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financement des entreprises

4.1 Imperfections du marché et coût de financement des firmes

4.1.1 Imperfections informationnelles dans les marchés de capitau

L‘asymétrie d‘information se manifeste dans les situations où un agent a une meilleure information concernant les caractéristiques d‘un bien ou d‘un projet d‘investissement qu‘un

autre agent. L‘asymétrie d‘information concerne tous les types de marchés. Elle est néanmoins spécialement importante sur les marchés de capitaux. En effet, les dirigeants des firmes ont, plus que les investisseurs potentiels ou les créanciers, accès à des informations privées concernant les caractéristiques et les rendements des firmes ainsi que les opportunités

d‘investissement y afférant. Sur les marchés de capitaux, l‘asymétrie d‘information est de

nature à engendrer deux problèmes majeurs : l‘antisélection et l‘aléa moral. Ces deux notions seront traitées séparément dans les deux paragraphes suivants.

147 Il s‘agit des bénéfices retenus, de la dette et des émissions d‘actions.

148Dans ce type de marchés, les taux emprunteurs et les taux prêteurs sont égaux, il n‘existe pas de coûts de

faillite et toutes les firmes ont le même accès aux marchés de capitaux.

149 Rosenwald [2001] présente un développement analytique de cette égalité. 150Myers et Majluf (198δ) présentent les problèmes d‘asymétrie informationnelle.

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4.1.1.1 L‘antisélection appliquée aux marchés des capitaux

L‘antisélection se manifeste lorsqu‘un agent a une information sur la qualité d‘un bien

et lorsque le second agent connaît au moins la probabilité de la fonction de distribution. Une telle situation a des incidences sur le comportement des acteurs du marché, sur les prix mais également sur la qualité des acteurs et l‘existence même des acteurs. En effet, en partant de

l‘exemple du marché des voitures d‘occasion, Akerlof [1970] montre que l‘incertitude

concernant la qualité du produit – induite par la malhonnêteté des vendeurs de voitures de mauvaise qualité (« les lemons ») – engendre un mauvais fonctionnement du marché et fait

baisser les prix, dissuadant ainsi les bons vendeurs qui finissent par quitter le marché. C‘est le principe de l‘antisélection. « Le coût de la malhonnêteté se trouve … non seulement dans le montant pour lequel l’acheteur est induit en erreur mais aussi dans la perte encourue en

menant une affaire n’existant pas »151

. La question des « lemons » se pose aussi bien pour les marchés de la dette, pouvant avoir comme incidences le rationnement du crédit, que pour les

marchés d‘actions.

1) L’antisélection appliquée au marché de la dette

Les emprunteurs ont des avantages informationnels par rapport aux prêteurs, car les premiers ont une meilleure connaissance des niveaux de risque et de rentabilité des projets

d‘investissement qu‘ils veulent entreprendre. Cette asymétrie d‘information entre l‘agent (qui

sollicite le crédit) et le principal (le bailleur de fonds) entraîne le problème classique des « lemons » décrit par Akerlof [1970].

L‘emprunteur est incité à profiter de cet avantage informationnel pour mener des

actions maximisant son bien-être mais qui s‘opposent aux intérêts du prêteur. En effet, les

bailleurs de fonds ont du mal à déterminer si l‘emprunteur est peu risqué et s‘il dispose de

bonnes opportunités d‘investissement ou au contraire, si son projet d‘investissement est fortement risqué et peu rentable.

Mishkin [1991] affirme de plus, que lorsque le prêteur ne peut pas distinguer entre les emprunteurs de bonne qualité et ceux de mauvaise qualité (« les lemons »), il accorde alors le

prêt avec un taux d‘intérêt qui reflète une certaine qualité moyenne (entre les bons et les

151 « The cost of dishonesty, therfore, lies not only in the amount by which the purchaser is cheated ; the cost

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mauvais emprunteurs). Le résultat est que les emprunteurs de bonne qualité payeront un taux

plus élevé que ce qu‘ils devraient, au profit des emprunteurs de mauvaise qualité qui paieront

un taux plus faible que celui associé à leur risque spécifique.

