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Chapitre 3 : Les déterminants de la transparence

3.1 Transparence et corruption : deux faces d’une même pièce ?

3.1.2 Relation transparence – corruption

La relation étroite entre la transparence et la corruption a pour origine une certaine intuition que le secret cultive la corruption. Nous allons développer dans ce paragraphe, à travers une revue de la littérature théorique et empirique, comment la transparence est promue comme le remède le plus important contre la corruption. Nous analyserons cette relation à la fois pour la corruption privée et publique.

Au niveau de l‘entreprise privée, la transparence agit sur la corruption directement et indirectement. D‘une part, la transparence aide à réduire le niveau de corruption en

augmentant la probabilité de détection des pratiques de pots de vin. Une information comptable et financière de faible qualité engendre une plus grande incertitude et une exacerbation du problème principal-agent, ce qui est de nature à favoriser la corruption. En revanche, un enregistrement précis des opérations comptables, un reporting et un classement des transactions dans les états financiers, une conformité complète avec les normes de

divulgation, ainsi qu‘un audit externe annuel améliorent la qualité de l‘information et mènent

vers un système solide de reporting externe. Everett et al., [2007] affirment dans ce sens

qu‘une comptabilité bien tenue aide à combattre la corruption. Kimbro [2002] insiste sur le fait que l‘information comptable vise à rendre transparentes les transactions au sein d‘une organisation et que l‘audit sert à valider cette transparence par une tierce partie. Il montre que la qualité de l‘information comptable, mesurée par le nombre de comptables par tête d‘habitants, est négativement corrélée avec le niveau de corruption. L‘information comptable représente alors un véhicule à travers lequel l‘entreprise démontre qu‘elle opère légalement.

116 perçue et la qualité de l‘information comptable et de l‘audit approximées à l‘aide deux

variables : le taux de présence des quatre plus grands cabinets d‘audit dans le pays et la

qualité perçue de l‘information comptable extraite d‘une enquête du World Economic Forum. D‘autre part, la transparence agit aussi indirectement sur la corruption à travers son effet sur l‘amélioration du gouvernement d‘entreprise comme ceci a été montré dans le

deuxième chapitre104. Les dirigeants d‘entreprises impliqués dans des pratiques de corruption sont généralement confrontés à la difficile tâche de dissimuler aux actionnaires les paiements des pots de vin quand les pratiques comptables sont de bonne qualité. Lorsque le système de

contrôle interne de la firme fonctionne correctement, le conseil d‘administration peut exercer son rôle de surveillance et l‘asymétrie d‘information entre le principal et les agents est réduite.

Ceci implique une supervision efficiente des agents, les empêchant de recourir à des pratiques corrompues afin de réaliser des gains à court terme (acquérir des marchés, dissimuler une

mauvaise performance du dirigeant) mais générant à long terme des coûts à l‘entreprise. Les valeurs du gouvernement d‘entreprise, telles que la responsabilisation, la

transparence et l‘impartialité («fairness ») empêchent à la fois les receveurs et les donneurs de

pots de vin de s‘imbriquer dans des pratiques corrompues (Wu, 2005). En présence d‘éthique

et de réglementation, il y a moins de demande pour les pots de vin car les officiers publics ont peur de se faire attraper. Wu [2005] montre que la corruption est plus faible dans les pays où

le conseil d‘administration est plus redevable105

envers les actionnaires.

La relation positive entre l‘opacité et le niveau de corruption perçue tient aussi pour ce qui concerne la corruption publique. En essayant d‘apporter des explications au phénomène

de la malédiction des ressources 106(«resource curse ») des pays riches, Kolstad et Wiig

[2008] explorent les principaux mécanismes à travers lesquels la transparence affecte le phénomène corruption. Ils affirment en premier lieu, que la transparence rend la corruption plus risquée et moins attractive de deux manières.

D‘abord, directement car les pratiques corrompues sont plus difficilement détectées quand l‘information est dispersée. Reinikka et Svensson [2003] ont à cet effet montré l‘importance de l‘accès du public à l‘information dans la réduction de la corruption. En effet,

la disposition des informations autorise les citoyens à demander certaines normes, à contrôler

104Voir Section 2.2.1

105 Traduction du mot « accountable »

106 Ce phénomène pose la question pourquoi les pays riches en ressources ont de plus faibles performances en

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et à défier les abus des fonctionnaires publics. La probabilité de détecter la corruption est plus élevée dans les organisations les plus transparentes. Kim et al., [2009] ont aussi confirmé que le gouvernement électronique, en favorisant un accès direct à l‘information, augmente la transparence et baisse le niveau de corruption. Bertot, Jaeger et Grimes [2010] ont rajouté le fait que le E-Gouvernement permet aussi de surveiller les activités du gouvernement

diminuant ainsi l‘incitation à la corruption. Bhuiyan [β011] étudiant le cas du Bangladesh a

aussi trouvé que la modernisation de la gouvernance publique à travers l‘adoption du gouvernement électronique est à même de diminuer la corruption. Lio et al.,[2011] ont montré

à travers un panel de 70 pays qu‘un accroissement de l‘adoption d‘Internet stimule la

transparence et engendre une baisse de la corruption.

