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1.3 L’hypothèse inverse : le trop plein d’information

1.3.1 L‘information dans la théorie des organisations

La théorie des organisations prône l‘intervention de variables qualitatives et psychologiques dans le processus de choix. Contrairement aux hypothèses de l‘approche

classique, les décisions ne correspondent pas nécessairement à l‘optimisation des variables économiques.

1.3.1.1 L‘apport de Simon : abondance d‘information et pénurie d‘attention

H. Simon analyse les processus décisionnels dans les organisations. Il s‘oppose au

postulat de la rationalité parfaite et formalise un concept essentiel : la rationalité limitée.

L‘individu ne cherche pas à atteindre le choix optimal mais se contentera de situations satisfaisantes. Simon considère que le problème posé par l‘information réside non pas dans sa

rareté mais dans sa surabondance ; ceci est de surcroît vérifié avec le développement des

technologies d‘information.

Simon s‘est intéressé à une variable de contrôle bien connue des psychologues mais

ignorée des économistes : l‘attention. Celle-ci est définie classiquement comme la

concentration de l‘activité mentale sur un objet déterminé (Petit, 1998 : 207). Il affirme la

32 (Spence 1973; 1976)

33 (Telser [1964] ; Demsetz [1979] ; Nelson [1970, 1974])

35

nécessité de « l‘attention » dans ce foisonnement d‘information. « La ressource rare n‘est pas

l‘information, mais la capacité de traiter l‘information » (Simon, 1984 : 264). Précisons par

ailleurs qu‘Arrow s‘est également intéressé à la capacité limitée des agents de traiter

l‘information et aux coûts d‘information et de communication qui en résultent.

Simon réfute donc le modèle de l‘individu rationnel qui dispose à tout instant de toute

l‘information nécessaire. Il avance les deux hypothèses suivantes. D‘abord, l‘information

disponible au décideur est toujours incomplète car ce dernier ne peut pas évaluer les conséquences et la valeur des différentes possibilités qui s‘offrent à lui. D‘autre part, l‘être

humain a une capacité réduite de traitement de l‘information et de raisonnement. « La

rationalité limitée se réfère aux limites d‘appréciation et de stockage des individus afin de

recevoir, accumuler, récupérer et traiter l‘information sans erreurs »35

(Simon, 1973 : 317).

La capacité d‘accueil et de traitement des informations est très vite saturée, notamment parce que l‘esprit humain fonctionne de façon séquentielle, de sorte que la situation la plus banale combine à la fois incertitude (donc déficit d‘information) et excès d‘information (par rapport à ce que peut gérer l‘esprit humain sur une durée déterminée). La question qui se pose est alors celle de l‘information « pertinente », c'est-à-dire comment l‘individu arrive à trier les

informations « utiles » parmi les informations surabondantes.

La rationalité implique que l‘agent économique ne peut prévoir toutes les éventualités.

Les contrats sont donc nécessairement incomplets. La rationalité limitée aurait comme conséquence majeure l‘augmentation des coûts ex-ante et ex-post des contrats.

Une telle acception de la rationalité limitée se distingue pleinement de la théorie de la

décision en situation d‘information imparfaite. En effet, selon Simon, il convient de

considérer la limitation de la capacité computationnelle des individus. Or, les théories de

l‘information imparfaite présupposent une capacité computationnelle des individus plus importante que dans une situation d‘information parfaite puisque les agents doivent pouvoir calculer le coût de la recherche d‘information. Pour les néoclassiques, les agents réduisent l‘incertitude jusqu‘à ce que la productivité marginale de la quête d‘information égalise le coût

marginal de cette dernière.

35 « Bounded rationality refers to rate and storage limits on the capacities of individuals to receive, store,

36 Dans l‘approche de la rationalité limitée, l‘acte de décision s‘exécute par tâtonnement

et va notamment intégrer les expériences passées qui ont apporté satisfaction. Ce mécanisme

de rationalité adaptative (Cyert et March) permet à l‘organisation d‘évoluer et d‘apprendre.

Cette approche de la rationalité limitée développée par Simon va amener un nouveau paradigme : l‘organisation est désormais perçue comme une entité vivante, évolutive et non pas comme une simple fonction de production.

1.3.1.2 Les apports de Crozier et Friedberg

Si March et Simon36développent aussi dans leur œuvre Les Organisations, l‘idée

d‘une «rationalité limitée de l‘organisation», ils n‘en tirent pas, selon Crozier et Friedberg, les conséquences pratiques et continuent d‘analyser les organisations selon les schémas de la pensée rationaliste classique. C‘est du moins le reproche que leur adressent les auteurs de

L’Acteur et le Système [1977].