Cette augmentation du taux d‘intérêt a été analysée par Stiglitz et Weiss [1981- 1983]

et Mishkin [1999] par la suite. Ils indiquent que lorsque le taux d'intérêt augmente, les projets les moins risqués, c'est-à-dire ceux ayant le plus de chance d'aboutir et de pouvoir honorer leurs charges de dette, voient leur rentabilité espérée diminuer fortement. Les investisseurs les moins risqués se retirent donc du marché. Les investisseurs les plus risqués sont eux moins sensibles aux variations des taux. En effet, les projets risqués restent rentables même avec des taux élevés mais leur probabilité de succès est infime. Ces auteurs concluent donc qu‘une

augmentation du taux d‘intérêt payé par les emprunteurs augmente le risque des projets

financés et réduit la probabilité des banques dans la mesure où ce sont les mauvais emprunteurs qui sont attirés par ces taux élevés.

L‘existence de ce type d‘asymétrie d‘information peut aussi imposer aux emprunteurs

des coûts de transactions implicites ou ex ante (Williamson, 1985), générés par la motivation des emprunteurs de présenter aux prêteurs des situations financières satisfaisantes, comme les coûts induits par la préparation des comptes et des plans financiers.

Ainsi, nous pouvons conclure que le phénomène d‘anti-sélection, appliqué au marché

de la dette, a pour impact que les emprunteurs de bonne qualité font face à des coûts élevés et finissent par quitter le marché, laissant la place aux emprunteurs de mauvaise qualité. Pire, les

projets d‘investissement profitables ne seront pas réalisés, ce qui engendre une baisse de l‘investissement et, à terme, pourrait même mener à l‘effondrement du marché.

2) Le rationnement du crédit

Jaffee et Russell [1976] ont été parmi les premiers à expliquer comment des différences non observées dans la qualité des emprunteurs peuvent engendrer un rationnement

de crédit. Dans leur modèle, la probabilité de défaut de l‘emprunteur augmente avec la taille

du crédit. Le montant du prêt est donc un facteur de refus. Ils en concluent que, dans leur souhait de rationner les mauvais prêteurs (en diminuant la taille des prêts), les bailleurs de fonds rationnent également les bons emprunteurs (ayant de faibles probabilités de défaut). Les bons emprunteurs acceptent ces restrictions car la prime de risque « lemon » baisse à cause de la réduction de la probabilité moyenne de défaut du marché. Les mauvais payeurs sont incités à suivre afin de ne pas se révéler en tant que tels.

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Stiglitz et Weiss [1981, 1983] abordent le rationnement des crédits sous une autre

forme. Rejoignant Jaffee et Russell [1976] sur le fait que l‘asymétrie d‘information sur le

marché de la dette est une source de rationnement de crédit, ils indiquent que ce rationnement se fait plutôt par réduction du nombre de crédits octroyés. De ce fait, parmi des emprunteurs

identiques à l‘observation, certains recevront des prêts alors que d‘autres se verront exclus, même s‘ils sont prêts à payer un taux plus élevé152

.

Par ailleurs, le taux d‘intérêt affecte le risque moyen du portefeuille de la banque. En effet, un accroissement des taux d‘intérêt augmenterait le risque du portefeuille de prêts de la banque à travers une dégradation de la qualité des actifs car seuls les mauvais emprunteurs accepteraient ce taux (effet d‘anti-sélection). D‘autre part, un taux d‘intérêt élevé pousserait les firmes à changer leurs comportements et rendre les projets plus risqués (effet incitation). Ainsi, en dépit des taux d‘intérêts élevés, l‘offre des prêts diminue (Stiglitz et Weiss, 1981).

En d‘autres termes, même s‘il y a un excès de demande de prêts, un taux d‘intérêt plus élevé

influence la nature même de la transaction mais ne pourra pas équilibrer le marché.

Face à cette difficulté de discerner les bons emprunteurs des mauvais, la banque a

généralement recours aux mécanismes de révélation de l‘information (« screening device »),

tels que, le taux que l‘emprunteur est disposé à payer. Ceux qui sont prêts à payer les taux les plus élevés sont ceux dont la probabilité de remboursement est la plus faible. L‘équilibre va se faire par les quantités. Dans ces circonstances, les restrictions de crédit prennent la forme d'une limitation du nombre de prêts et non d'une limitation de la taille de chaque prêt ou d'une limitation par le taux d'intérêt payé en faisant dépendre celui-ci de l'amplitude du prêt.

