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Chapitre 2 : LES RELATIONS ROUMANO-SUISSES DANS LA NOUVELLE EUROPE

B. Le contexte interne et externe de la Suisse neutre

2.4. La diplomatie culturelle roumaine en Suisse (1928-1932)

2.4.2. Liens et échanges intellectuels roumano-suisses

Blaga côtoyait les cercles intellectuels suisses et il fit connaissance avec Ramuz, Max Richner, Robert de Traz, Hermann Hesse et Hugo Marti. Celui-ci avait vécu en Roumanie

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AMAE, fonds L. Blaga, Rapport du Service de la presse de la Légation de Roumanie en Suisse, Berne, le 17 février 1930. In: Turcu, Constantin: Lucian Blaga sau fascinatia diplomatiei. Bucarest, Ed. Enciclopedica, 1995, pp. 36-38. 61 Ibidem, p. 162. 62 Ibidem, p. 39, et la note 12. 63 Ibidem, p. 161.

plusieurs années comme précepteur des enfants du prince N. G. Cantacuzino. Il avait aussi appris le roumain et s’était introduit dans la société et l’ambiance de Bucarest. Ensuite, Marti se lança dans le journalisme et la littérature et devint rédacteur du feuilleton au journal bernois Der Bund. Il publia ses souvenirs dans un livre intitulé Rumänische Intermezzo (Berne, Ed. Francke, 1926)64 et les nouvelles «Jelena» et «Sonja» (1928). Celles-ci furent ensuite réunies dans le volume Rumänische Mädchen65. Marti traduisit également du roumain en allemand le drame Mesterul Manole de Blaga.

Dans le domaine des échanges, Blaga encouragea des voyages d’études et des visites réciproques et organisa plusieurs événements culturels roumains en Suisse. En septembre 1928, le professeur E. Wetter-Arbenz de l’Université populaire de Zurich ouvrit un cycle de conférences sur la Roumanie66. En 1929, le professeur de romanistique Karl Jaberg, de l’Université de Berne, fut invité à l’Université de Cluj. En mars 1930, il présenta une conférence sur Eindrücke über meine Reise in Rumänien devant l’association littéraire Pen- Club à Berne67.

En janvier 1930, sur la proposition de l’Association d’amitié helvético-roumaine, la légation roumaine soutint un programme de projections cinématographiques roumaines à Genève. En mars 1931, L. Blaga et Hermann Hauswirth organisèrent à la Société d’ethnographie Gesellschaft für Volkskunde, à Berne, une soirée lyrique dédiée à la poésie et à l’art populaire roumain68. Une action similaire eut lieu en février 1932, à Zurich, dans le cadre de l’association culturelle Literarischer Klub des Lesezirkels Hotingen dont le président était l’écrivain Max Geilinger. L’écrivain Hauswirth fit une conférence et lut des ballades roumaines dont Toma Alimos, Miorita, Cladirea manastirii Arges, la légende Soarele si Luna et des cantiques de Noël furent interprétés. Mme Hauswirth lut, dans sa langue maternelle, la balade roumaine Miorita, suivie de chansons folkloriques.

En mai 1930, le président de l’Université de Bucarest, Nicolae Iorga, fut invité aux Universités de Zurich et de Berne. Il y donna deux conférences sur l’histoire des Roumains. Le 8 mai, à l’Université de Zurich, il fit une conférence sur Les limites de l’idée de

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Intermezzo romanesc ou Cartea amintirii, trad. L. Blaga, Biblioteca Dimineata, Bucarest, Ed. Adevarul, 1931 ; Intermezzo roumain. Les Cahiers romands, 2e série, Payot, 1933.

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La fille de Blaga, Dorli Blaga, publia un volume dédié à la mémoire de l’amitié entre Lucian Blaga et Hugo Marti : Im Zeichen der Freundschaft, Bucarest, Ed. Kriterion, 1985.

