2,3 Afrique du Sud 0,4 Etats-Unis 5,2 Etats-Unis 4,4

Roumanie 6,7 Roumanie 1,9 – – –

officiels roumains critiquaient la France et la Grande-Bretagne pour leur attitude conciliante avec l’Allemagne nazie296.

Le 4 mars, le gouvernement roumain adopta de nouvelles mesures, destinées à contrôler la production agricole et de matières premières, les prix des produits autochtones et des importations. Le 10 mars, il introduisit un nouveau régime pour les devises étrangères librement convertibles afin de stimuler les exportations et l’accumulation de devises. La BNR était autorisée à payer aux exportateurs, pour toutes les exportations effectuées en devises libres ou en devises convertibles en or, une prime supplémentaire de 50% au cours officiel des devises étrangères, à laquelle s’ajoutait la prime de 38%. Ce supplément devait s’appliquer aux pays liés à la Roumanie par des accords de paiements, de clearing, de transfert, prévoyant un quota en devises libres au profit des exportateurs.

En cherchant des alternatives à la production pétrolière, les autorités roumaines (MCE) prévoyaient de remplacer le pétrole par le mazout et par d’autres combustibles qui se trouvaient en abondance dans le pays297. Le mazout pouvait être utilisé pour les chemins de fer, le service de navigation, le chauffage central et l’industrie. Quant à la production agricole, le gouvernement roumain assuma les pleins pouvoirs pour imposer une direction à la mobilisation de l’économie roumaine afin d’accroître les exportations de céréales et d’assurer les besoins internes. Dès le 31 mai, le MEN commença à diriger la production, la circulation des produits et des marchandises nécessaires à l’armée et à la population civile.

A la suite des succès militaires allemands en Occident, la Roumanie signa le 29 mai l’accord définitif de clearing avec l’Allemagne (le Pacte pétrole-armement). L’Allemagne autorisait ainsi la continuation des livraisons d’armement de France et des usines tchèques vers la Roumanie. En juin, face à la double menace de l’étouffement économique et de l’invasion militaire, la Suisse se vit aussi contrainte de signer un accord commercial avec le Reich allemand.

Dans le nouveau contexte politico-économique roumain (cessions territoriales, pressions allemandes sur le marché roumain), les exportations de produits pétroliers vers la Suisse baissèrent. Jusqu’à la signature d’un nouvel accord bilatéral, elles s’élevèrent à 47 190 tonnes,

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GAFENCO, G : Préliminaires..., op. cit., p. 322. En qualité d’ancien ministre des Affaires Etrangères, Gafenco avait reproché à la Grande-Bretagne son attitude par rapport à l’offensive économique allemande. En abandonnant les pays situés dans l’espace euro-danubien et balkanique, la Grande-Bretagne fut accusée d’avoir fait le jeu de la propagande allemande, alors que celle-ci misait fortement sur la menace soviétique. Ainsi, la puissance britannique avait sa part de responsabilité dans le glissement de la Roumanie dans la sphère de contrôle allemande.

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soit moins de la moitié du total des importations suisses de Roumanie par rapport à la même période de l’année précédente.