Ainsi, c‘est la disponibilité des crédits et non pas leurs coûts qui détermine le niveau d‘investissement. En conséquence, la firme disposant de fonds internes se trouve dans une

situation avantageuse relativement aux autres firmes ; en particulier, lorsque les contraintes

sur l‘offre de capitaux externes se resserrent.

Nous pouvons conclure à cet effet que l‘anti-sélection sur les marchés de crédit provoque un rationnement et peut engendrer un niveau d’investissement sous-optimal. Ceci

s‘explique par le fait que si les prêteurs ne sont pas capables de distinguer entre les projets,

152

We reserve the term credit rationing for circumstances in which either (a) among loan applicants who appear to be identical some receive a loan and others do not, and the rejected applicants would not receive a loan even if they offered to pay a higher interest rate ; or (b) there are identifiable groups of individuals in the population who, with a given supply of credit, are unable to obtain loans at any interest rate, even though with a larger supply of credit they would » J. Stiglitz et A. Weiss (1981 : 394-395).

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toutes les firmes paient le même taux d‘intérêt. En d‘autres termes, les firmes ayant de bons

projets d‘investissement financent celles qui ont de mauvais projets (Lensink et al., 2001). Si

les marchés de capitaux étaient parfaits, les meilleures firmes seraient capables d‘obtenir des

prêts bancaires avec des coûts plus faibles. L‘asymétrie d‘information accentue donc la

divergence entre les coûts des fonds internes et externes.

3) L’antisélection appliquée au marché des actions

Myers et Majluf [1984] ainsi que Greenwald, Stiglitz et Weiss [1984] se sont intéressés aux problèmes des « lemons » sur les marchés d‘actions. Ils discutent comment

l‘asymétrie d‘information concernant la valeur des actifs d‘une firme restreint sa capacité à

émettre de nouvelles actions. Ils ont noté la difficulté des investisseurs à distinguer les bons

émetteurs des mauvais. Les investisseurs doivent discerner si l‘émission d‘actions vise à

obtenir un nouveau financement, ou à diversifier le risque ou tout simplement à liquider de mauvais actifs.

Myers et Majluf [1984] affirment, qu‘en présence d‘asymétrie informationnelle, chaque émission de titres est évaluée en fonction du revenu moyen des projets, ce qui implique que les titres finançant les bons projets seront sous-évalués. Etant donné cette sous- évaluation, le coût d‘un financement externe de tels projets excède celui d‘un financement avec des fonds propres. La différence de coût représente la prime « lemon » associée au financement externe par actions. De ce fait, les titres des firmes de bonne qualité, c'est-à-dire ayant de bonnes opportunités d‘investissement, sont émis à un prix inférieur à la juste valeur

du marché. Ces firmes seront donc dissuadées de se financer par émissions d‘actions, au point de renoncer à des projets d‘investissement à VAN153

positive si la prime est assez élevée.

Ainsi, Greenwald, stiglitz et Weiss [1984] montrent que les entreprises de bonne

qualité n‘émettent pas des actions, en mettant en avant le rôle positif de la dette pour prouver

une bonne situation de la firme et une capacité des dirigeants à honorer leurs engagements. Emettre des actions devient un mauvais signal qui baisserait la valeur de marché de la firme. Greenwald et al.,[1984] indiquent une analogie entre le rationnement du crédit et le

rationnement d‘actions qui peut aussi affecter les décisions d‘investissement en contraignant

la capacité des firmes à lever des fonds externes ou à diversifier le risque.

153 La valeur actuelle nette égale à la somme actualisée des bénéfices futurs générés par le projet plus valeur

185 Nous pouvons conclure à cet effet que l‘anti-sélection, qu‘elle soit appliquée au

marché de dette ou au marchés des actions, engendre un investissement sous-optimal, dans le premier cas à travers le rationnement du crédit et dans le deuxième cas à cause de la décote liée aux nouvelles émissions.