Ensuite, la transparence agit indirectement sur la corruption, en premier lieu à travers

l‘application de la loi. En effet, dans un environnement opaque, toute preuve est difficile à trouver. De même, le manque d‘information peut induire un accroissement du montant du pot

de vin car les fonctionnaires corrompus acquièrent un grand pouvoir de négociation.

En second lieu, le manque de transparence entrave le mécanisme des incitations destiné aux officiels. En d‘autres termes, il est plus difficile de récompenser un comportement honnête et par conséquent d‘adopter les politiques anti-corruption appropriées (Dabla-Norris et Paul, 2006 ; Kolstad et Wiig, 2009).

En dernier lieu, le manque de transparence rend plus compliquée la sélection des

bureaucrates et des partenaires honnêtes. Il s‘agit de l‘amplification d‘un problème d‘anti- sélection, où du fait de l‘opacité de l‘environnement, il est coûteux et difficile de mettre en œuvre des contrats qui révèlent le type d‘agent. Dans un environnement non transparent, non

seulement, les agents honnêtes ont du mal à signaler leur type (les signaux ne sont pas fiables); mais aussi, il est plus laborieux de mettre en place des contrats qui révèlent le type de

l‘agent (filtrage)107

. Dans ce cas, le principal fonde sa décision de recrutement sur les caractéristiques moyennes des candidats, ce qui pousse les plus honnêtes à quitter le secteur

public. Dans la mesure où la transparence réduit l‘asymétrie d‘information concernant les caractéristiques de l‘agent, elle augmente alors la probabilité que le principal (le

gouvernement, les autorités) choisisse la personne qui convienne le mieux.

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Kolstad et Wiig [2008] trouvent que la relation entre la transparence et la corruption

est renforcée en présence d‘un niveau d‘éducation élevé et de pratiques démocratiques permettant aux individus de mieux traiter l‘information.

La transparence réduit aussi la corruption politique en aidant les politiques à être plus redevables envers les citoyens. Si les gouvernements maintiennent le secret et ne divulguent

pas l‘information, les votants ne pourront pas sanctionner les mauvais gouvernements en les remplaçant (problème d‘anti-sélection). De même, dans des environnements opaques, les gouvernants seront incités à s‘engager dans des opérations d‘extraction de rentes car ils savent qu‘ils ne seront pas dévoilés (problème d‘aléa moral) (Keefer et Khemani, 2005 ; Dabla-

Norris et Paul, 2006 et Kolstad et Wiig, 2009).

La détention de l‘information par les gouvernements est alors source de pouvoir et de

rentes. Moussa [2004] trouve que la transparence, sous une forme d‘une meilleure qualité et

d‘une régularité dans la transmission de l‘information fiscale, limite l‘utilisation des

procédures extrabudgétaires. Elle peut faciliter la fonction de contrôle et augmenter les pénalités pour l‘extraction de rentes. Les praticiens lient généralement le manque de transparence et de responsabilité à la faible application des règles de droit, ce qui sape la fonction de contrôle et offre un terrain favorable à la corruption.

Le niveau de corruption baisse avec la liberté de la presse et d‘expression. Lederman

et al., [2005] montrent que la publication des actions du gouvernement –bonnes ou mauvaises – tend à réduire les problèmes informationnels entre les principaux (les citoyens) et les agents

(le gouvernement), améliore donc la gouvernance et réduit la corruption. Brunetti et Weder [2003] trouvent aussi une relation très significative entre le niveau de liberté de la presse et le niveau de corruption dans un pays. Les révélations des médias augmentent le coût de la

corruption pour un bureaucrate dans la mesure où ils augmentent la probabilité qu‘il soit

attrapé et sanctionné.

Des études empiriques suggèrent que le manque de transparence et de contrôle institutionnel efficace est le principal facteur faisant émerger la corruption pour des décisions liées à des dépenses tels les projets d‘investissement ou les dépenses d‘acquisition. Par

exemple, Broadman et Recanatini [β00β] affirment qu‘un système d‘institutions de marchés

bien établi, incluant des règles transparentes et claires et un certain équilibre de pouvoirs, réduit les opportunités de recherche de pot de vin (« rent seeking ») et donc les incitations à la corruption. Toutefois, Reinikka et Svensson [β00γ] ont précisé qu‘il est inévitable que les

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éventuels corrupteurs soient mieux informés des identités des plus importants décideurs et

qu‘ils soient donc incités à établir des « connections » corrompues dans ce type d‘organisation.

Il résulte de ce qui précède que la relation entre la corruption et la transparence est très étroite. Une faible transparence peut engendrer un niveau de corruption plus élevé, puisque

les fonctionnaires ont un pouvoir discrétionnaire plus grand. De l‘autre côté, une corruption

répandue peut engendrer une faible transparence, puisque les agents, réticents à être exposés,

essaient pour le moins de limiter les flux d‘information dans l‘agence publique. Kaufman et al. [β00β] considèrent, néanmoins, que même en prenant en compte l‘endogénéité potentielle

des deux variables, une gestion du personnel et du budget ainsi que des prestations de service plus transparentes, peuvent avoir un effet négatif significatif sur la corruption.