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Réactions roumaines et suisses lors de la crise tchécoslovaque

Chapitre 3 : LE DÉFI DES NEUTRALITÉS ROUMAINE ET SUISSE (mai 1938-

B. Les particularités de la neutralité helvétique

1. Les enjeux de la diplomatie suisse en Roumanie (mai 1938-avril 1940)

1.2. Réactions roumaines et suisses lors de la crise tchécoslovaque

En invoquant le droit à l’autonomie de plus de trois millions d’Allemands des Sudètes, le 12 septembre 1938, Hitler s’attaqua à la Tchécoslovaquie. Le différend allemand eut des conséquences fâcheuses sur l’attitude d’autres pays révisionnistes comme la Hongrie. Il n’était pas difficile d’entrevoir que la Hongrie soulèverait elle aussi le problème de la minorité magyare vivant sur les territoires de la Tchécoslovaquie, de la Roumanie et de la Yougoslavie. Désormais, la défense des frontières nationales devint un défi et une faiblesse de la diplomatie roumaine. Dans ce contexte, l’observateur suisse, à Bucarest, prévit que la neutralité roumaine ne serait qu’une position de circonstance48.

Soucieux de trouver un compromis pour sauver la paix, les représentants des grandes puissances démocratiques proposèrent une conférence à Quatre, comprenant aussi les représentants de deux puissances de l’Axe, à Munich. La conférence fut ouverte le 29 septembre, alors que ni l’URSS, ni les pays directement concernés n’y avaient été invités. Les deux partisans de la politique de conciliation avec l’Allemagne, Chamberlain et son homologue français, Daladier, finirent par sacrifier l’intégrité de la Tchécoslovaquie devant les prétentions du Führer49.

Les milieux helvétiques suivirent avec beaucoup d’inquiétude le déroulement de la nouvelle crise en Europe. La Confédération helvétique était liée à la Tchécoslovaquie par de nombreux intérêts commerciaux et beaucoup de similitudes politiques et géostratégiques. Par conséquent, la crise tchécoslovaque eut un impact psychologique profond sur les Suisses50. Du côté du Conseil fédéral, on se contenta de prendre connaissance des notes allemandes et quelques mesures militaires furent aussi adoptées51. La frontière suisse avec l’Allemagne fut fermée afin de dissuader les clandestins. Plus important, il fut envisagé l’organisation de détachements d’alarme et la mobilisation des troupes de couverture. Toutefois, la puissance allemande n’était pas encore perçue comme une menace sérieuse pour la sécurité nationale de l’Helvétie52.

48

AFB, E 2300/103, R. de Weck, Rapport politique no 17 de la Légation suisse, Bucarest, le 19 septembre 1938, p. 4.

49

DUROSELLE, J.-B.: op. cit. (10e éd.), p. 227. 50

RUFFIEUX, R.: op. cit., p. 361. 51

JOST, H.-U.: op. cit., p. 55. 52

En Roumanie, il y eu un sentiment de déception très profond. Il devint évident qu’elle ne pouvait plus compter sur l’alliance avec les Anglo-Français contre une éventuelle agression allemande. Ultérieurement, en évaluant l’impact de la crise tchécoslovaque sur l’équilibre européen, l’ex-ministre roumain des Affaires Etrangères, Grégoire Gafenco, constata qu’après le compromis de Munich, l’unité de l’Europe avait été cassée et que l’Allemagne d’Hitler avait réussi à imposer sa politique dynamique de partage de l’Europe53. Une opinion similaire fut exprimée par R. de Weck, qui estima d’emblée que l’Accord de Munich avait profondément ébranlé le fragile édifice si laborieusement construit par Titulescu54.

En se penchant sur les relations roumano-hongroises, R. de Weck fit une constatation singulière. Dans son rapport politique, le 1er octobre 1938, il nota que, dans une guerre européenne, la Roumanie se rallierait à la Hongrie et celle-ci dicterait aussi la conduite politique de la première55. Ce scénario était irréaliste, car la Roumanie n’avait jamais eu la même position politique que la Hongrie et parce que les dirigeants hongrois éprouvaient encore une profonde nostalgie pour l’époque où la Hongrie, associée à l’empire autrichien, avait eu la possession des territoires de l’Europe centrale et balkanique.

Pour d’autres considérations, le passéisme était aussi un état d’esprit caractéristique des dirigeants polonais et il ne fit qu’affaiblir leur résistance devant l’Allemagne et l’URSS et rendre les relations roumano-polonaises plus difficiles. Les incompatibilités de vues entre Bucarest et Varsovie ne passèrent pas inaperçues à l’observateur suisse. Il transmit au DPF, le 15 octobre, que ses interlocuteurs roumains affichaient leur mécontentement à l’égard des Polonais, qui avaient fait alliance avec la Hongrie, aux dépens de leur voisin, la Tchécoslovaquie56.