4.1.1.2 L‘aléa moral sur les marchés de capitaux

La deuxième manifestation de l‘information asymétrique entre les emprunteurs et les

prêteurs est l‘aléa moral. Contrairement aux problèmes d‘anti-sélection, les problèmes d‘aléa

moral (« moral hasard ») se produisent après que la transaction financière ait été réalisée. Il correspond à une situation où deux parties concluent un contrat, mais qu‘ensuite, une des

parties effectue une action qui n‘est pas observée par l‘autre agent. Les actions cachées augmentent la richesse de l‘agent informé au dépens de l‘agent non informé (Lensink, 2001 :

15).

En ce qui concerne le marché de la dette, l'aléa moral se rapporte à toute situation où

l‘emprunteur mène ex post (c'est-à-dire après signature du contrat) des actions imparfaitement

observables par le créancier qui ne vont pas dans son intérêt. Les emprunteurs peuvent être incités à enfreindre les accords (« bond covenants ») et à effectuer de mauvaises allocations de fonds pour leur propre compte (opportunisme). Ils peuvent également entreprendre des

projets d‘investissement qui ne seront pas profitables mais augmentent leurs pouvoirs et leurs

statuts (enracinement). L'emprunteur peut aussi s'engager dans des activités risquées qui réduisent la probabilité du remboursement du prêt et la réussite du projet. Les dirigeants pourront enfin accomplir des dépenses inutiles au développement de l'entreprise en détournant à leur profit une part des résultats du projet sous forme d'avantages en nature ou de rémunérations excessives. De la même façon, une situation de surendettement peut s'analyser comme un choix compromettant la solvabilité de l'entreprise au détriment des créanciers.

Jensen et Meckling [1976] affirment qu‘un engagement limité en dette augmente les

problèmes d‘aléa moral, dans le sens où une firme peut être incitée à opter pour des investissements excessivement risqués, même s‘ils sont de nature à baisser la valeur de la firme. Lorsque les détenteurs de dette anticipent ce comportement, ils demandent une prime

sur la dette qu‘ils achètent ou des clauses qui restreignent l‘utilisation future de la dette de la

firme.

Le problème du coût de vérification, où le prêteur doit payer un coût d‘audit pour

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non garantie. Townsend [1979] décrit le meilleur contrat financier comme un contrat

classique de dette bancaire avec remboursement fixe plus un coût d‘audit au cas où l‘entreprise ne peut pas rembourser.

Pour résumer, nous rappelons que l‘aléa moral entrave le transfert de l‘information entre la firme et le marché de capitaux. Il est à signaler que l‘insuffisance de l‘information

accentue ce genre de problème. Ces asymétries d‘information génèrent des coûts d‘agence qui

inciteront les investisseurs externes à demander des primes sur les émissions de dette ou de

titres, ce qui accentue l‘écart entre le coût du financement interne et celui du financement

externe.

L‘aggravation de l‘asymétrie d‘information engendre donc une mauvaise allocation

des fonds vers les mauvais emprunteurs. Elle peut expliquer une restriction de l‘offre de

financement externe et l‘existence d‘un rationnement du crédit pour certains emprunteurs, en dépit de la disponibilité des fonds et de la capacité des emprunteurs à payer des taux d‘intérêt

plus élevés. Elle fournit également une explication possible au fait que des projets à valeur actuelle nette positive ne sont pas explorés.

En conclusion, pour que le marché financier assure pleinement ses fonctions, il faut

qu‘un mécanisme fiable permette aux dirigeants d‘informer suffisamment les investisseurs et

les bailleurs de fonds afin que ceux-ci puissent évaluer correctement l‘entreprise. C'est-à-dire

un mécanisme de signalisation qui peut par exemple prendre la forme d‘une garantie accordée à l‘acheteur ou d‘une amélioration de la divulgation des informations par les firmes. Les

investisseurs interprètent ces décisions et signaux, comme étant le signe de perspectives

d‘avenir plus ou moins favorables. Pour que ce mécanisme soit efficace, il doit être

suffisamment contraignant et réglementé pour interdire toute émission de mauvais signaux et garantir ainsi la fiabilité de l‘information transmise.