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AMAE, 71/Elvetia/vol. 32, Note adressée à l’Agence Rador à Bucarest, le 26 septembre 1928. 67

Ibidem, vol. 31, L. Blaga, Rapport d’activité, Berne, le 10 mars 1930. 68

nationalité. Ensuite, le 17 mai, à l’Université de Berne, il évoqua Les combats des paysans pour la liberté au XIVe siècle; le combat de Sempach, en Suisse, et celui de Posada, en Roumanie69. Dans l’auditoire, il y avait notamment le président de la Confédération helvétique Jean-Marie Musy, le chef de la diplomatie suisse Giuseppe Motta, l’ambassadeur de France, des professeurs, des étudiants et des journalistes. De retour à Bucarest, Iorga publia plusieurs articles sur les éléments (linguistiques, historiques, économiques) de rapprochement entre Roumains et Suisses.

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La Société des Nations offrit un cadre idéal pour la continuité de la politique de l’intérêt national de la Roumanie et de la Suisse sur le plan international. La Roumanie a adopté deux différentes approches envers le forum genevois, l’une réaliste et l’autre idéaliste et moraliste. D’un côté, elle surestima le rôle de la SdN en ce qui concerne l’établissement des règles du jeu entre les grands acteurs, la sanction de leur mauvais comportement politique et la création d’une attitude de solidarité entre les grandes puissances et les petits pays dans le maintien de la paix internationale. D’un autre côté, les stratèges de Bucarest poursuivirent avec pragmatisme la création des réseaux d’alliances politico-militaires défensives, au niveau bilatéral et régional. Cette politique s’appuyait sur la nécessité d’assurer la protection des frontières nationales roumaines et sur la perception de l’insuffisance de la SdN devant la contestation de l’ordre international par les révisionnistes.

La diplomatie suisse, plus rodée que la diplomatie roumaine dans les institutions internationales, poursuivit la défense des intérêts nationaux du pays par la participation aux décisions de politique internationale et par la contribution à l’adoption des instruments juridiques pour limiter le recours à la guerre. En même temps, l’adoption d’une politique de neutralité ouverte vers l’extérieur s’appuya sur une approche idéaliste du rôle de la Suisse dans l’arène des grandes puissances. Malgré leurs différentes attitudes politiques, Titulescu et Motta avaient des mots appréciatifs l’un envers l’autre et, dans certains cas, ils se sont réciproquement appuyés dans les jeux institutionnels à la SdN.

Par rapport à ses richesses naturelles et aux opportunités commerciales, la Roumanie attirait davantage les intérêts suisses. De même, la Suisse avaient des arguments économiques et financiers sur le marché roumain. Dès 1933, le système de clearing facilita les échanges et les paiements mais il immobilisa aussi d’importants montants dans les comptes roumains ouverts à la BNS. Dès 1937/8, cet inconvénient fut partiellement réglé par l’introduction d’un système dit « en cascades » et « la clause d’or ».

L’amélioration du statut juridique, économique et professionnel des émigrés suisses en Roumanie (1930; 1933; 1938) contribua au maintien des bonnes relations diplomatiques roumano-suisses. En revanche, la transformation des journaux suisses en cheval de bataille de la propagande magyare révisionniste devait soulever

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IORGA, N.: «Paralelisme helveto-romane». In: Revista Academiei Romane, Sèrie III, tome XX. Memoriile Sectiunii istorice, 1938, p. 349.

les inquiétudes du gouvernement roumain. Dans ce contexte, le poste de Berne eut une importance politique et médiatique pour la diplomatie roumaine en Occident. L’attaché roumain de presse, Lucian Blaga, par sa personnalité et ses initiatives, contribua beaucoup à l’amélioration des relations culturelles et de l’image de la Roumanie en Suisse. Cependant, son approche pragmatique de la diplomatie culturelle roumaine se heurta à l’attitude passive des autorités compétentes de Bucarest quant à la nécessité d’organiser un service de presse et de propagande en Suisse.

DEUXIÈME PARTIE

LES RELATIONS ROUMANO-SUISSES DANS LE « NOUVEL ORDRE EUROPÉEN »

« Comment peut-on espérer l’« ordre nouveau » et le salut de l’Europe d’un peuple qui a pris pour emblème un oiseau de proie perché sur une quadruple potence ?»*

« Le paradoxe d’aujourd’hui sera la vérité de demain. L’Allemagne, après avoir remporté les plus grandes victoires terrestres que l’Histoire ait jamais connues, perdra cette guerre déchaînée par la folie de son « Führer ». » ∗∗

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WECK, René de : Journal de guerre (1939-1945), éd. Simon Roth. SHSR&La Liberté, 2001, la note du 6 octobre 1941, p. 226.