La crise tchécoslovaque, suivie du démantèlement de l’Etat tchécoslovaque par l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie, eut un impact majeur sur les milieux dirigeants roumains et sur la conduite politique du pays. C’était une nouvelle preuve de la faiblesse du système de sécurité collective et de l’inefficacité des engagements politiques des Anglo- Français face à la menace militaire allemande. La Tchécoslovaque avait fait partie du même système de sécurité régionale que la Roumanie et elle avait été en outre l’un de ses principaux

53

GAFENCO, G.: «Eastern Countries and the European Order». In: International Affairs. London, Royal Institut of International Affairs, 1947, p. 168.

54

AFB, E 2400, (-), Rapport de gestion de la Légation suisse à Bucarest, pour l’année 1939. 55

Ibidem, E 2300/103, R. de Weck, Rapport politique no 18 de la Légation suisse, Bucarest, le 1er octobre 1938, pp. 1-2.

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fournisseurs d’armement57. Les rapports de la légation suisse mettaient pertinemment en évidence les sentiments d’angoisse des dirigeants roumains qui s’attendaient d’un jour à l’autre à voir leur pays occupé par les troupes allemandes ou germano-hongroises. R. de Weck perçut chez les Roumains un sentiment de fatalité à l’idée d’une occupation imminente, mais aussi d’espoir que leur pays serait mieux traité par le Führer que la Tchécoslovaquie58.

Par peur du bolchevisme et de l’occupation militaire, les Tchèques, comme les Roumains et les Polonais, avaient été réticents à l’idée de permettre à l’armée soviétique le transit par leurs territoires et ils se fièrent entièrement au parapluie de sécurité anglo-français. Alors que la France et la Grande-Bretagne adoptèrent une attitude réservée à l’égard d’une intervention immédiate en faveur de leur petit allié, le gouvernement de Bucarest avait consenti à la construction d’une ligne ferroviaire stratégique au Nord du pays afin de permettre le transit de l’armée soviétique vers l’Europe centrale et il accorda aussi le droit aux forces aériennes soviétiques de survoler le territoire roumain pour venir en aide à la Tchécoslovaquie59. En revanche, la Pologne du colonel Beck proposa à plusieurs reprises à la Roumanie d’occuper la région subcarpatique de la Tchécoslovaquie, mais le roi Carol II lui fit comprendre que la Roumanie ne profiterait jamais du malheur d’un autre pays et qu’elle ne participerait jamais au démembrement du cadavre d’un ami60.

Le roi Carol II effectua deux visites officielles en France et en Grande-Bretagne (15-20 octobre), pour des raisons politiques et économiques. Mais ses visites ne furent pas opportunes en Occident où il se heurta à la politique d’apaisement des Anglo-Français à l’égard de l’Allemagne nazie. En outre, sa décision de rendre une visite-éclair au Führer fit mauvaise impression à Paris61. A Londres, la crédibilité du souverain roumain fut remise en question par les affaires louches dans lesquelles sa personne fut impliquée (l’affaire Skoda).

Lors de l’entretien avec Hitler, à Berchtesgaden, le roi Carol II souligna l’intérêt de son pays à entretenir de bonnes relations commerciales avec les pays de l’Europe centrale et surtout avec l’Allemagne. Il s’intéressa à l’attitude de Hitler concernant le révisionnisme

57

TALPES, I.: Diplomatie si aparare. Coordonate ale politicii externe romanesti 1933-1939. Bucarest, Ed. stiintifica si enciclopedica, 1988, p. 268. Les usines tchécoslovaques assuraient 70% du total des importations roumaines d’armement. Mais l’entrée des Allemands en Tchécoslovaquie annula de facto les contrats roumains.

58

AFB, E 2300/103, R. de Weck Rapport politique no 20 de la Légation suisse, Bucarest, le 15 octobre 1938, p. 3.

59

TALPES, I.: Diplomatie si aparare, op. cit., pp. 221-223. 60

Le roi CAROL II: In zodia Satanei, op. cit., p. 96. 61

KIRITESCU, Constantin I. : Romania in al doilea razboi mondial (I). Bucarest, Universul Enciclopedic, 1995, p. 71.

hongrois62. Pour sa part, le Führer voulait intensifier les relations commerciales avec les pays du Sud-Est européen, notamment avec la Roumanie, mais sans se prononcer sur le problème du révisionnisme hongrois, ni sur les relations roumano-hongroises et polono-hongroises63. Le ministre allemand des Affaires Etrangères nuança la position de son Führer, en précisant que l’Allemagne était intéressée à tenir la Roumanie et la Hongrie en échec et à les utiliser en fonction de l’évolution de la situation64.