Partant de la théorie de la «rationalité limitée», Crozier et Friedberg proposent un nouveau type d‘analyse sociologique qu‘ils appellent « l‘analyse stratégique ». Dans le sillage de leur raisonnement, les acteurs, leurs relations et les phénomènes de communication et

d‘information au sein d‘une organisation forment le cœur de l‘analyse. L‘agent ne choisit pas

au hasard; ses choix dépendent certes de ses valeurs, mais aussi de la manière dont il perçoit la situation, et des moyens dont il dispose pour en tirer parti. Chaque agent a sa stratégie personnelle, joue son propre jeu dans le cadre du système d‘actions dont il fait partie, et

cherche à augmenter son pouvoir, ainsi qu‘à développer l‘étendue de la zone placée sous sa responsabilité. Le pouvoir n‘est pas conçu par une structure d‘autorité mais résulte de la

mobilisation par les acteurs des sources d‘incertitudes pertinentes qu‘ils contrôlent dans un système de jeu donné pour leurs relations et leurs tractations avec les autres participants à ce jeu (Crozier et Friedberg, 1977 : 29-30).

L‘analyse stratégique distingue quatre sources de pouvoir en fonction des différents types d‘incertitudes de l‘acteur: la maîtrise d‘une compétence particulière ; la maîtrise de la communication et des informations ; la relation de l‘organisation à son environnement ; et l‘existence de règles organisationnelles générales.

36 Cyert et March [1963] ont donné un caractère opératoire aux idées de Simon. Ils décrivent toutes les

organisations comme des processus dynamiques et continues de prise de décisions. L‘organisation est dotée d‘une mémoire collective et l‘expérience passée lui permet d‘évoluer progressivement.

37

Ainsi, la façon dont l'organisation gère la communication et les flux l'information entre ses unités et ses membres présente-t-elle une source de pouvoir. Cette communication peut

être interne ou externe. L‘acteur qui détient une information peut choisir de la communiquer

ou au contraire de la garder pour lui. L‘existence de cette alternative lui confère un pouvoir

sur les acteurs liés à cette information. La possibilité d‘une rétention d‘information par certains services de l‘entreprise les met en position de force par rapport à l‘utilisateur

potentiel de cette information.

Thépaut [β000] affirme aussi que l‘information exerce des effets spécifiques liés à la question du pouvoir. Elle revêt le statut de variable d‘influence qui serait de nature à générer des rentes informationnelles. Il trouve que le pouvoir a pour origine l‘asymétrie d‘information

et les effets externes liés aux biens collectifs37.

Nous constatons que la circulation des informations joue un rôle crucial dans les décisions des agents économiques et dans les relations de pouvoir aussi bien entre les

membres d‘une même organisation qu‘avec son environnement externe.

Ouwersloot, Nijkamp et Rietveld [1991] conceptualisent la circulation de

l‘information. Ils affirment que les données, l‘information ainsi que les connaissances forment une suite établie dans cet ordre mais qui n‘est pas circulaire. Les données peuvent néanmoins, être considérées comme une représentation symbolique de l‘information. Le

concept de communication peut être décrit comme un échange de données. L‘information

détenue par l‘agent économique A est transformée dans une représentation symbolique. Ces

données sont communiquées à un autre agent B qui attribue à son tour un sens aux données.

Finalement, l‘agent B traite et intègre l‘information dans son stock d‘informations pour élargir ses connaissances. Cette série d‘événements peut être appelée un processus de

communication. La non-circularité de l‘information tient à deux raisons. D‘abord, les agents économiques A et B sont par définition des personnes différentes. Ensuite, l‘information sous forme de données est sujette à l‘interprétation des deux individus A et B, elle n‘est donc pas nécessairement identique aux deux bouts du processus. En effet, les pratiques montrent la

modification de l‘information par l‘interprétation qu‘en font les agents, leur intérêt et l‘influence (Gomez, 2006).

37 La notion de bien collectif sera présentée infra dans les sections 1.3.2.2 et 1.3.2.3

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Les limites de la communication peuvent être stratégiques et se traduisent à la fois par des coûts indirects et directs. Les coûts indirects résultent d‘une déformation des comportements : les agents ne communiquent pas comme ils le devraient, du moment où ils

n‘échangent pas quand il serait optimal de le faire, ou agissent par opportunisme plus que par

loyauté. Les coûts directs émanent, en revanche, des limites techniques et humaines à la

communication, un aspect qui a spécialement capté l‘intérêt d‘Arrow. Il s‘agit des coûts

techniques, c'est-à-dire en ressources matérielles, en travail et en délais de décision que toutes les organisations cherchent à réduire (Granger, 2000 : 18). Ces limites entravent la transparence, définie par Gomez [2006] comme la mise à disposition du flux informationnel auprès de tous les acteurs qui peuvent être concernés par lui.